Convaincre les Allemands d’agrémenter le traditionnel Abendbrot avec de la saucisse au roquefort, du caramel au beurre salé ou de la tapenade, c’est le challenge de Julien Sanchez, qui partage sa passion pour la gastronomie française sur les marchés de la capitale.
Un nouveau départ proche de ses racines
A Berlin, même si la ville change, on sent encore que tout est possible, y compris d’être soi-même, surtout comparé à Paris.
Quand on demande aux expatriés de tous pays ce qui les a amenés ici, on peut ranger les réponses en deux camps : une opportunité (études, travail, vie familiale) ou une forte attirance pour la ville et son parfum de liberté. Julien fait partie de la deuxième catégorie. Pendant 10 ans, il est venu régulièrement à Berlin, en vacances, en week-end, solo et avec des amis. Chaque visite confirmait la précédente. Mais sa vie est à Paris, à l’époque, cela ne semble pas réaliste. Sauf qu’après 15 ans à travailler dans la finance, il finit par en avoir fait le tour et décide de s’octroyer une pause de 6 mois pour réfléchir à la suite et enfin explorer la capitale, découvrir Berlin autrement qu’en touriste, et se faire plaisir.
C’est l’été 2020. Un mois de lacs, d’amis, de détente plus tard, l’envie de passer à l’action le démange. Oui, mais quelle action exactement ? Depuis longtemps, Julien a dans un coin de sa tête d’avoir une boutique. A mille lieux d’une salle des marchés parisienne ? Pas tant que ça. Il y voit un fil rouge : le sens et le goût du commerce, la négociation, la pédagogie, la compréhension des besoins du client.
Mais une boutique, c’est assez vague, il y a beaucoup de possibilités. Finalement, un choix s'impose : l’épicerie fine. Julien, qui vient du sud-ouest (comme en témoigne son accent) et dont la maman est une cuisinière hors pair, a le terroir et le goût de la bonne chère dans le sang. Il adore la “bonne bouffe”, la convivialité est vitale pour lui, et il y a une telle richesse dans le patrimoine gastronomique français que c’est une vraie aubaine pour lancer une activité dont il ne se lassera pas de sitôt. Autre avantage significatif, vu qu’il n’est pas exactement bilingue : c’est tout à fait le genre de commerce où un allemand approximatif est davantage un argument marketing qu’un obstacle ! Julien passe quelques mois Aux Merveilleux de Fred, où il découvre que l’appétence pour la gastronomie française est encore plus importante que ce qu’il croyait : les clients achètent un bout de culture, pas juste une pâtisserie.
C’est donc parti pour une épicerie fine. Sauf qu’on est en 2020, en plein covid, pas exactement le moment idéal pour ouvrir une boutique. La seule option, ce sont les marchés.
Trouver les bons produits… et les bons emplacements
Julien teste le format pendant quelques mois. Début 2021, convaincu, il se lance armé de son allemand approximatif et de sa bonne humeur dans les démarches administratives - selon lui, un très bon exercice pour mieux comprendre la culture allemande et apprendre à briser la glace.
Son assortiment de départ, pour tâter le terrain : mono produit, des saucissons. Le premier défi va être de trouver les bons marchés et de comprendre la clientèle locale et les différences culturelles selon les quartiers. Par exemple, le marché à côté du Tierpark est un flop total, les habitants du quartier n’ayant absolument aucune intention d’investir dans des produits gastronomiques ! La frontière culturelle est / ouest est toujours bien présente, même sans le mur. Pour bien choisir son marché, il faut aussi regarder la concurrence, et trouver où on a le plus d’affinité personnelle avec la clientèle, cela rend le travail plus facile et agréable.
Après un tour assez exhaustif des marchés berlinois, Julien arrête son choix sur Maybachufer, Mauerpark et Südstern.
Ce sont les clients qui décident de ton assortiment, pas toi qui leur impose. Ils t’aiguillent, tu affines ton offre au gré des discussions.
L’assortiment s’agrandit au fil du temps et des discussions. Forcément, quand Julien parle de saucisson, et décrit avec quel vin ou quel fromage il se marie tellement bien, les clients demandent lesdits vins et fromages. Parce que Julien n’est pas le genre de commerçant à s'asseoir et attendre. Il interpelle, il alpague, il fait des blagues, il donne un côté très ludique aux interactions. Quand il sert un client, il ne l’expédie pas. Pour lui, la pédagogie est un élément clé de son activité, c’est ce qui l’attire avant tout. Il ne s’agit pas de vendre un produit façon fiche technique. Il s’agit de raconter une histoire qui va faire saliver : d’où il vient, quelle est l’histoire de sa région, de son producteur, comment il se consomme, avec quoi il se marie. Tout un contexte, une culture, que Julien transmet avec passion et enthousiasme : il décrit ce qu’il aime dans ce produit, pourquoi il l’a choisi, comment il le mange, avec ses astuces personnelles. Pour vendre de la rouille à un allemand, qui n’a aucune idée de ce que c’est, il faut aller un peu au-delà du simple descriptif. Au final, le client achète une expérience qui l’inspire.
Pour faire grandir son offre, Julien part l’été pour un tour de France des producteurs, refusant les autoroutes. Il confie d’ailleurs que depuis qu’il fait ce métier, il re-découvre la France sous un angle différent de quand il y vivait. Chaque producteur lui en fait découvrir d’autres, partage son histoire, et bien sûr lui fait tester ses produits - Julien avoue se sentir à chaque fois comme un gamin un matin de Noël. Ce qui n’empêche pas sa sélection d’être impitoyable, il ne plaisante pas avec la qualité ou le goût : saucisses sans nitrites, terrines et tartinades sans conservateur, vins bio et naturels... Quand on emmène la gastronomie française quelque part, la médiocrité n’a pas sa place !
Parfois, il y a des ratés aussi : Julien se souvient avoir voulu combler un client extrêmement enthousiasmé par la Blanquette de Limoux, en se disant que d’autres suivraient. Flop total, mais on apprend toujours de ses erreurs. Aujourd’hui, en combinant ses goûts personnels, son intuition et les sollicitations ou avis de ses clients, Julien maîtrise son assortiment et propose la fine fleur de l’épicerie fine française - de l’apéro au dessert.
Toutes les facettes de Berlin et de ses habitants
Travailler sur les marchés est une expérience humaine incroyable, extrêmement enrichissante, qui nourrit (sans jeu de mot). Déjà, il y a les autres commerçants, qui viennent des quatre coins du globe. Si au début tout le monde est un peu sur la réserve, très vite tout le monde s’entraide, se soutient, vit les mêmes galères (les jours de pluie, de froid, de tempête), monte et démonte les stands en même temps, c’est une vraie communauté.
Et ensuite, il y a les clients, qui sont tous à un moment de simples passants, qu’il faut attirer, séduire, convaincre. C’est donner beaucoup de sa personne, se livrer, dépasser la peur du jugement. Créer un lien. Ça demande une sacrée énergie. Surtout que la clientèle est très différente selon les marchés. A Maybachufer, il y a essentiellement des jeunes, célibataires, indépendants, des digital nomads qui racontent leur expérience de Berlin, mais aussi des autres villes où ils s’échappent quand le temps devient maussade. A Südstern, il s'agit d’une clientèle plus familiale, fidèle, il y a un lien très fort, d’ailleurs parfois, les gens viennent juste pour discuter. A Mauerpark, il y a une majorité de touristes.
Le marché, c’est la vraie vie, on interpelle les gens, ce sont des milliers de rencontres, et autant d'histoires différentes. On peut se retrouver à échanger avec des végétaliens qui ne boivent pas d’alcool, alors qu’en boutique, ce ne serait jamais arrivé.
Les échanges sont donc très variés, et toujours enrichissants. Julien poursuit sa découverte enthousiaste de sa ville de cœur, au travers des expériences qu’on lui raconte. Chaque client a sa vision de la ville. Certains l’ont quittée et sont revenus. Certains ont vécu la chute du mur. Les touristes sont intéressés par l’expérience berlinoise d’un étranger, et partagent la leur. Ce sont mille facettes de la ville. Beaucoup sont de vrais amoureux de Berlin, conscients de ses défauts évidents, mais toujours sous le charme. Ce qui revient le plus souvent ? La liberté. C’est même une vraie revendication. Un refus de la standardisation oppressante d’autres villes. Une vraie légèreté, une absence de jugement. Même si la ville change, un peu comme un jeune adulte qui gagne en maturité, cette bouffée d’air frais subsiste.
Toutes ces interactions sont le moteur de Julien, dont les journées passent à toute vitesse. Ses clients repartent avec un petit bout de France, et lui continue son exploration de la ville au travers des expériences des autres. Un bien bel échange.
En attendant l’ouverture de sa boutique, retrouvez les marchés de Julien à Maybachufer les mardis et vendredis de 11h à 18h30, Südstern les samedis de 10h à 16h et Mauerpark les dimanches de 10h à 18h, et aussi en ligne sur son site et son compte Instagram.
Et si vous passez sur son stand ou sur son site, avec le code PETITJOURNAL, vous bénéficierez de 5% de remise.
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