La Cour constitutionnelle thaïlandaise a révoqué mercredi le mandat de député de Thanathorn Juangroongruangkit, dirigeant du jeune et prometteur parti d'opposition Anakot Mai, après l'avoir déclaré coupable d’avoir enfreint les lois électorales.
Thanathorn, 40 ans, est apparu il y a quelques derniers mois comme l’opposant le plus sérieux au gouvernement dirigé par l'ancien chef de la junte, Prayuth Chan-O-Cha, lorsque son parti progressiste Anakot Mai, connu aussi sous le nom anglais de Future Forward - traduit en français par "Nouvel Avenir"- est arrivé en troisième position, à la surprise générale, des élections tenues en mars dernier, après cinq ans de régime militaire.
Mercredi, la Cour constitutionnelle a reconnu le jeune milliardaire coupable d’avoir été en possession d’actions dans un groupe de médias le jour où il a enregistré sa candidature.
Dans sa décision, la cour a déclaré que les preuves contre Thanathorn étaient plus lourdes que celles pesant en sa faveur. Ce dernier avait assuré s’être séparé de ses actions à temps.
A l’issue du jugement, Thanathorn a affirmé que la cour s'était fondée sur des suppositions plutôt que sur des faits.
"Je suis toujours le chef du parti Anakot Mai et le plus important est le parti", a déclaré Thanathorn. "Les gens vont avancer ensemble et je vais continuer à travailler sur l'amendement de la constitution."
Thanathorn ne cesse de critiquer haut et fort l’intrusion de l'armée dans la vie politique et démocratique du royaume, et il a particulièrement su convaincre les jeunes électeurs lors des élections, même si c’est le principal parti pro-militaire qui a été déclaré vainqueur à l’issue du scrutin.
Ses promesses de faire pression pour modifier une Constitution rédigée sous contrôle militaire et de mettre fin à l’armée de conscription l’ont placé en opposition frontale avec un establishment profondément royaliste et pro-militaire qui le perçoit lui et son parti comme des ennemis des traditions nationales.
Le mois dernier, son parti est allé encore plus loin en osant contester un décret d'urgence invoqué quelques jours plus tôt pour permettre le transfert de deux unités de l'armée sous le commandement du roi Maha Vajiralongkorn.
Dissolutions et destitutions en série
Après le jugement, mercredi, #RIPThailand et #StandWithThanathorn figuraient parmi les hashtags les plus suivis sur Twitter en Thaïlande, de même que le nom du député déchu et celui de son parti -en thaï.
Anakot Mai a remporté 80 des 500 sièges qui étaient à pourvoir à la chambre basse du Parlement lors des élections de mars dernier.
Il a aussitôt après rejoint une alliance de partis d'opposition qui a contesté le décompte des voix et accusé l'armée d’avoir concocté des règles électorales sur mesure pour s’assurer que Prayuth, l'ancien chef militaire, reste Premier ministre, passant du statut de putschiste à celui d’élu.
Cette alliance politique comprend le parti lié à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, dont les différentes formations successives ont dominé les élections en Thaïlande pendant plus de dix ans, même après qu’il ait été renversé lors d’un coup d’Etat en 2006 et ait définitivement fui le pays en 2008 pour échapper à une condamnation pour conflit d’intérêt.
Les deux partis de Thaksin qui ont précédé l’actuel Pheu Thai ont été dissouts par la même Cour Constitutionnelle, laquelle a aussi destitué la propre sœur de Thaksin, la Première ministre Yingluck Shinawatra, en 2014, quelques jours avant le coup d’Etat mené par Prayuth Chan-O-Cha contre son gouvernement. En mars dernier, a deux semaines des élections, la Cour constitutionnelle a également dissout le parti Thai Raksa Chart, un important parti du dispositif politique du clan Shinawatra, après que le parti avait intégré sur ses listes la sœur du roi.
Thanathorn est également sous le coup de deux chefs d’accusation, l’un pour crime informatique pour un discours critiquant la junte qu’il a publié sur Facebook l’année dernière, et l’autre pour sédition pour avoir supposément aidé les manifestants anti-junte en 2015.
Au total, près de 30 poursuites ont été engagées contre des dirigeants d’Anakot Mai.
"Le jugement d'aujourd'hui est une autre indication que, malgré la tenue d'élections cette année, les autorités thaïlandaises ne sont pas prêtes pour une démocratie ouverte et libre", a déclaré mercredi Charles Santiago, président du groupe des parlementaires pour les droits de l'homme de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est.
"Tous les signes suggèrent une tentative coordonnée de réduire au silence un parti qui a menacé le statu quo dans sa quête de réforme constitutionnelle."