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Le Liban s’est construit à travers les crises d’Orient du 19ème siècle

Henry LaurensHenry Laurens
Écrit par Léo Mineur
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 14 novembre 2017

A l’occasion du Salon du livre francophone de Beyrouth, l’historien auteur d'ouvrages de référence sur le monde arabe est venu présenter son dernier ouvrage « Les crises d’Orient », aux éditions Fayard.

 

Il y a une profusion de livres traitant du Moyen-Orient à travers le prisme géopolitique ou religieux. Face à ce récent engouement qui doit beaucoup à l’actualité, pourquoi avoir fait le choix d’une approche purement historique de la région ?

L’actualité sur le Moyen-Orient suscite depuis longtemps beaucoup de livres. C’était déjà le cas au milieu du 18ème siècle dans cet espace qui ne s’appelait pas encore le Moyen-Orient. J’ai essayé de montrer dans ce livre que ce que nous voyons aujourd’hui n’est que la poursuite d’un schéma géopolitique qui s’est mis en place à la fin du 18ème siècle qui fait que tout acteur politique dans la région a dans son intérêt la nécessité de trouver des soutiens extérieurs. Tous ont les mêmes raisonnements et, par conséquent, chaque zone conflictuelle dans la région répercute des jeux de force locaux, régionaux et internationaux. On le voit malheureusement très bien dans la crise syrienne actuelle mais c’était déjà valable il y a un ou deux siècles.

 

Vous montrez dans votre livre que la question d’Orient est devenue très tôt un enjeu crucial pour les puissances occidentales. Peut-on distinguer des similitudes ou des différences entre les rapports de force actuels et ceux à l’œuvre au XIXème siècle ?

Il y a évidemment des différences dans la mesure où il y avait, au XIXème siècle, un grand empire, l’Empire ottoman, dans lequel il y avait déjà des luttes d’influence entre les puissances occidentales. A la même époque, il y avait également un jeu à deux entre la Russie et la Grande-Bretagne le long de la route des Indes puis, un jeu multipolaire entre les six signataires du traité de Paris de 1856, à savoir la France, la Grande Bretagne, la Prusse qui deviendra l’Allemagne, le Piémont qui deviendra l’Italie, la Russie et l’Autriche.

Sur le 20ème siècle, c’est plus compliqué. D’abord parce que l’Empire ottoman disparaît à un moment d’hégémonie britannique pendant l’entre-deux guerres, mais aussi l’entrée en scène des Etats-Unis durant la Seconde guerre mondiale et le retour de la Russie à partir des années 1950 après la mort de Staline. A partir de ce moment-là et pendant environ une trentaine d’années, les luttes régionales se sont intégrées au conflit de la Guerre froide. Il y a eu ensuite beaucoup d’autres conflits mais la syntaxe est toujours la même, c’est-à-dire des jeux d’ingérence, d’implications, des interventions dites d’ordre humanitaire et des mobilisations des opinions publiques que l’on a déjà eu au 19ème siècle et que l’on le retrouve aujourd’hui.

 

Vous êtes aujourd’hui au salon du livre à Beyrouth. Quelle place occupe le Liban dans « les crises d’Orient » ?

Le Liban s’est justement construit à travers les crises d’Orient du 19ème siècle. A partir de la dissolution de l’Emirat de la montagne au début des années 1840, le jeu des puissances s’est exercé de façon très forte. Les Français étaient devenus les protecteurs des maronites et les Anglais, les protecteurs des druzes. Une petite querelle dans un village de la Montagne entre un paysan druze et un paysan maronite amenait une intervention des consuls de France et de Grande-Bretagne à Beyrouth. Si cette intervention ne suffisait pas, on amenait le litige aux ambassades à Constantinople et si ça ne suffisait toujours pas, on allait discuter entre Londres et Paris. Dans les archives diplomatiques européennes, il y a des énormes dossiers sur les affaires de la montagne libanaise.

 

La question d’Orient était donc auparavant en quelque sorte une question d’Occident. Peut-on dire qu’avec le retour en force des puissances régionales comme l’Iran et l’Arabie saoudite que la question d’Orient est devenue une question dont se sont emparées les puissances d’Orient ?

En 1922, l’historien britannique Arnold Toynbee a publié un livre intitulé, La question d’Occident en Grèce et en Turquie. Il donne deux sens à cette question : le premier, évident, c’est que la question d’Orient implique des puissances occidentales ; le second désigne l’occidentalisation des sociétés du Proche-Orient, en particulier avec la construction des Etats nations. Ceci reste aujourd’hui un sujet majeur puisque la stabilité des Etats reste une question cruciale dans cette région du monde.

 

La période que vous couvrez dans votre livre s’étale de 1768 à 1914, comptez-vous écrire une suite sur les crises d’Orient au XXème et XXIème siècles ?

Oui, la suite est en cours d’écriture et sortira dans deux ans.
 

 

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