De la France à l’Allemagne, du théâtre aux open mic, en passant par un recueil de poèmes et, tout récemment, un EP : Nino Toucan explore son identité à travers les mots. Catharsis, terrain de jeu, acte de réparation, l’écriture l’aide à se réinventer, au-delà du poids de sa culture et de son histoire familiale. À Berlin, où il vit depuis un an et demi, il a enfin trouvé sa place. Et comme l’oiseau coloré de son nom de scène, remet de la joie et de la légèreté dans sa vie.


De La Rochelle à Québec, avec la poésie en fil rouge
Nino vient de La Rochelle et n’est pas vraiment issu d’une famille d’artistes, mais ses parents, un prof de philo et une éducatrice clown amateur, lui ont transmis la sensibilité pour la scène, le sens et les mots.
Tout jeune, il rejoint un club de théâtre, une échappatoire précieuse. Puis c’est la poésie qui l’appelle. À Nantes, où il étudie la sociologie (“pour changer le monde ”), il va tomber sur un atelier de slam poésie.
J’ai découvert un monde génial de partage simple, avec des troubadours issus de plein d’univers différents, et ça a vraiment été une histoire d’amour.
Nino explore tout un réseau en France, un monde joyeux, pas codifié, et des passionnés, autant par le conte que le rap français, ou que la poésie classique.
Après Nantes, direction Québec. Une expérience enrichissante dans un environnement différent. Les femmes ont plus de place, on fait davantage confiance aux jeunes : il y a des directeurs de théâtre trentenaires, des bourses pour les jeunes artistes. C’est là-bas qu’il prend la décision de vivre de la poésie. Il commence à animer des ateliers d’écriture, et après un master de création littéraire, pendant trois ans, il y va à fond.
Nino écrit un spectacle et un recueil de poèmes 23 ans ou marcher pour vivre, slamme sous le nom d’Eniah, met un kiosque à poèmes dans les marchés rochelais, anime des scènes ouvertes et des ateliers d’écriture un peu partout : dans les écoles, les collèges, les lycées, les médiathèques, les centres sociaux, ESAT, EHPAD… et même dans un hôpital psychiatrique.
Il adore travailler avec plein de profils différents, s’amuse, reçoit beaucoup d’amour… et fait mentir ceux qui disaient qu’on ne peut pas vivre de la poésie. Nino devient d’ailleurs intermittent du spectacle : “Cela représentait énormément pour moi d'accéder officiellement au statut d'artiste ”.

L’exil, ou la libération des poids culturels et familiaux
Mais l’étape d’après, ce serait l’échelle nationale, et c’est là que le bât blesse. Le passage obligé par Paris pour faire éditer son recueil, la croix de tout artiste qui veut se faire connaître, ce n’est pas pour lui. Paris, c’est un autre monde, un monde violent, élitiste, qui impose – si on n’est pas fils ou ami de – de changer son art pour le faire adopter par les Parisiens. Et ça, pour Nino, c’est hors de question. Alors il auto-édite son recueil, part pour une tournée en France, puis direction Bruxelles, Bristol, Saragosse, Turin, Innsbruck.
Et enfin, Munich. C’est un peu le coup de foudre pour l’Allemagne. Il faut dire que Nino a toujours dit qu’"il faut penser allemand " à ses amis, un étrange appel à la rationalité et au pragmatisme.
En Allemagne, les codes sont différents, et lui vont mieux. Davantage d’ouverture, de profils internationaux, de possibilités d’expansion. Moins de séduction permanente, pro et perso – “c’est épuisant pour moi ", confie Nino.
Et aussi, un endroit où il peut s’éloigner des traumas familiaux. Son père a eu plusieurs épisodes dépressifs, d’hospitalisation. Sa mère a été victime d’un viol. Des choses pas légères, dans un pays où il y a déjà une certaine dépression ambiante.
L’histoire de sa mère, il la porte en lui. Ça a impacté beaucoup de choses, son rapport aux femmes, son rapport aux hommes. En France, il ne se reconnaît pas dans la définition poussiéreuse de la masculinité, la culture de la drague lourde limite harcèlement, l’omerta autour des viols, le poids du catholicisme.
Mon exil n’est pas fini, parce que je veux vivre dans des cultures où on voit les choses différemment. J'ai besoin de me construire avec un univers qui n'est pas celui du désespoir de certains épisodes de ma vie.
Berlin, l’espace pour créer et se réinventer
Nino arrive à Berlin en Flixbus, sans autre raison que son instinct, qu’il suit beaucoup. “J’avance et on verra bien ”, résume-t-il.
Derrière cette fuite, il y a plus qu’un exil personnel : une filiation silencieuse avec deux lignées de rupture. Celle des Huguenots d’abord, ces protestants rochelais qui, pour fuir la répression religieuse de Louis XIII, s’exilèrent au Québec, à Amsterdam, en Louisiane… et à Berlin (ndlr : en 1719, ils représentent 20 % de la population). “Comme eux, j’ai quitté la France parce que je n’étais plus d’accord avec certains fondements : la vision de l’église, des femmes, de l’autorité ”. Et celle de ses grands-parents communistes, qui, carte du Parti en poche, voyageaient dans les pays de l’Est, ouvrant la voie à son père, qui découvrit Berlin lors de vacances familiales. Un héritage d'insoumission !
Nino galère d’abord dans la restauration, avec l’angoisse de se retrouver à la rue. Mais il tient bon. Il crée. Il économise pour sortir son EP, Plumes d'hiver. Il suit son cap. C’est d’ailleurs à Berlin qu’il ose, pour la première fois, mettre des mots sur certains pans de son histoire familiale.
Je pense que je n'aurais jamais été capable de faire cet EP si je n'avais pas quitté la France. Ici, je me sens bien. Je peux dire des choses que je ne m’autorisais pas à dire avant.
Il crée, il raconte. Sa mère est au courant, et elle a validé d’un “ pourquoi pas ”. Une façon de rendre justice, peut-être.
Mais ce n’est pas toujours léger. Son EP lui sert d’exutoire, avec des morceaux profondément touchants, directs, sans fard, comme Papa veut mourir. “Les gens me disent que c'est un morceau fort. Et je pense que c'est le morceau où je suis le plus moi-même. Même si c'est dur. C'est un morceau, je pense, qui résume à lui tout seul pourquoi j'ai eu besoin de partir. ” confie-t-il.
À Berlin, il a l’impression que tout cela peut exister. Que les mots ne restent pas coincés. Que son histoire n’a pas à être tue. Et que les femmes y ont davantage de place. C’est ce qu’il aime ici. Des hommes plus discrets, moins de sexisme ordinaire, un rapport au corps différent. Moins de paternalisme, moins de patriarcat. “Ici, il me semble qu'on considère davantage ça comme un problème public que comme la responsabilité de la victime. C'est moins tabou parce que le sexe est moins tabou ici.”
Il donne un exemple : une agression sexuelle à Görlitzer Park, en 2023. “Les autorités ont sécurisé le parc et l’ont rendu plus familial. En France, j’ai du mal à imaginer ça. Ici, j’ai l’impression qu’on agit.”
Ce qu’il est venu chercher à Berlin ? La possibilité d’être lui-même. De fuir une histoire familiale et une culture qui lui pesaient. Une bouffée d'oxygène.
Je ne suis pas un expatrié, je suis un immigré, un exilé. J’ai fui l’impossibilité de respirer et de réfléchir.
Un monde à lui, qui met enfin de la musique sur ses mots
Aujourd’hui, Nino a trouvé “ son endroit ”. Il fait du stand up, a sorti son EP, et travaille comme surveillant à l’École Voltaire.
Un monde d’innocence où il se sent bien. Nino a ce besoin de se re-créer un univers, dans ses textes, dans son EP, dans ses raps, un univers à base de toucan (il a choisi ce nom parce que c’est gai et coloré, et un peu pirate, clin d’oeil à La Rochelle), à base de films, de références enfantines. Un monde à lui, loin du désespoir.
Et aussi un monde plus tolérant. Il le dit sans détour : il a été élevé par deux lesbiennes – pas un couple, mais sa mère (“qui était avec une femme avant mon père”) et sa sœur. “À Berlin, j’ai l’impression que globalement, les gens peuvent être beaucoup de choses sans qu’il y ait trop de sourcils qui se froncent.”
C’est important pour lui. Parce qu’il leur doit beaucoup, et qu’il se sent bien avec elles. En France, quand il disait ça, on lui rétorquait que c’était une technique de drague. Deux mondes, décidément.
Sa vie ici, et ses repères dans la capitale, tournent bien sûr beaucoup autour de la poésie.
L’Institut Français, avec ses cercles de lecture (“big up à Emmanuelle ”, dit-il) et sa médiathèque, tellement riche, et avec lequel il a un lien particulier puisqu’il est physiquement à sa place dans leur rayon avec son recueil. Il est fier.
Le Laksmi Bar et ses open mic du mercredi. Le Deriva et le QG où se déroulent les spectacles du Baguette Comedy Club.
Il aime aussi Donau115, un jazz bar, et le spot du Café am Engelbecken avec sa terrasse sur l’eau
Sans oublier l’École Voltaire - oui, il aime même son lieu de travail !
Nino ne sait pas si Berlin, c’est la fin du voyage. Mais il est heureux ici, et se sent enfin à sa place. Et avec son EP, pour la première fois, il y a de la musique sur ses mots. Une forme de légèreté qui s’est enfin glissée dans son histoire.
Suivez Nino Toucan sur Instagram pour son actu, et retrouvez son EP sur Bandcamp, Spotify ou Deezer.
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