65 % du trafic Internet en Espagne passe par la région de Madrid. Ce chiffre peu connu montre à quel point Madrid a tiré son épingle du jeu, s'étant consolidée en très peu de temps en pôle d'attraction pour les entreprises du secteur numérique et les investissements.
Les centres de données sont devenus l'un des secteurs les plus dynamiques et florissants, avec un rôle stratégique dans la numérisation des entreprises. En effet, leurs activités se sont beaucoup développées, pas seulement en raison du Covid, même s'il est vrai que la pandémie a été un accélérateur de la transformation digitale pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.
Télétravail: un gros volume de données
Ces dernières utilisent de plus en plus d'applications et les centres de données sont devenus un élément indispensable de l'écosystème informatique à tous les niveaux. Le télétravail, par exemple, a entraîné une augmentation massive du volume des données échangées. Une grande majorité des conversations qui se faisaient en personne se font désormais en ligne, et doivent passer par un centre de données.
De même, de nombreux services qui étaient autrefois fournis en présentiel (par exemple, les services de conseil ou de consultation) le sont désormais on line. En outre, les produits d'information et de divertissement ont fait le saut au format numérique et leur consommation a explosé.
Investissements records dans les centres de données en Europe
Selon le rapport mondial Data Center investor sentiment survey 2022 que vient de publier la société de conseil CBRE, "2021 a été une année record pour les investissements dans les centres de données en Europe, avec un volume total de plus d'un milliard d'euros. Plus précisément, 70% des actifs étaient situés au Royaume-Uni". Ce même rapport signale que 95% des personnes interrogées déclarent qu'elles prévoient d'augmenter leurs investissements dans le secteur des centres de données au cours de l'année 2022.
Cette augmentation de la demande des entreprises, induite par les besoins croissants de services en cloud, a généré une pression énorme sur une activité particulièrement complexe en raison de ses besoins en énergie, en connectivité et en cybersécurité. Dans ce nouveau scénario, comme le signale IDG Research, Madrid devient le leader du hub digital dans le sud de l'Europe.
Data Center: L'Europe du Sud était la grande oubliée
Il faut dire qu'il existait un vide de "leadership technologique" dans l'Europe du Sud. Actuellement, les lieux privilégiés pour ce type d'installations sont Francfort, Londres, Amsterdam et Paris (marchés dits FLAP), qui représentaient ensemble environ 2.000 MW en 2021. Contrairement à d'autres actifs immobiliers, la taille des centres de données se mesure en mégawatts (MW) plutôt qu'en mètres carrés.
Le premier centre est Londres, avec 711 MW. Or, au sein des marchés émergents en Europe, CBRE, dans son rapport sur les data centers en Espagne, classe Madrid comme le premier site (70MW en 2021, minimum 100 MW en 2022) après les FLAP et devant Milan et Vienne.
L'entrée des géants de la technologie
Les principaux acteurs technologiques ont décidé de s'établir à Madrid et de faire de l'Espagne le centre des infrastructures numériques du sud de l'Europe. En témoignent les annonces respectives de Google, Microsoft et Amazon sur le déploiement de leurs infrastructures numériques.
De nouveaux fournisseurs de colocation sont entrés sur le marché (par exemple, Data4) et, en outre, les fournisseurs existants construisent de nouveaux centres de données de plus grande capacité. Madrid est devenue en quelques années le principal nœud d'interconnexion et de distribution de données de la péninsule ibérique.
680 millions d'investissement dans le hub digital de Madrid
En effet, les grands fournisseurs de cloud ont opté pour Madrid afin d'étendre leurs infrastructures. C'est là que sont situés les serveurs de leurs clients, ceux qui décident de transporter leur infrastructure dans un endroit où l'alimentation électrique et la connectivité avec le reste du monde sont assurées, le tout avec les plus hautes mesures de sécurité. C'est ce qu'on appelle la colocation. Or, il est prévu que dans les cinq prochaines années, les entreprises de 'colocation' investissent 680 millions d'euros dans ces installations à Madrid.
Silicon Alley Madrid
Un quartier de Madrid se démarque incontestablement. Il s'agit de San Blas-Canillejas, qui achemine à lui seul 65% du trafic internet de l'Espagne. En effet, les réseaux locaux de la plupart des fournisseurs de contenu tels que Netflix, Facebook, Google, Amazon et Disney sont situés dans les installations d'importantes entreprises de données, telles qu'Interxion, Data4 ou NTT. Pas étonnant que ce quartier soit désormais connu sous le nom de "Silicon Alley Madrid" !
Ainsi, lorsque nous regardons une série télévisée sur Netflix, ou Amazon Prime, les données n'arrivent pas directement des États-Unis, mais passent d'abord par ce hub numérique pour être distribuées avec une meilleure vitesse et latence, afin de répondre aux exigences de qualité du service qu'attendent les utilisateurs.
MAD4, un mega centre de données
L'une de ces entreprises, la multinationale américaine Interxion, construit actuellement dans cette même zone - San Blas-Canillejas - un quatrième centre de données, MAD4, qui sera opérationnel fin 2022. Il sera cinq fois plus grand que son petit frère, MAD3, avec 35.000 mètres carrés pour l'exploitation de serveurs qui nécessiteront une consommation énergétique de 30 mégawatts.
Madrid, prix "Digital Hub of Southern Europe"
Madrid a d'ailleurs récemment reçu le prix de "Digital Hub of Southern Europe" lors des DCM Awards 2022, organisés par le média Data Center Market, qui récompensent la stratégie d'innovation et le soutien aux centres de données promus par Madrid, qui connaissent de ce fait croissance exponentielle.
Mais pourquoi Madrid a réussi à se positionner en si peu de temps comme une plaque tournante pour l'interconnexion des infrastructures numériques en Europe du Sud?
Les interconnexions transfrontalières du big data
Les raisons sont multiples: Tout d'abord, en raison de sa situation géographique stratégique en termes de communications et de connectivité. Pour CBRE, la péninsule ibérique devient de plus en plus importante en tant que destination mondiale pour les centres de données grâce au développement des câbles sous-marins intercontinentaux.
Madrid est ainsi devenue un "port numérique" grâce à l'arrivée de plusieurs câbles sous-marins, qui étendent leur connectivité à la capitale pour échanger et diffuser des contenus.
Amérique du Nord, du sud, et l'Afrique connectée
L'Espagne dispose d'une connexion directe avec les États-Unis, grâce au câble sous-marin Marea, de 6.600 km, opérationnel depuis la mi-2018, réalisé par Facebook, Microsoft et Telxius, qui relie la Virginie (États-Unis) à Bilbao, et qui permet de ne plus passer par l'Irlande ou l'Angleterre. De même, cette année, Google prévoit d'achever son câble optique Grace Hopper entre New York et l'Europe, avec un point de connexion à Bilbao. Par ailleurs, l'Espagne est reliée au sud avec l'Afrique, grâce à un câble sous-marin entre l'Algérie et Valence. Le câble 2Africa reliera quant à lui 23 pays à Barcelone d'ici 2023. Madrid sera le point d'interconnexion de ces réseaux.
Enfin, un dernier câble sous-marin, Ellalink, long de 9.200 km, unit depuis peu la péninsule ibérique avec l'Amérique du Sud (concrètement Sao Paulo, Lisbonne et Madrid). En définitive, plus de 1,6 milliard de personnes connectées à la vitesse de la lumière en moins de 30 millisecondes. Sans oublier, bien sûr, une connexion directe avec l'Europe au Nord et à l'Est.
D'autre part, une autre raison qui inciterait les centres de données à s'installer en Espagne est le fait que dans l'hémisphère sud se trouve la plus forte croissance du trafic internet, qui a représenté plus de 40% qui entre 2013 et 2017.
Enfin, le Brexit a également redistribué les investissements vers d'autres centres européens. En conséquence, Madrid a réussi à attirer des infrastructures numériques, comme par exemple, la relocalisation du centre de support pour la surveillance du système de sécurité Galileo, précédemment situé au Royaume-Uni.
A signaler toutefois que même si Madrid constitue le plus grand hub digital d'Espagne, CBRE s'attend à voir "une certaine croissance dans des endroits plus petits, comme Barcelone ou Bilbao, en raison du développement de grands câbles sous-marins", selon ce même rapport.
Concurrence féroce des hub digitaux en Europe du Nord
Par ailleurs, tout n'est pas gagné pour l'Espagne. En effet, elle reste désavantagée par rapport aux autres pays d'Europe du Nord. Comme le signale le responsable d'un data center, pour atteindre le niveau d'Amsterdam, l'un des principaux nœuds numériques, il faudrait multiplier par sept les infrastructures numériques - réseaux et centres de données. La concurrence est féroce entre les différents pays pour héberger des serveurs. Dans ses aspirations à devenir le grand centre numérique du sud de l'Europe, Madrid se bat avec des villes telles que Marseille et Palerme.
Risque d'être moins compétitif avec la flambée de l'électricité
En outre, la flambée des prix de l'électricité risque de rendre moins compétitifs les centres de données espagnols. En effet, la classification de ce secteur comme "électro-intensif" est loin d'être uniforme. Ainsi, dans des pays comme la France, la Scandinavie, l'Irlande et les Pays-Bas, le secteur bénéficie d'une réduction des taxes et des prélèvements sur le prix de l'énergie. En France, par exemple, le gouvernement a établi que ce secteur est extrêmement important pour le pays et, par conséquent, la taxe sur l'électricité appliquée aux centres de données a été réduite de 50% et la France tente d'encourager la construction de nouveaux centres. Il est donc urgent que l'Espagne s'engage dans cette voie pour devenir plus compétitive sur le plan énergétique.
Fort impact des data centers sur le PIB
C'est d'autant plus important que l'expansion des centres de données a un effet boule de neige, car leur présence est un véritable aimant pour les entreprises numériques. Selon le modèle d'IDG Research, chaque euro investi dans un centre de données multiplie par 12 l'impact sur le PIB, raison pour laquelle Madrid s'engage dans cette activité fondamentale pour le développement des affaires numériques. Au niveau national, l'économie numérique est devenue le deuxième contributeur au PIB de l'Espagne après l'immobilier. Suite à la pandémie, ce pourcentage pourrait encore augmenter et certaines prévisions parlent qu'il atteigne 40%!