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Des nouveaux partis pleins de promesses

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Publié le 24 septembre 2020

Le paysage politique de la Birmanie semble aujourd’hui bien différent de celui du scrutin de novembre 2015, qui avait vu s’affronter les deux principaux poids lourds politiques des 15 dernières années : la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) et le Parti de l’Union, de la Solidarité et du Développement (PUSD), avec une victoire écrasante de la première. Le retour en force des partis ethniques, qui ne comptent plus laisser leur place au parti de la Dame, et l’émergence de nouveaux acteurs politiques de poids, qui comptent bien soustraire quelques voix aux deux géants, rendent le résultat des élections de novembre plus indécis et plus ouvert à des surprises que voilà cinq ans. Même si tous les observateurs s’accordent sur une victoire de la LND, très peu s’attendent à une vague rouge similaire à celle de 2015.

« La population n’est plus naïve », affirmait U Ko Ko Gyi, président du People’s Party lors d’une interview accordée à l’Irrawaddy en juillet dernier. People’s Party, Union Betterment Party, People Pioneer Party, Democratic Party of National Politics … Nombreuses sont ces jeunes formations, pour la plupart âgées de moins de deux ans, qui misent sur l’éducation politique de la population et l’arrivée dans l’électorat d’une nouvelle génération d’électeurs peut être plus enclins à s’exprimer hors du schéma partisan et simpliste LND contre militaires.

Ces ex-militaires qui cherchent à se réinventer en politique

L’Union Betterment Party (UBP) a été fondé en février 2019 par U Shwe Mann, ancien leader militaire et général à la retraite. Son parti présente des candidats pour tous les sièges du Parlement national, et quelques-uns aux Parlements régionaux et étatiques. L’ex-président du deuxième parti du pays, le Parti pour la Solidarité et le Développement de l’Union (PSDU), dit viser aujourd’hui l’obtention de 40 à 50% de tous les sièges en jeu avec l’UBP.

Celui que l’on connaît aussi sous le nom de Thura U Shwe Mann – « Thura » signifiant « brave », surnom donné pendant ses années au sein de la Tatmadaw, suite à ses campagnes contre l’armée ethnique Karen National Union à la fin des années 80 – entretient des relations particulières avec Daw Aung San Suu Kyi (ASSK), bien qu’ils appartiennent à deux partis historiquement opposés. Alors qu’il était porte-parole de la Chambre basse du Parlement en 2012, il a nommé la Prix Nobel de la paix présidente du Comité de l’Etat de Droit. Une faveur qui lui a été rendue en 2016. U Shwe Mann fut en effet évincé du PUSD en août 2015 suite à une lutte de pouvoir avec le président d’alors U Thein Sein. La Dame et son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), arrivés au pouvoir ont alors nommé U Shwe Mann président de la Commission d'évaluation des affaires juridiques et des questions particulières. La Commission a pour rôle – obscur - de filtrer les propositions de lois avant qu’elles n’entrent au Parlement. Un poste qu’il quittera pour fonder l’UBP en 2019.

Le programme de l’UBP est présenté en cinq points : travailler à la construction d'une union fédérale démocratique ; porter le développement économique comme nécessité fondamentale pour le développement du pays ; soutien à l'éducation, au développement des soins de santé et de la culture ; et instaurer un état de droit solide, la stabilité, l'égalité et la paix. U Shwe Mann a également ajouté que son nouveau parti travaillera à établir une constitution « qui convient au pays » ; sa mesure phare, l’abolition des 75% de votes parlementaires nécessaires pour amender la Constitution, lui a attiré les foudres de ses anciens collègues du PUSD, faisant de lui l’une des personnalités politiques les plus détestées par les électeurs pro-Tatmadaw après ASSK.

Les jeunes comme priorité

Officiellement, le parti compte aujourd’hui plus de 300,000 adhérents - d’après son président - et a ouvert des bureaux dans toutes les régions et états du pays, hormis Magwé. « Les jeunes auront la priorité et obtiendront des positions au sein du parti, selon leurs qualifications et leur motivation », a déclaré U Shwe Mann, indiquant que son parti souhaitait compter plus de jeunes candidats et convaincre un jeune électorat. « Les jeunes représentent un tiers de la population de Birmanie, et ils sont impliqués dans chaque secteur. Nous voulons les écouter et nous organisons ainsi des rencontres entre jeunes », a précisé le général à la retraite.

Aujourd’hui, comme dans les quelques mois précédant son éviction du PUSD en 2015, Shwe Mann affiche de plus en plus clairement ses ambitions présidentielles. Une perspective qui devient de plus en plus envisageable à mesure que les partis opposés à la LND se renforcent ; le politicien a déclaré que le résultat des élections pouvait priver la LND de sa majorité parlementaire, et qu’en toute logique, le parti sera poussé à former des alliances pour élire un président et former un nouveau gouvernement. Dans ce scénario, il lui apparaîtrait possible d’être choisi pour le poste de Président.

Le nationalisme comme seul programme politique

Le Democratic Party of National Politics a récemment fait parler de lui dans les journaux, suite à son annonce que seuls les candidats pouvant payer 300 000 kyats (environ 200 euros) pour couvrir leurs dépenses de campagne seront acceptés au sein du parti. D’après son porte-parole, Zaw Wait, le parti ne contribuera pas aux frais, et « une personne qui va servir le pays n’a aucune crédibilité si elle ne peut pas mettre trois lakhs (unité de mesure birmane pour 100 000 kyats) pour les élections. […] Nous n'acceptons pas les gens comme ça. Nous accordons vraiment la priorité à notre pays et nous voulons des personnes qualifiées ».

Le parti, fondé par le nationaliste et ancien général Soe Maung, existe depuis février 2019 et se définit lui-même comme « un parti construit avec des membres courageux dédiés à prendre des risques pour la cause nationaliste ». Leur programme ? S’opposer à toute tentative de nuire au nationalisme, et promouvoir l’unité du pays envers et contre tout ; une perspective qui semble laisser peu de place aux minorités ethniques. L’ex membre du cabinet du président Thein Sein, et actuellement président de l’association nationaliste Ra Hta Pa La, a annoncé que son parti possédait aujourd’hui 400,000 membres.

Alors qu’il se présentait comme candidat PUSD en 2015 dans le canton de Yesagyo, dans la région de Magway, Soe Maung a perdu contre un candidat LND. Il compte bien remporter ce siège en novembre. Ses candidats se présenteront dans les circonscriptions des états et régions de l’Ayeyarwady, du Mon, de Magway, du Kayah, du Shan et de Mandalay.

Les anciens partisans LND qui choisissent de supporter leur propre voix

Le People’s Party (PP) a été fondé en 2018 par une autre grande figure de la politique de ces dernières décennies : U Ko Ko Gyi, l’un des leaders étudiants du mouvement pro-démocratie de 1988 intitulé « 8888 ».

L’objectif d’U Ko Ko Gyi et des membres du parti, pour la plupart anciens étudiants appartenant au mouvement, est de concrétiser les demandes formulées au sein de 8888 : faire de la Birmanie une véritable démocratie, et améliorer les conditions d’éducation et d’accès à l’emploi pour tous. En 2015, avant l’accession au pouvoir de la LND, les anciens leaders étudiants, pour la plupart fraîchement revenus de leur exil politique, ont gravité autour du parti et ont apporté leur aide et leur soutien aux candidats de ce parti. Mais beaucoup se sont sentis floués d’être écartés de tout poste à responsabilités et d’être même marginalisés après la victoire de la LND. Tous n’ont cependant pas retiré leur soutien à ASSK, car comme l’a déclaré Ko Pyone Cho, autre ancien leader de 8888, cinq ans est une durée trop courte pour mesurer la capacité d’un gouvernement à délivrer ses promesses : « Elle devrait être autorisée à continuer à travailler pendant les cinq prochaines années ».

Comme pour l’Union Betterment Party (UBP), le People’s Party souhaite donner de la voix à la jeunesse et voit cette nouvelle génération, qui n’a pas connu la révolution de 1988 ni les pires années de dictature, comme porteuse de changement. « Je voudrais exhorter, pour la première fois, les électeurs de 18 ou 19 ans à voter activement en examinant tout attentivement. Si possible, je voudrais les exhorter à s'engager dans la politique non seulement en tant qu'électeur, mais aussi en tant que personne pour créer des opportunités pour eux, par eux-mêmes, malgré l'âge minimum de 25 ou 30 ans pour se présenter aux élections », a déclaré U Ko Ko Gyi à l’Irrawaddy en juillet dernier.

Cinq millions de nouveaux électeurs en novembre 2020  

En effet, sur les 37 millions d’électeurs du pays, cinq millions voteront pour la première fois, et l’écrasante majorité d’entre eux sont des jeunes ayant atteint l’âge de voter. Le pari du PP de miser sur la jeunesse semble bienvenu mais la formation semble loin des moyens de ses ambitions et de son discours. Le PP a par exemple récemment annoncé ne présenter que huit candidats dans trois circonscriptions dans la région du Tanintharyi. U Ko Ko Gyi a justifié cette décision par un manque de préparation, ce qui empêche le parti de candidater pour un plus grand nombre de sièges, tout en respectant le nombre minimal de circonscriptions – trois - pour rester enregistré en tant que parti politique d’après la Loi sur l’Enregistrement des Partis Politiques. Dans cette région du Sud où l’économie tourne essentiellement autour de la pêche, l’ex leader étudiant a annoncé que le programme du PP se concentrerait sur ce secteur.

Un autre visage a fait la Une des médias anglophones la semaine dernière : Celui de U Naing Thu Latt, le candidat de la circonscription d'Insein pour le PPP au parlement régional de Yangon. Plusieurs vidéos en ligne montrent U Naing Thu Latt encourageant la police à réprimer des manifestants pour la paix à Tamwé. Le politicien a été critiqué comme étant un proche de Swan Ar Shin, un groupe soutenu par l’armée birmane et connu pour sa répression des dissidents politiques pendant le régime militaire. Il est également qualifié de nationaliste et aurait des liens étroits avec la désormais interdite Association pour la protection de la race et de la religion, mieux connue sous l'acronyme birman Ma Ba Tha, formée par des moines bouddhistes extrémistes.

Malgré ces débats, Dr. Daw Thet Thet Khine, fondatrice et présidente du PPP, n’envisage pas de le destituer. « Notre parti ne punira personne de manière imprudente pour son passé si nous ne savons pas exactement ce qui s'est passé. En tant que membre du parti et candidat, il n'a pas violé la politique et les règles du parti. Que son attitude penche vers le nationalisme et les intérêts nationaux n'est pas un crime », a-t-elle déclaré.

Le parti des exclus de la LND

Le People’s Pioneer Party (PPP), qui disputera 248 sièges pour la plupart régionaux le 8 novembre, est également célèbre pour soutenir le premier candidat ouvertement gay du pays. Le slogan du parti fondé en 2019, « nos vies, nos emplois, notre futur pour tous », s’inscrit avec perspicacité dans le contexte actuel de baisse du PIB et de l’augmentation du chômage suite aux mesures prises contre la pandémie de Covid-19.

Dr. Daw Thet Thet Khine est femme d’affaires et ex-membre de la LND. Son parti a fait de la lutte contre la pauvreté son cheval de bataille, et suit les principaux axes du programme du parti au pouvoir : soutien aux agriculteurs, augmentation des revenus des ouvriers d’usine et des entrepreneurs jusqu’à 20%, développement de Zones Economiques Spéciales et Frontalières, soutien aux projets lancés par la Chine sur le territoire, alignement des politiques régionales et étatiques avec celles du gouvernement central, protection de l’environnement …

Le PPP compte environ 40% de femmes parmi ses candidats, et a été bâti avec d’autres membres de la LND qui, comme Daw Thet Thet Khine, étaient en désaccord avec la politique du parti de la Dame. U Kyaw Zaya, ancien vice-président de la LND, a rejoint le PPP après avoir été évincé du parti en 2019 pour non-respect du règlement. Les candidats visent tous les sièges de la Chambre basse du Parlement et ceux du Parlement de la région de Yangon, en plus d’une dizaine de sièges de la Chambre Haute, et des deux postes de Ministre des Affaires Ethniques régional. 

Quelques « challengers » hors catégorie

L’United Political Parties Alliance – dont nous avions parlé dans l’article de la semaine dernière en tant que « nouvel » acteur politique de 2020, malgré sa création il y a plusieurs décennies – est à la fois considéré comme un parti ethnique et un parti d’opposition aux deux grands leaders du paysage politique, puisque ce qui fait sa force – le rassemblement sous une même bannière de plus d’une quinzaine de partis ethniques de différentes régions et états – en fait à la fois un candidat sérieux pour le Parlement national comme les Parlements régionaux et étatiques, malgré l’absence dans ses rangs des partis arakanais majeurs et du plus grand parti Shan, le Shan Nationalities League for Democracy.

Selon cette alliance, la LND n'a pas fait assez pour le développement de leurs états ethniques respectifs, et par conséquent l’union est la meilleure voie, dans l’optique d’obtenir une majorité pour former un gouvernement eux-mêmes, ou bien pour construire une coalition gouvernementale avec des partis pouvant garantir le respect des droits ethniques et chercher à former des états fédéraux en 2020.

Enfin, même s’il ne s’agit pas d’une candidature soutenue par un parti, il peut paraître important de mentionner le candidat libre U Moe Yan Naing, qui a lancé sa campagne en porte-à-porte début septembre. L’ancien capitaine de police a gagné en notoriété auprès des activistes pour la liberté d’expression suite à son témoignage révélant que les reporters Wa Lone et Kyaw Saw Oo avaient été piégés par la police en 2018. Les deux journalistes de Reuters enquêtaient sur le massacre supposé de dix hommes musulmans en 2017, dans le village arakanais d’Inn Dinn, et ont été arrêtés pendant un rendez-vous avec des membres des forces de police, qui étaient censés leur fournir des preuves.

Pas de coalition à l’horizon

Le témoignage de U Moe Yan Naing n’a cependant pas permis d’écourter le séjour derrière les barreaux des jeunes journalistes et lui a valu de surcroît un an de prison. Sorti l’année dernière, il a choisi de se présenter dans la circonscription de Khin-U et compte délivrer personnellement son programme électoral aux quelques 70 villages de la circonscription. Ses principaux opposants seront la LND, le PUSD et l’UBP.

D’autres partis, comme le National Unity Party (formé par un ancien membre du PUSD), ou le Democratic Party (fondé en 1988 par un ex-prisonnier politique), pourraient également décrocher quelques voix aux deux partis principaux. Contrairement à 2015, la division des voix de l’électorat, anticipée par la majorité des observateurs locaux et internationaux, devrait donner une victoire plus mitigée à la LND.

En revanche, la création d’un gouvernement de coalition, espéré par beaucoup de partis ethniques et d’opposition, reste une hypothèse peu probable : même si un accord fini par être nécessaire entre la LND et d’autres partis pour élire un président pro-démocratie, c’est à ce dernier que revient la constitution de son gouvernement, et les pouvoirs qui lui sont conférés lui permettraient, en théorie, de ne pas tenir compte d’arrangements préalablement établis avec les partis minoritaires.

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