Le gouvernement thaïlandais a déposé mercredi devant la cour pénale une plainte pour lèse-majesté contre le politicien Thanathorn Juangroongruangkit, bête noire de l’establishment militaro-royaliste qui avait questionné deux jours plus tôt la stratégie vaccinale du royaume contre le Covid-19.
La chasse aux sorcières, dans laquelle les autorités thaïlandaises se sont lancées depuis novembre pour affaiblir le mouvement de contestation anti-gouvernementale en réinstaurant l’utilisation de la très sévère loi de lèse-majesté, risque de prendre un tour très médiatique avec la plainte déposée mercredi devant la justice pénale par le gouvernement contre Thanathorn Juangroongruangkit.
Selon un responsable du bureau du Premier ministre cité par le Bangkok Post, la plainte comporterait pas moins de 11 chefs d’accusation susceptibles de tomber sous le coup de l’article 112 du code pénal, en lien avec une publication vidéo sur Facebook de 30 minutes postée lundi.
L’article 112 punit tout acte de diffamation ou d’insulte envers le roi et sa famille de peines de prison pouvant aller de 3 à 15 ans de prison.
Dans ce "Facebook live", Thanathorn Juangroongruangkit déclarait que le gouvernement dépendait trop d'un laboratoire appartenant au Crown Property Bureau, qui se trouve être le contrôle personnel du roi, pour produire des vaccins pour les Thaïlandais.
Les responsables gouvernementaux qui ont déposé la plainte ont dit aux journalistes que Thanathorn avait diffamé la monarchie en impliquant la sacro-sainte institution dans la stratégie vaccinale.
"Thanathorn a déformé les faits et suscité des malentendus dans l’esprit des gens", a déclaré Suporn Atthawong, du bureau du Premier ministre.
"Il a sali la monarchie, ce qui a bouleversé les Thaïlandais qui aiment et protègent la monarchie."
La plainte, qui comprend également des accusations en vertu de la loi sur la cybercriminalité et le téléchargement de fausses informations, intervient après que le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha a juré mardi de poursuivre toute personne ou organisation qui diffusera des informations "déformées" sur la stratégie vaccinale.
"Plus vous me discréditez ou me harcelez avec des affaires en justice, plus mes soupçons s’éclaircissent", a déclaré Thanathorn dans un message sur Facebook après l’annonce de la plainte du gouvernement.
Depuis son entrée très remarquée en politique en 2018, le jeune milliardaire charismatique fait l’objet de multiples poursuites et a d’ailleurs été interdit de politique pendant 10 ans par la Cour constitutionnelle, laquelle a aussi dissous l'année dernière son parti Anakot Mai (Nouvel Avenir) également connu sous le nom de Future Forward.
Le Mouvement Progressiste formé après la dissolution d’Anakot Mai, a nié toute insulte dans les commentaires de l’échange sur Facebook qui s’intitulait "Vaccin Royal: qui en profite et qui n'en profite pas?".
"Il est évident que [l’article] 112 est à nouveau utilisé comme outil politique", a déploré Pannika Wanich, collègue de Thanathorn et parmi des leaders du mouvement.
Charles Santiago, un député malais qui préside le groupe ASEAN Parliamentarians for Human Rights (APHR), a qualifié cette décision de "nouvelle illustration de l’instrumentalisation cynique de la loi sur la lèse-majesté comme arme pour étouffer toute forme de critique".
La porte-parole du gouvernement Ratchada Dhanadirek a déclaré que les poursuites n'étaient pas motivées politiquement.
"Le gouvernement n'a pas besoin d'utiliser la loi comme un outil politique pour traiter avec qui que ce soit", a-t-elle déclaré à Reuters. "Nous nous concentrons sur les problèmes économiques urgents et la reprise du pays à long terme."
Thanathorn Juangroongruangkit et son parti Anakot Mai avaient créé la surprise en se classant troisième aux élections de 2019, remportant 81 des 500 sièges de la chambre basse du Parlement, fort d'une solide base de jeunes électeurs sensibles aux vues progressistes du parti et ses critiques contre l'establishment militaro-royaliste.
Mais en novembre 2019, la Cour constitutionnelle lui a retiré son mandat de député pour avoir détenu des actions dans une société de médias au moment de l'enregistrement de sa candidature aux élections - Thanathorn a contesté la décision.
Et en février 2020, la même Cour constitutionnelle a ordonné la dissolution d'Anakot Mai, déclenchant la colère de ses jeunes électeurs. Une ire populaire qui a débouché sur la formation en juillet du mouvement anti-gouvernemental qui a organisé depuis plusieurs dizaines de manifestations rassemblant des milliers de personnes dans les rues et osé questionner le rôle et le statut de la monarchie.
Si l'article 112 a été très utilisé au lendemain du coup d'Etat mené par Prayuth Chan-O-Cha en 2014 les autorités ont cessé d'utiliser la loi de lèse-majesté en 2018, et Prayuth Chan-O-Cha a même déclaré en juin dernier que le roi avait demandé de ne pas recourir à cette loi.
Mais en août, le mouvement de contestation qui demandait jusque-là la démission du Premier ministre et la réécriture de la Constitution, a ajouté à ses revendications des reformes de la monarchie, brisant ainsi le vieux tabou autour de la critique de la royauté.
Les mois qui ont suivi ont vu non pas un essoufflement du mouvement -comme le prédisaient certains conservateurs pensant que l’opinion ne suivrait pas un mouvement critiquant la monarchie- mais au contraire un renforcement de celuui-ci avec des dizaines de milliers de manifestants dans les rues à l’automne et la multiplication des critiques et autres attitudes de défiance envers la couronne.
Cela a amené en novembre l’ex-chef de la junte à annoncer que toutes les lois seraient déployées pour faire respecter l’ordre. Depuis, au moins 43 militants ont été accusés en vertu de l’article 112. Aucune de ces affaires n’a encore été jugée.
Mardi, la justice thaïlandaise a condamné en vertu de l'article 112 une femme à plus de 43 ans de prison, peine record pour insulte à la monarchie dans le royaume.