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« Entre LND et armée, nous avons décidé de prendre la voie du milieu »

Peoples Pioneer Party PPP Daw Thet Thet KhinePeoples Pioneer Party PPP Daw Thet Thet Khine
Daw Thet Thet Khine
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Publié le 15 octobre 2020, mis à jour le 16 octobre 2020

Aujourd’hui, nous recevons sur Zoom une figure politique montante, ex-membre de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) et entrepreneuse à succès : Daw Thet Thet Khine, fondatrice et présidente du People’s Pionneer Party, dont la couleur bleue compte bien se faire une place entre le rouge de la LND et le vert du Parti de l’Union, de la Solidarité et du Développement (PUSD).

LPJ Birmanie : Vous êtes une figure politique connue en Birmanie. Pouvez-vous vous présenter avec vos mots pour nos lecteurs ?

Daw Thet Thet Khine : Mon entrée en politique a été une sorte de surprise pour les gens. Je suis née à Mogok, le pays des rubis, et mes parents sont entrepreneurs dans le secteur des gemmes. Entre 1962 to 1988, l’économie du pays a été dévastée par un système économique socialiste. Je suis née en 1967. Lorsque j’avais 7 ou 8 ans, j’ai entendu mes parents dire que le système économique et politique était mauvais. Je me suis sentie impuissante, à les entendre se plaindre de quelque chose sur lequel ils n’avaient aucun contrôle. J’ai compris que ce système était décidé par le gouvernement, très puissant, et que donc mes parents ne pouvaient rien faire. C’est cette expérience qui a forgé ma conviction qu’une fois qu’un système est mauvais pour un pays, les habitants en deviennent les victimes. C’est pourquoi je me suis dit qu’un jour, quand je serais grande, je mettrais en place un bon système pour mon pays, afin que les gens ne souffrent pas, et que le pays prospère.

En 1988, la dureté de la politique économique mettait la population en souffrance. Elle a fini par ne plus pouvoir le supporter et elle est sortie dans la rue pour le soulèvement du 8 août 1988. A cette époque, j’étais étudiante en médecine à Mandalay. Au moment du soulèvement, les universités étaient fermées, donc j’étais de retour dans ma ville d’origine. J’ai rejoint la grève générale, en espérant qu’elle soit l’opportunité de changer le système. J’étais une étudiante militante. Un peu plus d’un mois après le soulèvement, les militaires ont fait un coup d’état. Le gouvernement - militaire - a promis au pays qu’il organiserait des élections générales en 1990. En 1988, j’ai rejoint la Ligue Nationale pour la Démocratie de Mogok et je suis l’une des fondatrices du bureau du parti dans cette circonscription. A cette époque, j’ignorais à quoi ressemblait un bon système. Les gens parlaient de démocratie, de multipartisme … j’ai travaillé pour le parti jusqu’à sa victoire écrasante aux élections de 1990. A ce moment-là, les universités ont rouvert. J’étais à mi-chemin de mon parcours scolaire et je suis retournée étudier jusqu’à l’obtention de mon diplôme de médecin. Je me suis mariée, et ma famille comme ma belle-famille ayant un passé d’entrepreneurs ont voulu que nous le devenions aussi plutôt que de pratiquer la médecine. Nous avons ouvert notre entreprise en 1994, dans le domaine de l’or, des gemmes et de la joaillerie, et nous nous sommes développés au fil des années. Aujourd’hui, nous avons des marques de joaillerie bien établies, « Golden Palace » et « Forever Gems », des manufactures de gemmes, et nous sommes également dans le développement immobilier depuis 2013.

Pendant tout ce temps, j’ai étudié l’entreprenariat par moi-même car je voulais gérer mon entreprise de façon professionnelle. J’ai achevé mon deuxième MBA en 2008, et je suis revenue en Birmanie. En 2010, le gouvernement a annoncé la tenue d’élections générales, une surprise pour nous. C’est seulement quand les candidats LND ont été élus au Parlement que j’ai commencé à croire en une possible réforme politique. A ce moment-là, je me suis dit que j’allais participer aux élections de 2015 avec la LND. J’étais médecin de formation, et détentrice de MBA en gestion d’entreprise mais je ne connaissais rien de la politique de l’administration publique … J’ai étudié la gestion et la direction publique de 2012 à 2018. En 2014, j’ai rejoint la LND pour la deuxième fois dans la circonscription de Dagon et j’ai été élue en 2015 à la Chambre basse du Parlement.

Comment est-ce que votre parcours d’entrepreneuse à succès vous a préparé à une carrière en politique ?

J’apprécie ma vie d’entrepreneuse mais je veux aider les gens. Beaucoup de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Nous devons avoir une croissance équitable pour tous. Nous avons assez de ressources pour nous développer. Une majorité de la population est en âge de travailler et ce sont de très bonnes fondations vers la prospérité. Mais nous devons avoir un bon gouvernement, avec les bonnes politiques, pour l’atteindre. En tant qu’entrepreneuse, j’ai activement participé à des associations comme la Myanmar Women Entrepreneurs Association, Myanmar Gold Entrepreneurs Association, l’UMFCCI (Union of Myanmar Federation Chambers of Commerce and Industries), et j’appartiens à plusieurs communautés d’entrepreneurs. En parallèle, comme j’étais très active dans ces organisations, je me suis rendue à plusieurs conférences et symposiums de l’ASEAN, et j’ai pu voyager à l’étranger et prendre part à des formations. Quand j’ai rejoint la LND à 47 ans, je me suis dit qu’il était temps que je me lance en politique, que c’était mon tour de contribuer à mon pays. C’est pourquoi j’ai transmis mes entreprises à mon mari aujourd’hui afin de me consacrer à la politique à plein temps.

Vous avez quitté la LND en 2018, après avoir été suspendue du bureau exécutif, où vous siégiez, pour ne pas avoir « suivi la ligne de conduite du parti ». Qu’est-ce qui vous a poussé à fonder votre propre parti ?

Au sein de la LND, j’ai eu beaucoup de surprises. La LND est célèbre pour lutter contre le régime militaire et être soutenu par la population. Mais quand j’ai rejoint le parti, il n’y avait pas de gouvernance démocratique dans son organisation interne. C’était un système autocratique. Après en avoir parlé aux médias, j’ai été désistée de mon poste au sein du comité du parti à Dagon et j’ai alors décidé de monter mon propre parti programmatique [ndlr : Un parti programmatique est défini comme tel s'il a un lien fort entre le parti et ses électeurs, si l'organisation interne du parti est fondée sur des règles démocratiques et si le processus d'élaboration des politiques et la plateforme qui en résulte reflètent l'engagement des membres du parti]. Nous travaillons pour le développement économique et pour la paix que ce développement permettra d’obtenir.

J’ai recruté des personnes qui rejoignent ces idées, et nous avons formé le People’s Pioneer Party. Pendant la période de préparation [avant l’enregistrement] entre novembre 2018 et novembre 2019, nous avons formé le comité de fondation du parti. Ses trois tâches ont été, tout d’abord, l’écriture de la Constitution du parti, dans la lignée des principes démocratiques et du fédéralisme ; ensuite, comme nous voulons être un parti programmatique, c’est très important de rassembler des gens expérimentés de différents secteurs (gouvernement, privé, société civile, chercheurs, académiques, organisations à but non lucratif, des personnes travaillant à l’étranger afin d’apporter leur expérience) afin de créer nos politiques dans 18 secteurs (agriculture, politique étrangère, jeunesse, égalité des femmes …). Enfin, il a fallu gérer le processus d’enregistrement, qui s’est achevé avec succès le 23 octobre 2019. Nous allons célébrer notre premier anniversaire bientôt.

Une fois l’enregistrement terminé, nous avons convoqué deux ou trois conférences de presse pour présenter le parti au grand public. Nous avons recruté des membres du parti et établi les bureaux dans 135 circonscriptions du pays, pour présenter 232 candidats dans plus d’une centaine de circonscriptions. Nous sommes présents dans tous les états et régions, à l’exception de l’état de l’Arakan ; 21 % de nos candidats sont des femmes, 20 % ont moins de 35 ans, et la moyenne d’âge est de 46 ans. Ces candidats viennent de différents milieux professionnels. Certains viennent du gouvernement, d’organisations non gouvernementales, de la société civile, du secteur privé … Certains ont un passé de militaire.

Comme dans de nombreux pays, la question du conflit d’intérêt peut se poser, étant donné vos relations très étroites avec le monde de l’entreprise. Comment assurez-vous votre indépendance sur ces sujets ?

Je suis parlementaire depuis près de cinq ans. Je sais rester à l’écart de mes entreprises. Nous avons trois obligations : représenter nos concitoyens et le secteur privé dans sa totalité, les propriétaires comme les travailleurs ; valider des lois, et j’essaye de participer à tout ce qui a un lien avec l’entreprenariat ; et le contrôle parlementaire, processus de vérification de l’exécutif. Jusqu’ici, je n’ai pas eu de conflits d’intérêts. J’ai travaillé de façon très professionnelle avec mes collègues. Je ne suis pas encore dans l’exécutif, mais je suis sûre que je peux rester à l’écart parce que ce n’est pas mon objectif. Je veux voir la politique contribuer au développement socioéconomique. C’est pour ça que j’ai discuté au Parlement de la nécessité de réformer les marchés publics et les processus d’appel d’offre afin de prévenir les conflits d’intérêts, par exemple. J’en parle en permanence. 

Pouvez-vous nous présenter les trois points principaux de votre programme politique ?

Notre slogan pour les élections générales de 2020 est « People’s lives matter » (« la vie des gens compte »), et notre sous slogan est « income for everybody, jobs for everybody, future for everybody » (« un revenu pour tous, un emploi pour tous, un futur pour tous »). Nous voulons améliorer le développement socioéconomique de façon à ce que chaque foyer ait un emploi et un revenu, pour que les gens puissent investir dans l’éducation et la santé. Notre manifeste électoral explique comment nous allons créer de l’emploi, augmenter les revenus... Nous avons 68 programmes. Nous voulons également changer la Constitution de 2008.

Nous pouvons voir un clivage au sein de la population depuis 2016 entre le « rouge » et le « vert » [ndlr : le rouge, couleur du drapeau de la NLD, et le vert, couleur des uniformes des militaires et du PUSD, le bras politique des dirigeants militaires]. Une personne qui n’est pas « rouge » est perçue comme « verte », et vice-versa. Au sein du gouvernement, les relations entre l’armée et les civils sont distordues et faibles. C’est pourquoi nous avons décidé de prendre la voie du milieu. Nous sommes un parti démocratique qui souhaite bâtir une union fédérale tout en reconnaissant le rôle de l’armée dans l’état. Nous n’allons pas nous battre avec l’armée mais plutôt essayer d’avoir de bonnes relations entre civils et militaires, puisque dans notre pays de 58 millions de personnes, le développement socioéconomique est limité, beaucoup de gens se situent sous le seuil de pauvreté, et nous avons beaucoup de problèmes internes comme les conflits armés, le conflit dans l’état de l’Arakan, du trafic de drogues, du trafic d’êtres humains … Nous n’avons pas un système éducatif ou un système de santé de qualité. Nous sommes entre la Chine et l’Inde, les deux pays les plus peuplés d’Asie, très bien développés économiquement. Si nous n’avons pas d’unité nationale, c’est dangereux pour nous car nous sommes fragiles. C’est pourquoi nous allons travailler sur les relations entre civils et militaires et la réconciliation nationale.

Vous parlez de la « voie du milieu », mais aussi de la difficulté qu’ont les gens à choisir autre chose que la LND ou l’armée et le PUSD. Comment allez-vous assurer que le « bleu » [du PPP] soit bien visible entre le rouge et le vert ?

C’est un défi pour nous car c’est une idée nouvelle. Nous essayons de passer par les médias, d’utiliser Facebook, d’organiser des conférences de presse et d’avoir une présence en ligne. Nous devons travailler beaucoup pour obtenir de la reconnaissance. Beaucoup de médias m’ont demandé comment nous allions concurrencer la LND. J’ai répondu que nous ne concurrençons ni la LND ni le PUSD, car la LND a de forts soutiens, tout comme le PUSD. Mais certaines personnes n’aiment ni l’un ni l’autre. En 2015, la victoire de la LND a été le fruit d’un facteur d’attirance et d’un facteur de fuite. Daw Aung San Suu Kyi, leader de la LND, attire les voix et en même temps la population n’aimait pas les militaires. Les gens ont posé beaucoup d’espoirs sur les épaules de la LND, espérant plus de démocratie, d’investissements étrangers, de développement socioéconomique … et leurs attentes n’ont pas été remplies. C’est pourquoi beaucoup de gens aujourd’hui n’aiment ni le rouge ni le vert. Ils ont pu essayer les deux. Nous proposons une option supplémentaire. Nous n’avons qu’un an, c’est jeune, mais notre parti est reconnu parmi la population, et nos candidats travaillent dur. 

De quelle manière votre campagne a-t-elle été affectée par les restrictions imposées pour faire face à la pandémie de Covid19 ?

Notre campagne à Yangon a été arrêtée, la plupart d’entre nous devant rester à la maison. Nous nous essayons à la campagne en ligne. En dehors de Yangon, les candidats essayent de rencontrer leurs constituants en face à face. Faire campagne est une nouveauté pour nous, seuls trois ou quatre de nos membres ont de l’expérience dans ce domaine. Je compte sur le fait que nous apprenons en faisant.

Des membres de votre parti sont présents dans les rues de Yangon pour vaporiser un produit désinfectant contre le Covid19. Pouvez-vous m’en dire plus sur cette initiative ?

Nous ne pouvons pas sortir mais nous savons que c’est une période à bas revenu pour de nombreux foyers et que les gens ont peur des transmissions locales. Nous voulions sortir pour aider les gens et nous essayons alors de répandre du désinfectant dans les rues, nous donnons du gel hydroalcoolique, des masques aux centres de quarantaine, aux équipes de secours … En même temps, nous travaillons avec des organisations de secours afin que lorsque les gens ressentent de la fièvre, par exemple, ils puissent appeler une ambulance qui les emmènera à une clinique spécialisée. Nous sponsorisons également la télémédecine pour les gens ayant besoin d’une consultation en vidéo. Le médecin peut ensuite référer le patient à un spécialiste, par exemple. Nous fournissons également de la nourriture pour les foyers en confinement. Nous faisons ce genre de chose plutôt que de faire campagne.

Mais si les gens savent que ces initiatives sont les vôtres, c’est une forme de campagne indirecte, en quelque sorte, non ?

[sourire]

Vous coordonnez-vous avec le gouvernement local ou est-ce votre propre initiative ?

C’est notre propre initiative. Nous encourageons nos membres à le faire. Certains d’entre eux ont des boutiques mobiles et peuvent vendre des légumes, des fruits, de la nourriture, dans leur quartier. Nous essayons d’aider les gens dans le besoin.

Vous avez mentionné la volonté d’améliorer les relations avec l’armée au sein du gouvernement. Pensez-vous que la façon dont la LND interagit avec l’armée est mauvaise, et si c’est le cas, que feriez-vous différemment ?

Actuellement, il n’y a pas de relation saine entre l’armée et le gouvernement civil. Nous n’allons pas entrer en conflit avec les militaires, cela ne sert à rien. Nous allons collaborer. Nous croyons en la coopération, la communication et la collaboration. Cela fait partie de notre politique. Les militaires savent que nous sommes le parti qui ne se battra pas contre eux. Quand nécessaire, nous travaillerons avec eux pour construire le pays. Ils possèdent leur propre rôle, pour la défense, la sécurité, les négociations du processus de paix, ils effectuent des opérations de sauvetage en cas de catastrophe naturelle… Nous allons reconnaître leur rôle. Trois de nos ministères sont nommés par le Chef d’état-major [ndlr : ministre des Affaires Frontalières, ministre de la Défense et ministre de l’Intérieur]. Une fois qu’ils sont en poste, ils devraient quitter l’armée et redevenir des civils. C’est un compromis, c’est une négociation. Il y a un fossé énorme actuellement et nous ne pouvons pas le fermer instantanément. Nous devons le réduire d’abord.

En même temps, les 25% de sièges réservés aux parlementaires nommés par l’armée au Parlement national doivent être réduits progressivement. Nous allons devoir changer doucement, graduellement, pour ne pas endommager les relations entre l’armée et les civils. Nous voulons établir la confiance. Nous voulons aussi changer la Constitution de 2008, mais de façon intelligente et sans heurts ; tous les cinq ans, nous pouvons effectuer des changements, et un jour, nous aurons une véritable union fédérale démocratique. Cela ne se fait pas en un jour. Nous ne pouvons pas être trop radicaux l’un envers l’autre.

L’un des chevaux de bataille de la LND a justement été l’amendement de la Constitution de 2008 pour abolir l’obligation des 25% de sièges réservés à l’armée, en vain. A cause de ce nombre, le parti n’a encore jamais réussi à obtenir la quantité de votes nécessaires. Comment feriez-vous pour faire passer une telle modification ?

C’est très important d’avoir des relations de proche à proche, et d’institution à institution. Nous devons avoir des relations amicales entre les politiciens civils et les militaires. Une fois que nous nous faisons confiance, nous pouvons négocier ouvertement. Pas dans le but de gagner en popularité mais pour le bien de notre pays et le progrès vers une démocratie forte et fédérale. Nous devons aussi comprendre les préoccupations de l’armée. Nous avons des conflits internes qui durent depuis des décennies. Comment pouvons-nous les exclure de la politique ? La LND a regardé les autres pays démocratiques, comme les Etats Unis ou en Europe, et l’absence de militaires aux parlements. Mais ces pays sont en paix. Notre contexte politique est différent, et nous avons des organisations ethniques armées qui se battent contre l’armée. Nous sommes fragiles. C’est pourquoi nous allons mettre beaucoup d’efforts dans le processus de négociation de paix, et de cesser le feu. Quand nous aurons lancé ce processus, l’armée se retirera progressivement d’elle-même. L’approche de la LND a plutôt été de dire « partez du Parlement, ce ne sont pas vos affaires, ce sont les civils qui font la politique, vous portez un uniforme, vous n’avez rien à faire là ». Mais ce n’est ni réaliste ni pratique. Nous sommes optimistes. Nous étions sous régime militaire. C’était la tyrannie. Ils contrôlaient les trois pouvoirs [ndlr : législatif, juridique et exécutif]. Aujourd’hui, nous avons la Constitution de 2008, que nous l’aimions ou non, une Commission Electorale Nationale, des partis politiques qui peuvent s’enregistrer officiellement, des élections générales, le droit de vote et d’être élu, un Parlement avec le pouvoir législatif, une séparation entre législatif et exécutif… C’est un progrès. Cependant, nous devons aller plus loin concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire. C’est un processus de réforme politique de long terme. Le pouvoir était détenu à 100 % par l’armée. Aujourd’hui, on est à 75 % du pouvoir détenu par les civils. C’est une réalisation spectaculaire. Nous devons être patients. Autrement, nous resterons dans l’instabilité politique.

Pensez-vous que les conférences de paix de Panglong – 21ème siècle sont la meilleure façon d’atteindre cet objectif de réconciliation nationale ?

A vrai dire, je ne parle pas vraiment de « Panglong », mais plutôt de « processus de négociation de la paix », « forum politique » ou « dialogue politique ». Certaines personnes aiment le nom de Panglong, mais ça a été lancé il y a 70 ans, ce n’est plus pertinent. Nous y prendrons part, parce que nous avons deux façons d’obtenir un amendement constitutionnel : amender la constitution de 2008 au sein du parlement, ou à travers le processus de paix et le dialogue, ce qui permettrait de créer une toute nouvelle constitution pour une union fédérale démocratique. C’est pourquoi je sors cette métaphore à chaque fois que je parle du sujet : à l’époque, nous avions acheté une nouvelle voiture, et maintenant nous devons la réparer pour continuer à avancer.

Le PPP est donc présent dans 13 des 14 états et régions du pays. Pourquoi pas dans l’Arakan ?

Nous avons présenté notre politique et nos leaders au public grâce à des conférences de presse et les médias sociaux et médias conventionnels. Nous recrutons des gens de notre réseau, et du réseau de ces gens. Nous avons une croissance organique. Quiconque veut inviter notre parti dans sa circonscription et offre un espace de bureau peut le faire ; jusqu’ici, nous avons ouvert ces bureaux dans 13 des 14 états et régions, mais personne ne nous a encore contactés dans l’état de l’Arakan. Nous avons des membres de parti originaires de l’Arakan mais pas encore de proposition de bureau sur place.

Le conflit dans l’état de l’Arakan est un sujet suivi de très près par le public local comme international. Pouvez-vous me dire quelle est la politique du PPP concernant le conflit dans cet état ?

C’est un conflit très complexe et très ancien. Pour faire simple, il est lié à l’incapacité de l’administration de réguler l’immigration illégale. La première guerre entre les Britanniques et la Birmanie a donné lieu, en 1823, à l’occupation du sud de la Birmanie. A partir de cette date, toutes les personnes résidant en Birmanie sont devenues citoyennes et reconnues comme indigènes. Puis le Royaume Uni a colonisé le reste du pays. En parallèle, ce que j’appelle la Grande Inde, qui comptait à l’époque le Pakistan et le Bangladesh, était aussi sous le joug des Britanniques. Ces derniers ont donc apporté beaucoup d’indiens [en Birmanie]. C’est pourquoi nous avons beaucoup d’immigrants indiens. Certaines de ces personnes étaient là depuis plusieurs générations, et donc étaient considérées comme des citoyens birmans, avec leur carte d’identité, même s’ils ne sont pas indigènes. Après 1950, deux ans après l’indépendance, je pense que l’immigration s’est ralentie avec le temps. L’immigration fait partie de la nature humaine. Il y a des migrants birmans en Thaïlande, à Singapour, en Malaisie… Pour trouver du travail, et s’installer. L’immigration après 1950/70 est irrégulière. Nous ne pouvions pas régulariser leur situation administrativement. Il y a eu un effet cumulatif. Mais il y a aussi un autre groupe, qui a récemment immigré, qui n’interagit pas avec les locaux, qui ne parle pas le langage local, qui ne reconnaît pas notre drapeau, qui ne suit pas nos lois, même s’il vit dans notre pays. Ceux qui appartiennent à ce groupe ne devraient pas avoir la nationalité. Vous voyez ce que je veux dire ? Nous avons une longue histoire d’immigration. Aujourd’hui, c’est devenu un problème de sécurité. Je suis sûre que notre gouvernement est suffisamment puissant pour gérer tous ceux qui sont éligibles à la citoyenneté. S’ils se conforment à la loi sur la citoyenneté de 1962, ils n’auront pas de problème pour l’obtenir. [La situation de] ces personnes qui ne suivent pas nos lois, ne respectent pas notre drapeau, doit être prise en main officiellement. C’est pourquoi je pense que nous devrions avoir des accords bilatéraux avec le Bangladesh. Je ne suis pas d’accord avec les accusations du monde entier de « génocide » et de « nettoyage ethnique ». 

La mission d’enquête de L’Organisation des Nations Unies (ONU) n’aurait donc pas fait son travail correctement, d’après vous ?

Cette mission ne devrait pas être unilatérale mais multilatérale, avec des représentants du Bangladesh, de Birmanie, de l’ONU … Elle ne devrait pas être imposée par l’ONU. Ces immigrants ont attaqué des postes de police [en 2017], et l’armée a dû s’en occuper pour restaurer la paix et l’ordre dans la région. Il y a eu une sorte de réaction excessive de l’armée, mais l’armée n’a rien fait de mal, elle n’a pas commencé les combats.

Certaines critiques à l’international, et en Birmanie, dénoncent les élections comme manquant de transparence et d’égalité. Qu’en pensez-vous ?

Les élections ne seront pas transparentes et égalitaires. La Commission Electorale Nationale n’est pas très professionnelle : l’enregistrement des électeurs est chaotique. Nous ne pouvons pas sortir pour vérifier les listes électorales et en tant que parti politique, nous ne pouvons pas encourager nos électeurs à sortir pour le faire. Nous, ne pouvons pas corriger les erreurs. C’est le premier problème. Beaucoup de personnes n’ont pas de carte d’identité malgré leur situation régulière. En même temps, à cause de la Covid-19 et des restrictions de mouvement, du confinement nous ne pouvons pas faire campagne correctement. Mais c’est un « nouveau normal ». Nous nous orientons vers une campagne digitale mais nous ne savons pas si c’est efficace.

Mais nous ne voulons pas d’instabilité politique. Nous voulons des élections réussies, mais elles auraient dû être repoussées au maximum à deux mois, à la fin de Décembre. Or le processus a déjà commencé : les résidents à l’étranger ont déjà commencé à voter, et les votes anticipés vont bientôt être recueillis. C’est trop tard pour repousser.

L’un des obstacles majeurs à la liberté d’expression politique est la censure du discours, subie, entre autres, par le People’s Party, ou le blocage de posts sur Facebook. Votre parti en a-t-il été victime ?

Il nous est arrivé la même chose. MRTV, la chaîne gouvernementale, autorise les partis à diffuser leur programme pendant 15 minutes. Nous devions envoyer notre discours en avance, et ils l’ont censuré. Contrairement au People’s Party, nous avons décidé de diffuser notre contenu sur MRTV, tout en dénonçant la censure de notre discours. Ils violent un principe démocratique, c’est injustifié.

Merci pour votre temps. Avez-vous un message à ajouter ?

Je voulais saluer les étrangers présents en Birmanie, leur souhaiter de faire prospérer leur entreprise dans le pays, de passer un bon séjour et de rester en bonne santé.

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