La justice thaïlandaise a condamné mardi une femme de 65 ans à plus de 43 ans de prison pour avoir partagé en ligne des publications critiquant la famille royale, a fait savoir son avocat. Il s’agit de la peine la plus sévère jamais prononcée dans le royaume pour insulte à la monarchie.
Cette condamnation intervient dans un contexte de grogne populaire sans précédent menée par des mouvements jeunes qui ont ouvertement critiqué la monarchie l'an dernier, au risque de s’exposer à des poursuites en vertu de la très sévère loi thaïlandaise de lèse-majesté, l’article 112 du code pénal, qui prévoit des peines de 3 à 15 ans de prison pour chaque chef d'accusation.
Anchan Preelert a plaidé coupable sur 29 chefs d'accusation portant sur le partage et la publication de clips vidéo sur YouTube et Facebook entre 2014 et 2015, a indiqué à Reuters son avocate, Pawinee Chumsri.
La sexagénaire avait été condamnée initialement à 87 ans, mais étant donné qu’elle a reconnu les accusations, la cour a réduit la peine de moitié, a ajouté l'avocate.
"C'est la peine de prison la plus élevée jamais prononcée dans une affaire de lèse-majesté", a déclaré Pawinee Chumsri, qui fait partie de l’ONG de défense des droits de l’homme Thai Lawyers for Human Rights.
Amnesty International a exprimé sa consternation devant une telle sentence.
Anchan Preelert peut encore faire appel de la condamnation devant la Cour d’appel puis encore la Cour suprême, a souligné son avocate.
Des membres des forces de l’ordre avaient perquisitionné sa maison en janvier 2015, quelques mois après le coup d’Etat mené par le général Prayuth Chan-O-Cha contre le gouvernement élu de Yingluck Shinawatra.
L’affaire avait au début été portée devant un tribunal militaire avant d’être transférée à la justice civile suite aux élections législatives de 2019 qui ont reconduit le chef de la junte au poste de Premier ministre.
Au moins 169 personnes ont été accusées de lèse-majesté après le coup d'État de 2014, selon Thai Lawyers for Human Rights, et certaines affaires peuvent prendre plusieurs années pour être jugées.
Les autorités ont cessé d'utiliser la loi de lèse-majesté en 2018, et Prayuth Chan-O-Cha a déclaré en juin dernier que le roi avait demandé de ne pas recourir à l’article 112. Mais en août, le mouvement protestataire qui demandait jusque-là la démission du Premier ministre et la réécriture de la Constitution, a ajouté à ses revendications des reformes de la monarchie, brisant ainsi le vieux tabou autour de la critique de la royauté.
Les mois qui ont suivi ont vu non pas un essoufflement du mouvement -comme le prédisaient certains conservateurs pensant que l’opinion ne suivrait pas un mouvement critiquant la monarchie- mais au contraire un renforcement de celuui-ci avec des dizaines de milliers de manifestants dans les rues à l’automne et la multiplication des critiques et autres attitudes de défiance envers la couronne.
Cela a amené en novembre l’ex-chef de la junte à annoncer que toutes les lois seraient déployées pour faire respecter l’ordre. Depuis, au moins 43 militants ont été accusés en vertu de l’article 112. Aucune de ces affaires n’a encore été jugée.
Lundi, un autre homme arrêté en 2014 a été condamné à plus de quatre ans de prison après avoir publié en ligne des articles et des poèmes qui, selon le tribunal, contenaient des mensonges sur la monarchie.