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« Il faut un équilibre politique incluant militaires et minorités »

U Ko Ko Gyi people's party election myanmar birmanie novembre 2020U Ko Ko Gyi people's party election myanmar birmanie novembre 2020
U Ko Ko Gyi
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Publié le 8 octobre 2020

U Ko Ko Gyi apparaît souriant sur Zoom. Derrière lui, un drapeau rouge et jaune occupe tout l’écran, celui du People’s Party dont il est l’un des fondateurs. L’ex-leader étudiant de la révolution de 1988 a répondu en français à notre email d’invitation pour une interview. En riant, il explique avoir appris la langue de Molière en secret, dans la cellule de prison où il a atterri après avoir participé à une manifestation de soutien à Aung San Suu Kyi en 1991. « Après [ma libération], lorsque je suis allé en France, j’avais un ami français qui ne parlait pas un mot d’anglais donc j’ai fait de mon mieux pour parler en français. Mais j’en ai oublié une bonne partie aujourd’hui », précise-t-il en anglais.

Une vie de militant

L’histoire personnelle d’U Ko Ko Gyi fait écho aux bouleversements politiques qui ont secoué le pays ces dernières décennies. En 1988, alors qu’il était étudiant en Relations Internationales, le jeune homme dirige un rassemblement pacifique pro-démocratie avec ses collègues sur le campus de l’Université de Yangon. Il devient Vice-Président de l’All Burma Federation of Student Unions.

Cette même année, les espoirs de démocratie de la jeunesse birmane créés par le départ de Ne Win disparaissent presque tout de suite avec l’arrivée d’une nouvelle junte et Ko Ko Gyi est brièvement arrêté pour deux mois. En 1990, Daw Aung San Suu Kyi est placée en résidence surveillée. Elle est honorée du Prix Nobel de la Paix l’année suivante. Cette même année 1991, U Ko Ko Gyi écope d’une seconde condamnation, plus lourde, pour son implication dans une manifestation de soutien de la Dame à l’Université de Yangon. Le militant pour la démocratie restera vingt ans derrière les barreaux d'une vraie cellule, auxquels s’ajouteront cinq ans et demi en vertu de l’article 10(A) de la loi sur la protection de l’Etat.

Libéré en mars 2005, il reprend ses activités pro-démocratie, fait partie des fondateurs du groupe militant Génération 88 et alterne entre séjours en prison et manifestations. Une grâce présidentielle en 2012 met fin à ce cycle alors qu’il purgeait les premières années d’une peine de 65 ans et demi de prison. Depuis, le militant est devenu observateur des discussions sur la paix au Myanmar Peace Center, et membre de la Commission d'enquête de l’État d’Arakan pour faire la lumière sur les accusations de violence de l’armée birmane.

« Je connais la vie des gens ordinaires »

Lors des élections parlementaires de 2015, c’est avec surprise qu’il constate que son nom n’a pas été retenu pour faire partie des candidats de la liste de Ligue Nationale pour la Démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi. Il décide alors de rassembler quelques militants de Génération 88 et fonde le People’s Party (PP) en 2018, pour « jouer un rôle direct dans l'arène politique afin de faire progresser la vision démocratique en Birmanie », explique-t-il.

Le programme politique du PP s’adresse essentiellement aux populations les plus pauvres du pays. « Je connais la vie quotidienne des gens ordinaires car nous venons du même milieu », explique U Ko Ko Gyi. Augmenter le salaire minimum obligatoire, améliorer l’accès à la nourriture, renforcer la sécurité de l’emploi : pour lui, développement économique et évolution politique vont de pair, et améliorer les conditions de vie de la population pourra se faire en parallèle des progrès vers une Birmanie fédérale. « Dans notre pays, l’espérance de vie est faible par rapport à d’autres. Par conséquent, l’utilisation de produits chimiques dans l’alimentation, les médicaments et l’eau potable doit être contrôlée », précise-t-il en ajoutant que la qualité de l’air faisait également partie de ses préoccupations. Le système bancaire mérite aussi son lot de réformes, en baissant par exemple le taux d’intérêts bancaires pour les entreprises locales, « difficulté majeure pour concurrencer les investisseurs internationaux », d’après lui.

Sans oublier le rôle essentiel de l’éducation. « Nous n’aimions pas être oppressés quand nous étions étudiants il y a 32 ans. Et c’est dans la nature des jeunes de prendre des risques », explique-t-il en précisant ne pas vouloir influencer l’opinion de la jeunesse mais lui fournir des outils pour lui permettre de prendre ses propres décisions. Ce que selon lui le gouvernement actuel n’aurait pas privilégié : « La LND n’a pas su donner de la liberté sur les campus. Les syndicats étudiants doivent être autorisés à se former librement ». Son but ultime : améliorer l’accès à l’éducation, créer de l’emploi pour les jeunes, et freiner ainsi l’immigration de la jeunesse vers les pays étrangers.

Encore victime de la censure en 2020

U Ko Ko Gyi est candidat dans sa circonscription de South Okkalapa, à Yangon, et les 143 autres candidats du PP se présenteront dans toutes les régions du pays, sauf l’Arakan, le Kachin et le Kayah, où la jeunesse et l’inexpérience du parti ne lui a pas laissé le temps de finaliser les démarches administratives d’enregistrement.

Le parti a toutefois décidé d’annuler sa campagne à cause des dangers de la Covid-19, et il rencontre des difficultés pour diffuser son message. Le discours officiel du PP a été censuré à la télévision gouvernementale, pour des raisons obscures. « Dans notre discours, nous avions étudié les statistiques sur les taux d’intérêts bancaires de notre pays par rapport à ceux d’autres pays de l’ASEAN, en soulignant que ces taux étaient plutôt élevés dans notre pays pour les entreprises locales ». Cette partie a été censurée et le PP a décidé de retirer le discours de la chaîne de télévision et de le publier dans son intégralité dans les journaux privés.  « Nous pensons que de telles modifications des déclarations politiques violent les normes et les pratiques les plus fondamentales de la démocratie », explique-t-il en brandissant l’un de ces journaux à l’écran de l’ordinateur. Les parties censurées ont été surlignées en jaune. Elles représentent un bon quart du discours.

U Ko Ko Gyi nous montre également à l’écran la page Facebook de son parti, et son dernier post présentant son programme, qu’ils ont voulu sponsoriser pour atteindre une plus grande audience. Mais le post est bloqué par Facebook, sans raison évidente. « Je pense que l’équipe de modérateurs birmans de Facebook est très injuste. […] Il y a beaucoup de violations de la liberté d’expression ces jours-ci », conclut-il. Il note que plusieurs autres partis ont subi la même censure de la part du géant des réseaux sociaux et de la chaîne gouvernementale, comme le Democratic Party for a New Society, composé d’autres anciens étudiants de 1988, le Chin National League for Democracy, le Dawei Nationalities Party, ou encore le Danu Party. Un obstacle conséquent lorsque la campagne en présentiel est impossible, et qui alimente les tensions. « Avant, les GIFs des autres partis n’étaient pas autorisés sur Facebook, et seuls les GIFs représentant la victoire de la LND étaient visibles. Ce n’est qu’après de longues discussions sur les réseaux sociaux que les autres GIFs ont été autorisés », explique-t-il.

La mise à jour des listes électorales, frein à la transparence des élections

Facebook est largement utilisé en Birmanie, avec plus de 22 millions utilisateurs, soit environ 40 % de la population. L’application est souvent installée par défaut sur les téléphones vendus dans le pays. Après plusieurs scandales sur son manque de modération des contenu haineux, l’entreprise avait promis d’embaucher plus de modérateurs birmans et d’être particulièrement vigilante pendant la période de campagne face aux mensonges, les « fake news » anglo-saxonnes. La campagne en présentiel étant quasi impossible dans le pays suite aux mesures de prévention contre la Covid-19, il est logique que les partis se tournent vers Facebook pour faire passer leur message. « Il n’y a pas d’autres moyens et nous avons déjà tout essayé », déplore Ko Ko Gyi. Les journaux publics restent soumis à un certain niveau de contrôle de leur contenu et les partis n’ont pas le droit de faire campagne sur les chaînes de radio et de télévision publiques, ce qui arrange évidemment le parti au pouvoir qui lui peut accéder facilement à ces médias sous couvert d’action gouvernementale.

En revanche, la rumeur qui explique que le PP a fait partie d’une demande collective pour repousser les élections est effectivement une « fake news », en ses propres termes. U Ko Ko Gyi explique que son parti se trouvait être là lors d’une conférence de presse sur le sujet, et ses représentants ont simplement fait part de leurs inquiétudes concernant la gestion d’une campagne et la tenue d’élections pendant une pandémie.

Au-delà de ces interrogations, c’est la bonne mise à jour des listes électorales qui reste le principal frein à la transparence des élections, du point de vue de l’ancien militant étudiant. La date limite à laquelle les électeurs doivent avoir validé leurs informations personnelles sur les listes est fixée au 14 octobre mais les mesures de confinement empêchent les déplacements. « Il existe un site en ligne pour consulter ces listes mais le serveur informatique plante en permanence à cause du trop grand nombre de visiteurs », déplore-t-il, en citant des irrégularités dont il a été témoin, comme des électeurs ayant atteint 18 ans mais absents des listes, ou des noms inscrits en double. Des irrégularités notoires et dénoncées par tous les partis en lice.

Même si la perspective de la formation d’un gouvernement de coalition reste peu probable, U Ko Ko Gyi reste persuadé des opportunités de développement du pays que cela représenterait. En matière d’infrastructure, d’éducation ou de santé, par exemple, le politicien considère que beaucoup pourrait être fait sans avoir besoin de réformer la Constitution ou de diminuer le pouvoir de l’armée. « Nous blâmons facilement l’armée, mais nous savons maintenant comment coopérer elle », explique-t-il, allant ainsi à l’encontre de l’un des chevaux de bataille de la LND. « Un certain nombre de changements peuvent être effectués dans le cadre de la Constitution actuelle ».

« Nous voulons aussi faire savoir à tous, étrangers comme locaux, ce qui se passe dans notre pays », conclut-il. « S’accuser les uns les autres est facile. Mais nous essayons de résoudre nos problèmes et de trouver une solution pour notre pays. L’important aujourd’hui, c’est de trouver un équilibre politique entre chacun, y compris les religieux, les militaires et les minorités ethniques. Nous essayons de trouver un terrain d’entente pour coopérer tous ensemble ».

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