Jérémie Bourdon : « Éduquer des citoyens de culture et de courage »

Le Lycée Français célèbre ses 90 ans, pouvez-vous nous rappeler ses origines ?

Le Lycée Français a été fondé en 1935, dans une période compliquée. Les Etats-Unis étaient alors en pleine Dépression, dans un contexte d’instabilité mondiale et une montée du nationalisme en Europe.

Notre fondateur, Charles de Ferry de Fontnouvelle, consul général de France à l'époque, a eu cette vision d'une éducation française qui n'existait pas encore à New York. Il a voulu un enseignement basé sur l'entente franco-américaine, sur les valeurs démocratiques et humanistes qui étaient partagées par les deux pays. Il a alors sollicité ses amis - universitaires, financiers - pour ouvrir cette école qui a commencé avec 18 élèves, avec une levée de fonds assez modeste. 

La graine qui a été plantée à l'époque était à la fois modeste et ambitieuse. Le Lycée a depuis bien grandi. Il est devenu ce magnifique arbre solidement enraciné à New York, dans cette entente franco-américaine qui est toujours, pour nous, très importante.

Le Lycée a reçu ses accréditations par l'État de New York par le Board of Regents en 1938, et la première cohorte a obtenu le baccalauréat au Lycée en 1940. Il est important de rappeler qu'à l'époque, le Lycée a accueilli des réfugiés venus d'Europe et qu’ils ont constitué une partie importante de nos effectifs. Nous en sommes très fiers. En 1945, nous avions déjà 24 nationalités représentées. Aujourd’hui, nous dépassons les 70.  

 

Et depuis quand êtes-vous dans ces locaux ? 

Ce bâtiment date de 2003. Cela correspond à une période particulière de notre histoire, où des parents ont finalement repris le Lycée et l'ont vraiment lancé vers le futur. Nous sommes passés de cinq bâtiments magnifiques dans l'Upper East Side, des mansions et des townhouses, à un seul campus sur lequel nous sommes toujours aujourd’hui. 

 

 

Qu'est-ce qui fait justement la singularité encore aujourd'hui du Lycée Français de New York, selon vous ? 

D’autres établissements internationaux ont également cette diversité culturelle et de citoyenneté. Mais je pense que notre ancrage dans ce curriculum franco-américain apporte vraiment quelque chose de très particulier. Cette combinaison à la fois d'une rigueur et d'une tradition humaniste à la française avec une créativité à l’américaine fait la force de notre enseignement de très grande qualité. 

Nous arrivons à faire vivre ce curriculum et continuer à l’enrichir et innover. Cela reste très cher à mon cœur d’éducateur de pouvoir continuer à innover dans un cadre qui respecte toujours l'histoire, mais qui reste tourné vers les excellences académique et éducative.

La communauté du Lycée fait aussi toute notre différence. Elle est internationale, mais elle est aussi très soudée. Il y a une vraie culture d’établissement qui se crée autour d’une mission commune. Notre communauté est dévouée et volontaire. Pour les célébrations de nos 90 ans, je n’ai jamais vu autant d’inscrits. C’est plutôt bon signe ! 

 

 

Comment s’articule cette communauté du Lycée Français ? 

Elle commence avec nos élèves, bien évidemment, puisqu'ils sont au cœur de notre institution. L'engagement des élèves au sein de cette communauté est pour moi très important. Nous multiplions pour eux les opportunités de leadership. Ce sont nos élèves qui parlent le mieux de la communauté du Lycée et de notre établissement. Nous avons d’ailleurs un groupe d’élèves ambassadeurs qui contribuent à porter notre modèle éducatif. 

Nos parents sont également très investis dans l'établissement, à la fois en termes de soutien financier mais aussi de volontariat pour les nombreux événements communautaires et philanthropiques que nous organisons. Notre association de parents d'élèves est très active aussi et contribue au soutien de notre mission. 

Notre réseau des anciens fonctionne également très bien et continue de se développer. Les anciens continuent de voir le Lycée comme leur maison et se reconnaissent entre eux par leur franglais typique. Le Lycée est leur maison new-yorkaise, où qu’ils soient dans le monde. Nous voyons l’émotion qui se dégage à chaque cérémonie de graduation et de fin d’études. C’est un mélange de tristesse et de joie. Si nos élèves partent vers l’inconnu, ils aiment revenir et partager leur expertise lors de forums des métiers. Ils viennent généreusement rendre ce qu’ils ont reçu au Lycée. 

 

Quels sont les grands noms que vous comptez parmi vos alumnis ? 

Nous avons bien entendu des profils connus, comme l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, l’ancien directeur du Metropolitan Museum of Art, Philippe de Montebello, le prix Nobel, Baruj Benacerraf, le philosophe George Steiner, ou encore l’écrivaine Amélie Nothomb, pour n’en citer que quelques uns. 

Mais nous sommes fiers de tous nos anciens élèves, quel que soit leur parcours après le Lycée. Ils reviennent souvent voir nos élèves avec des métiers qui sont tous inspirants. Je suis fier de la diversité de leurs parcours. C’est une vraie richesse de permettre à nos élèves de partir dans toutes les directions possibles. 

 

Qu’est-ce que ces années au Lycée leur ont apporté ? 

Ce qu’ils retiennent du Lycée est évidemment cette diversité de cultures et de langues. Cette variété de perspectives sur le monde a forcément enrichi leur parcours, leurs réflexions et leur manière d’envisager des solutions pour les problèmes contemporains. 

Notre enseignement maintient les élèves dans une interdisciplinarité permanente. Nos élèves sont capables de faire des ponts entre les humanités et les sciences. Pour moi, il est important de les amener à réfléchir aux problèmes du monde, de manière à la fois scientifique et humaniste. 

 

Alors que les célébrations du 90e anniversaire de l’établissement viennent d’avoir lieu, comment voyez-vous l’avenir du Lycée Français ? 

C’est une année très enthousiasmante pour moi en tant que chef d’établissement. Les célébrations du 90e anniversaire nous permettent d’honorer le passé et de rendre hommage à tous ceux qui ont travaillé et travaillent encore aujourd’hui au Lycée. Je sais que je m’assois sur les épaules de géants et je veux perpétuer cette tradition d’innovation et d’investissement qui font l’excellence du Lycée depuis 90 ans. Le Lycée est une entité vivante et doit continuer à innover et répondre aux besoins de nos élèves. 

Pour moi, se projeter dans l’avenir est aussi penser à notre prochain plan stratégique, qui sera publié au printemps 2026. Nous pensons déjà à 2035 et au centième anniversaire du Lycée, mais aussi à 2040, l’année où nos élèves qui entrent aujourd’hui en petite section finiront le Lycée. Nous nous projetons donc sur les 15 prochaines années et sur les compétences, les connaissances et les valeurs qui vont se dégager de cette promotion. 

Je crois qu’il est très important de continuer à développer l’engagement et le leadership des élèves. Notre cœur de mission est d’éduquer des citoyens de culture et de courage. Cette notion de courage est critique dans le monde dans lequel nous vivons. Il faut que nous puissions continuer à engager nos élèves à la fois localement, au sein du Lycée, mais aussi globalement. 

 

 

Au sein de notre curriculum, nous souhaitons davantage ancrer les STEM dans les humanités. Elles ne doivent pas être pensées de manière séparée parce que les grands problèmes scientifiques aujourd'hui ont besoin de réponses centrées sur les besoins humains. 

Nous avons également pour projet d’ouvrir à la rentrée 2026-2027 un institut de formation d’enseignants au sein du Lycée. Nous sommes compétents pour former des enseignants qui peuvent justement s'engager dans un contexte bilingue et multiculturel, dans une ville aussi diverse que New York, et devenir les meilleurs enseignants, non seulement au sein du Lycée, mais aussi dans les écoles françaises à l’étranger. Nous avons la réputation et les moyens pour le faire. Nous voulons profiter de l’expertise de nos enseignants pour former de nouvelles générations d’éducateurs à travers le monde.