Émilie Panisset et Pierre Barachant, tous les deux écrivains, sont venus s’installer à Berlin sur un coup de tête. Quinze ans plus tard, la ville continue de les retenir, même si la magie du Berlin d’alors s’est estompée. Ils racontent à cœur ouvert leur quotidien fait d’habitudes pas ennuyeuses, leur relation sans fard ni faux-semblants, avec l’écriture en fil rouge. Un besoin vital, presque autant que respirer.


Berlin : une idée folle, un nouveau départ
Émilie et Pierre vivent à Nyons, et Émilie tourne en rond, voire dépérit : une vie pas très stimulante, des difficultés à trouver du travail. Un soir, au détour d’un verre de vin dans un bistrot, Pierre suggère d’aller vivre à Berlin. Une idée qui ne vient pas complètement de nulle part : quand elle avait 16 ans, Émilie a fait un séjour dans la capitale allemande, où elle s’est sentie tellement bien que le retour en France a été difficile.
Quand Pierre m’a proposé Berlin, je lui ai dit qu’il était fou, qu’il faisait froid, qu’il ne parlait pas allemand et ne trouverait jamais de travail là-bas. Il m’a répondu qu’on s’en foutait et qu’on verrait.

À partir de ce moment, tout s’enchaîne comme si Berlin, c’était leur destin. Ils rencontrent un couple de Berlinois à Nyons quelques jours avant le départ, qui va les aider à trouver leur premier appartement. À la cantine de la Regenbogenfabrik, un lieu alternatif où ils logent à leur arrivée, Émilie rencontre une traductrice qui lui offre du travail. Des débuts prometteurs, et même si les deux premières années sont rudes, financièrement, ils sont contents d'être là.
Une ville que l'on ne quitte plus
Et quinze ans plus tard, avec leurs deux enfants, ils sont toujours contents. Pourtant, Émilie et Pierre n’avaient pas prévu de rester. Pour ces voyageurs dans l’âme – à deux (ils sont partis vivre au Pérou peu de temps après s’être rencontrés !) ou en famille – le plan, à l’origine, c’était de changer de lieu de vie tous les deux ou trois ans. Ils racontent, amusés, une tentative complètement avortée de partir vivre à Barcelone. Tout était finalisé, mais une semaine avant le départ, Émilie craque : elle ne veut plus partir. Elle est bien à Berlin.
Ce n’était pas seulement une question de confort. Leur fille avait été gravement malade juste après sa naissance, une moche combinaison de virus, et a passé plusieurs semaines à l’hôpital, entre la vie et la mort. La qualité des soins reçus les a profondément marqués. Émilie, qui est bipolaire, a aussi besoin d’un bon suivi médical, qu’elle a trouvé ici. Et puis il y a l’attachement à la ville, à une forme de stabilité et de sécurité.
Le “problème” de Berlin, s’il faut lui en trouver un, c’est qu’elle met la barre haut. Une capitale entourée de forêts, une vie culturelle dense, des espaces verts partout, des quartiers où l’on respire. Depuis l’avion, on le voit : la ville est noyée dans la verdure. Là où ils habitent, cinquante mètres suffisent pour se retrouver en pleine forêt.
Même si Berlin s’est gentrifiée, pour moi, c’est toujours l’auberge espagnole. On y trouve ce qu’on cherche.

En quinze ans, la ville a changé, bien sûr. La gentrification a grignoté beaucoup de choses. À leur arrivée, Berlin était magique : il se passait toujours quelque chose, ça débordait d’initiatives artistiques, de lieux alternatifs, de concerts improvisés. Il y avait le Tacheles. Il y avait de la place pour créer. La ville a changé, mais elle garde une énergie qu’on peine à définir.
Et donc, ils sont toujours là. Aussi parce qu’une expatriation, repartir de zéro, ça demande de l’énergie. On la trouve quand on va mal quelque part. Mais quand on est bien… on reste.
S’ils sont ancrés à Berlin depuis quinze ans, la ville a peu d’influence sur leur travail. Pour eux, les lieux sont secondaires. Seul De poussière et de vent, écrit au Pérou, échappe à la règle. Même leur dernier roman, qui se déroule à Hauptbahnhof, pourrait se dérouler ailleurs : ce sont les trajectoires humaines qui comptent.
L’écriture en fil rouge de leur vie et de leur couple
Pour tous les deux, vivre sans écrire serait inimaginable aujourd’hui. Émilie écrit depuis toujours. Tous les jours, sans exception — Joies et Dolce Vita sont des recueils de poèmes écrits lors de séjours en hôpital psychiatrique. Des émotions brutes qui sortent. Elle rêvait d’être écrivaine, c’est Pierre qui l’a encouragée.
J'avais vu naître une écrivaine. Et pour moi, c'était un truc formidable, de voir la femme que j’aimais s'ouvrir à qui elle était réellement, à ce qu'elle avait envie d'être depuis toujours.
Pierre, lui, a commencé à écrire pour ne pas sombrer, à 30 ans. Après avoir connu la rue, la drogue et l’alcool, il décide de mettre fin à ses jours. Et c’est là qu’une voix (la sienne) lui intime l’ordre d’arrêter ses conneries et d’écrire. Sans plan ni projet littéraire, il écrit sans rien montrer, jusqu’à ce qu’une amie envoie ses textes chez un éditeur, et son premier livre Le Voyage incertain est publié. Et 19 ont suivi. Et aussi des articles, jouer dans un film, mettre en scène une comédie musicale. Chez Pierre il n'y a pas d'angoisse de la page blanche, c'est plutôt l'angoisse de la page écrite, dit-il en souriant.
Je n’écris pas pour les gens, pour plaire, ni pour séduire. J'ai toujours écrit pour me sauver la vie. Et puis pour apprendre à me connaître, me confronter à mes limites. J'ai toujours écrit parce que je dois écrire, c'est tout. Il n'y a pas d'autre raison.
Dans leur couple, l’écriture est un fil rouge, mais jamais un terrain de rivalité. Ils s’admirent (professionnellement et personnellement), se soutiennent, s’inspirent, et se comprennent parfaitement. Elle lui lit ses textes chaque jour, et c’est un moment privilégié pour tous les deux. Ils écrivent aussi à quatre mains, un chapitre chacun, en se lançant des défis narratifs et en se faisant des surprises.
Leur quotidien berlinois : une routine qui leur va bien
Rythmés par l’écriture et la vie de famille, les jours se ressemblent, mais sans que cela soit monotone.
Émilie écrit chaque jour dans un café du Märkische Viertel, après sa séance de sport du matin. Il n’a rien d’exceptionnel, ce café, si ce n’est sa proximité avec une maison de retraite, où des groupes de vieilles dames aux cheveux bleus ou violets papotent et rient : elle se dit que c’est elle et ses copines dans trente ans.
Alors qu’Émilie a toujours écrit dans des cafés (elle se souvient de journées entières à faire des traductions au Nothaft à Prenzlauer Berg), Pierre ne jure que par écrire à la maison, dans le calme absolu, et nulle part ailleurs. Deux styles, deux rythmes, une même régularité.
À part l’écriture, il y a des balades tous les deux et en famille, des cafés avec les copines. Un cercle d’amies qui s’est construit grâce aux enfants, et qui est devenu un soutien indéfectible, une vraie famille, une expérience de parentalité élargie.
Quant à Pierre, il admet ne pas avoir vraiment tissé d’amitiés masculines ici, mais ça ne lui pèse pas. Il le dit très clairement : tant qu’il a Émilie et leurs enfants, il ne lui manque rien.
Et pour tout le reste, il écrit. Il a commencé une quarantaine de livres, souvent laissés en plan, mais jamais oubliés. Il les laisse dormir, mais ils sont là. Il les relit, se dit « tiens, celui-là, peut-être ». Et il en commence un autre !
Pour découvrir leurs livres :
Émilie Panisset aux éditions Douro, sur Z4editions et sur Amazon.
Pierre Barachant est publié aux éditions Douro et sur Amazon.
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