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« Les causes que j’ai défendues ont gagné devant l’Histoire »

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François Roux, chef du Bureau de la défense du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL)
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Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 novembre 2017

François Roux, chef du Bureau de la défense du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) a récemment publié Justice internationale, la parole est à la défense, aux éditions Indigènes. Invité au Salon du livre francophone de Beyrouth, l’avocat français a répondu à nos questions.

 

Comment et pourquoi avez-vous choisi de devenir avocat de la défense?

Ma première vocation était d’être pasteur. Puis j’ai fini par épouser une autre robe, qui s’est finalement révélée être la même.

Ce qui m’a toujours intéressé dans la profession, c’était d’accompagner des mouvements sociaux et politiques, comme la lutte des paysans du Larzac, celle des indépendantistes en Polynésie française ou celles des Kanaks en Nouvelle-Calédonie. Accompagner ces luttes me paraissait juste. Je voulais leur donner une parole et traduire sur le plan juridique ce que ces luttes disaient, y compris en défendant des militants lorsqu’ils étaient poursuivis par la justice. J’ai eu l’occasion de dire que toutes les causes que j’ai défendues ont gagné devant l’Histoire. A l’époque, je disais aux juges : « l’Histoire leur donnera raison ! Aujourd’hui, vous les jugez mais c’est l’Histoire qui vous jugera ».

 

Vous avez poursuivi votre carrière dans le domaine de la justice pénale internationale…

C’est parce que je crois à sa nécessité. Dès lors que des gens sont poursuivis devant un tribunal, quel que soit la gravité des crimes pour lesquels ils sont accusés, il faut des avocats qui se lèvent et qui les défendent. On ne peut pas faire de procès s’il n’y a pas de défense. C’est pour cela que de très nombreux avocats engagés dans les Droits de l’Homme défendent les pires crimes comme le génocide devant les tribunaux pénaux internationaux.

Le premier client que j’ai défendu, j’étais convaincu de son innocence. Le procureur s’était trompé. Il arrive souvent que les avocats permettent d’éviter des erreurs judiciaires.

D’autres fois, j’ai, au contraire, accompagné des individus qui reconnaissaient leur culpabilité, au Rwanda ou au Cambodge. Pour l’avocat et l’ex-futur pasteur que j’étais, c’était un travail tout à fait particulier. Je me rappelle avoir dit au juge, lors du procès d’un tortionnaire Khmer Rouge : « Allez-vous pouvoir ramener dans l’humanité celui qui a commis des crimes contre l’humanité et qui s’en repent ? » C’est le summum de ce que peut faire un avocat devant des juges. Devant tant de crimes, être debout à côté d’un homme et dire au juge que ça reste quand même votre frère. J’ai trouvé, même chez les gens accusés des pires crimes, de l’humanité.

 

Etes-vous satisfait de la création du bureau de la défense au sein du TSL ?

La création de ce bureau restera comme un des acquis majeurs du TSL qui a fait faire d’énormes progrès à la justice pénale internationale. C’est symboliquement très important de considérer que la défense a toute sa place dans un procès pénal international. La communauté internationale est partie si loin dans l’idée que ces tribunaux étaient là pour empêcher l’impunité qu’on en a oublié la défense. Je dis toujours, comme la Cour européenne des droits de l’Homme, que les avocats sont des acteurs de la justice.

Je souhaite remettre les acteurs de la justice à la place qui est la leur, celle de contradicteur du procureur. Le principe même d’un procès, c’est le contradictoire. Face à un procureur qui accuse, il faut un avocat qui défende et des juges qui tranchent. En considérant que les crimes étaient graves, ceux qui en sont les accusés sont tous, par défaut, présumés coupables.

 

Quel serait les bénéfices que pourraient tirer le Liban des travaux du TSL ?

Mon travail est d’installer la défense dans le paysage de la justice pénale internationale. On n’est pas encore arrivé au bout mais on a fait un grand pas en avant avec le TSL.

Malgré les limites de ce qu’on aura accompli, notamment sur la manifestation de la vérité, tout le monde devra accepter l’idée qu’il y a eu de très longs débats et que la justice sera rendue sur la base de ces débats. Personne ne pourra dire que cela a été un procès bâclé. L’héritage pour le Liban ? La tenue d’un vrai procès qui aura pris le temps et le rendu d’un jugement.

Il est également important pour le Liban qu’on ait pris au sérieux la législation libanaise puisqu’on l’a intégré au moins dans les textes, même si pas suffisamment à mon goût. On espère que tout le monde respectera la décision qui sera rendue, quelle qu’elle soit.

 

Le TSL va-t-il contribuer à la promotion de la culture juridique libanaise ?

En tous cas, il aura redonné confiance à certains juristes libanais qui doutaient de leur propre justice. Ils se diront que, finalement, la justice libanaise a ses défauts, tout comme la justice occidentale.

 

Vous êtes connu pour avoir représenté José Bové, Dieudonné et Zacharias Moussaoui (reconnu coupable de complot en liaison avec les attentats du 11 septembre 2001). Que retenez-vous de ces procès ?

Lorsque Dieudonné a décidé de rallier le Front National, j’ai décidé de ne plus être son avocat puisque c’était totalement contraire à mes opinions. Au départ, Dieudonné défendait des thèses compatibles avec les Droits de l’Homme avec lesquelles je ne pouvais qu’être d’accord.

José Bové défend une conception de la société plus écologique, sociale, en prise avec les droits humains, dans laquelle je me retrouve tout à fait. Nous nous retrouvons également sur la non-violence et partageons les mêmes sources d’inspiration comme Gandhi ou Martin Luther King.

Pour Moussaoui, je me suis engagé contre la peine de mort. C’est la première fois que j’étais confronté à un crime terroriste. Il est tragique de voir comment un garçon gentil, doux, et en couple peut basculer dans le terrorisme et la radicalité.

 

Vous dites souvent que vous avait été influencé par la philosophie de Gandhi. Quels conseils Gandhi, ou vous-même, pourriez-vous donner aux Libanais ?

Je ne me permettrais pas de donner de conseils aux Libanais, mais je pense que Gandhi a montré toute sa vie une capacité à s’engager. Quand il tenait à une cause, il y allait jusqu’à risquer sa vie mais en respectant toujours ses contradicteurs et en s’adressant à leur conscience.
Il faut s’engager ! Un de mes maitres, Stéphane Hessel, avait cette belle phrase : « Résister,  c’est créer ; créer c’est résister ! ».

Il y a une histoire que j’aime beaucoup :

Le sage demande à ses disciples :

- « Comment voyez-vous que l’on passe de la nuit au jour, des ténèbres à la lumière ?

Le premier disciple répond :

« Maitre, peut-être quand on commence à distinguer la couleur du figuier ? »

« Non ! » répond le sage

« Peut-être quand on commence à distinguer les contours du Mont-Liban ? »,

« Non », répond le sage, « quand dans les yeux de l’autre tu peux reconnaitre ton frère. »

 

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