Noelia Hidalgo Triana, actuellement enseignante-chercheuse au département de botanique de l'Université de Malaga, a réalisé sa thèse de doctorat dans l'écosystème serpentin méditerranéen de la Sierra Bermeja (Malaga, Andalousie) et a complété ses recherches par des études dans l'écosystème serpentin californien.
Ses recherches étant basées sur l'étude de ces écosystèmes, de leurs adaptations, leur comportement, leur phénologie, nous avons souhaité lui poser les questions que chacun se pose sur cet incendie qui a ravagé ce lieu qui devait être intégré au Parc National de la Sierra de las Nieves.
LePetitJournal.com: Pourquoi cet incendie est-il aussi grave ?
Noelia Hidalgo Triana: Il s'agit d'un incendie très grave pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce que l'incendie s'est produit dans une zone à haute valeur écologique et environnementale : il s'agit de l'un des plus grands affleurements de serpentines d'Europe qui abrite de véritables "joyaux botaniques"; l'une d'entre elles est la seule sapinière andalouse (Abies pinsapo) au monde sur des péridodites et l'autre est un fourré endémique une communauté de plantes uniques dans cet écosystème, les serpentinophytes, qui vivent dans les clairières des pinèdes de pin résineux ou noir (Pinus pinaster).
Les sols serpentins sont des sols issus d'une roche (péridotite) présentant une faible concentration de nutriments et, en revanche, de métaux lourds toxiques pour les plantes. Seules quelques plantes ont pu s'adapter à ces sols, c'est pourquoi ce sont des sols qui abritent un très grand nombre d'espèces endémiques. Plus précisément, les affleurements de serpentine de la province de Malaga abritent 23 serpentinophytes, dont 4 sont exclusifs à la Sierra Bermeja.
Bien que nous sachions, grâce à nos études, qu'il s'agit de plantes adaptées aux incendies naturels, la récurrence des incendies et leur sévérité pourraient entraîner la disparition de certaines de ces espèces... Nous ne disposons toujours pas de données officielles sur les zones brûlées, aussi devrons-nous procéder à une évaluation "in situ" dans les jours et les mois à venir.
Cependant, le sapin andalou (ou Pinsapo, qui ne vit que dans les sierras andalouses de Malaga et de Grazalema) n'a aucune capacité de réaction face à un incendie : on craignait, lors de l'incendie, qu'il ne disparaisse à jamais. Il s'agit d'une véritable relique des temps passés (du Tertiaire) qui s'est réfugiée dans nos montagnes à la recherche de températures plus basses et de précipitations plus importantes. Toutefois, selon les sources officielles, seuls 10 % de la forêt de sapins espagnols du Paraje Natural de Los Reales de Sierra Bermeja ont été touchés, même si nous devons encore être très prudents car nous ne savons pas si les températures élevées atteintes pendant l'incendie pourraient l'affecter.
Deuxièmement, en raison de la grande superficie touchée : la sierra brûle depuis plusieurs jours et près de 10 000 hectares ont été brûlés : il semble qu'un concours de circonstances ait favorisé cet incendie. En outre, cela fait de nombreuses années que des travaux de gestion et de conservation n'ont pas été effectués dans cette zone.
LPJ: A votre avis, cet incendie catastrophique aurait-il pu être évité ?
Noelia H.T. : Il est impossible d'éviter un incendie lorsqu'il est déclenché délibérément par la main de l'homme … et d'après les sources, il semble que ce soit le cas. Il est clair également que les particularités géographiques de cette Sierra (très éloignée et avec des vallées qui contribuent à l'effet cheminée) ainsi que les conditions météorologiques ont rendu très difficile l'extinction de ce feu, seules les pluies ont eut raison de ce cauchemar.
Cependant, augmenter la protection de nos zones naturelles et investir dans leur gestion accélérera toujours leur protection dans des situations aussi catastrophiques telle que celle que nous avons connue ces derniers jours. Bien sûr, les mesures de prévention des incendies comme de toute autre catastrophe environnementale sont plus que nécessaires.
LPJ: Comment cet incendie affecte-t-il la biodiversité naturelle de l'Andalousie?
Noelia H.T.: Le patrimoine naturel de l'Andalousie est extrêmement riche en flore et en végétation.
Dans cette communauté autonome, l'affleurement serpentin de la Sierra Bermeja est un véritable "hotspot de la biodiversité" : c'est en effet un lieu où de nombreuses espèces endémiques sont concentrées dans un espace réduit. Une autre zone qui a été brûlée est la vallée du Genal, qui est une enclave de grande importance biologique et sociale où la végétation méditerranéenne (bosquets de chêne-liège et de chêne vert) et les châtaigneraies créent un paysage unique et particulièrement vert en Andalousie.
Par conséquent, toute l'Andalousie a été attentive et a attendu la fin de cet incendie. D'autant plus que, jour et nuit, de nombreux professionnels veillaient sur cette montagne unique, mettant leur vie en danger…un pompier y a d’ailleurs malheureusement perdu la vie.
Por fín vista directa del pinsapar de Los Reales de #SierraBermeja gracias a Pablo Aragón. La joya natural se ha salvado! El único bosque de pinsapos sobre peridotitas del Planeta! pic.twitter.com/h0Ewzk4PAT
— Andrés V. Pérez (@jacehihog) September 15, 2021
LPJ: Cette catastrophe a t’elle un lien avec le changement climatique?
Noelia H.T.:Les incendies dans l'écosystème méditerranéen ont toujours été récurrents . Cependant, ces dernières années, ces incendies sont devenus intentionnels, comme cela semble être le cas cette fois encore.
L'urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons actuellement risque d'aggraver encore l'état de santé de nos écosystèmes : les prochaines pluies d'automne seront un facteur clé de l'évolution et du rétablissement de cet écosystème. S'il y a de moins en moins de précipitations, des étés de plus en plus secs ou même des pluies torrentielles, la régénération de cet écosystème sera très lente et très difficile.
LPJ: Comment envisagez-vous la régénération possible de l'écosystème?
Noelia H.T.: Malheureusement, en août 2012, un autre affleurement de serpentine dans la province de Malaga, la Sierra Alpujata, a brûlé. Dans le cadre de mes recherches et en collaboration avec le professeur Andrés V. Pérez Latorre, nous avons étudié la réponse de cette zone d'arbustes endémiques au feu.
Il est clair, par exemple, que la plupart des endémiques ont montré qu'ils avaient des stratégies de régénération provenant de la partie souterraine de la plante. Il faut cependant noter que l'automne a été très favorable (il a bien plu) et que l'incendie de la Sierra Alpujata a été un incendie très rapide et donc "peu sévère". Cependant, des sources rapportent que l'incendie de Sierra Bermeja a été très lent : c'est-à-dire que le feu a passé beaucoup de temps sur chaque plante, ce qui fait que les températures atteintes sont très élevées ; je me demande donc si les plantes conserveront leur capacité de régénération face à un incendie de ce type. Nous devrons attendre que la montagne "guérisse" mais, sans attendre, mettre en place des mesure de prévention et veiller à la conservation de nos espaces naturels. C’est une urgence!
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