La pandémie a définitivement changé la donne non seulement dans la vie quotidienne ou le travail, mais aussi dans les perpectives de marché en Espagne. Des Français ayant créé leur boîte il y a moins de 5 ans dans différents secteurs de l’économie espagnole expliquent leur expérience et leur vision du marché actuel.
Wake Up and Smile : Numérique au service de la santé
Avoir un petit pied dans le monde du numérique –raconte Sébastien- m’a permis de surfer sur les différentes vagues d’une crise quasi permanente depuis 2009
Tout porte à croire que les crises motivent ce “serial entrepreneur” ou, tout du moins, il a appris à en tirer profit ! Sebastien Rouzé a déjà plusieurs entreprises à son actif en Espagne. «Avoir un petit pied dans le monde du numérique –raconte Sébastien- m’a permis de surfer sur les différentes vagues d’une crise quasi permanente depuis 2009, puisqu’il n’y a pas eu de véritable reprise de la croissance. Or, pour entreprendre en Espagne, il faut vraiment avoir des convictions fortes, une grande ténacité et du courage. Il y a aussi beaucoup de bureaucratie pour les jeunes entreprises, sans parler des difficultés de financement, vu que banques et start-ups ne font pas bon ménage!»
Mais c’est encore une crise, cette fois personnelle, qui est à l’origine de sa dernière entreprise. Après le décès de sa mère qu’il avait accompagnée à l’hôpital avec son frère toutes les semaines pendant dix ans pour son traitement du cancer, Sébastien Rouzé décide de mettre son expérience digitale au service de la santé. «Les journées épuisantes passées à l'hôpital –explique Sébastien- sont l'une des principales causes de stress et d'anxiété chez les patients qui ont besoin d'un long traitement médical. C’est dur non seulement pour les malades, mais aussi pour leur famille et, en fin de compte, pour le personnel hospitalier. Nous avons donc mis à profit nos connaissances sur la réalité virtuelle en mettant toutes sortes de vidéos en 360° dans des lunettes virtuelles».
Le succès est immédiat. Des études montreront d’ailleurs que la sensation de douleur diminue de même que le niveau de stress chez ceux qui portent les lunettes virtuelles. Il décide alors de développer cette solution thérapeutique non seulement pour les hôpitaux mais aussi pour les maisons de retraite. C’est ainsi que naît sa nouvelle boîte Wake Up and Smile seulement deux mois avant la crise du Covid.
Imprimantes 3D solidaires
Inutile de dire qu’avec la pandémie, les hôpitaux avaient d’autres priorités et du jour au lendemain, le développement commercial de Wake Up and Smile se paralyse. «La situation était tragique –se souvient Sébastien- pour le personnel hospitalier qui manquait de tout pour se protéger contre le virus. On a aussitôt mis en place la production de visières 7 jours sur 7, 24h/24 avec des imprimantes 3D et la logistique pour les donner aux hôpitaux qui évidemment en voulaient tous. On a aussi fait des pièces pour les ventilateurs avec les masques de plongée Décathlon».
De grandes opportunités
Ce grand geste de solidarité a représenté bien sûr un investissement en temps et en argent, mais cela lui a permis de tisser des liens incroyables avec le monde sanitaire. «Nous avons des relations exceptionnelles et ça n’a pas de prix -affirme le cofondateur de Wake Up and Smile. Ce qui est important c’est qu’il y a maintenant une véritable prise de conscience de l’importance du milieu sanitaire en Espagne, mais aussi en Europe. Il existe une plus grande conscience que l’expérience d’un patient peut être meilleure et donc avoir un impact positif sur lui mais aussi sur la société en général. Il y a des opportunités incroyables en ce moment, et encore plus après le Covid.»
Wake Up & Smile fonctionne déjà dans plus de 20 hôpitaux en Espagne, en Belgique, en France et en Chine, avec un impact sur plus de 150.000 patients. Pour poursuivre sa croissance à l’international et proposer sa technologie à un plus grand nombre d'hôpitaux, Sébastien vient d’effectuer une levée de fonds de 200.000 € auprès d’une Equity Crowdfunding, spécialisée dans les petits investisseurs qui encouragent le financement de start-ups avec un impact social positif sur la société, ce qui représente justement la genèse de son projet : conjuguer l’aspect lucratif de l’entreprise tout en trouvant des solutions pour aider les gens.
Turó Park : la santé au service des expats
Le Covid nous a poussé à basculer sur la plateforme digitale
L’essor du secteur sanitaire est également derrière le succès du projet de Madeleine Smit. Mais son idée de génie vient de son expérience professionnelle. «Je suis orthodontiste -raconte Madeleine- et j’ai eu une vie d’expat. J’ai travaillé dans une clinique très internationale et je me suis rendue compte que beaucoup d’étrangers qui parlaient peu ou mal espagnol avaient un véritable problème lorsqu’ils cherchaient différents médecins ou spécialistes qui puissent les comprendre».
30% de Français
Pour éviter ce parcours du combattant, Madeleine décide de créer un centre de santé pour les personnes étrangères qui vivent en Espagne. Sa clinique Turó Park, ouverte en 2017, regroupe ainsi des médecins, spécialistes, dentistes etc. qui parlent tous au moins anglais et français. La clinique compte 30% de patients français et les autres sont anglophones.
Explosion du domaine de la santé
Le Covid l’a touché, comme tous les secteurs, au début du confinement, mais Madeleine a immédiatement réagi. «Il était hors de question d’abandonner ce que j’avais créé trois ans auparavant – affirme Madeleine. On avait par exemple un projet de téléconsultation mais qu’on n’avait jamais mis au point par manque de temps et là, avec la fermeture totale, en 3-4 jours on l’a fait ! Le Covid nous a poussé à basculer sur la plateforme digitale, et d’un autre côté, il était nécessaire d’écouter les gens, leurs besoins. Ils avaient beaucoup de questions. Ensuite, quand on a commencé à reprendre le travail, on s’est aperçu qu’il y avait partout dans le monde une véritable prise de conscience de l’importance de la santé physique et mentale, et le domaine de la santé est devenu vraiment très important. On est dans un secteur très fort et les gens veulent de la qualité et prendre soin d’eux. En plus, on ne sait jamais, il est probable que ça se répète, et du coup on saura beaucoup mieux gérer».
Espagnol pas à pas : des cours d’espagnol aux francophones
Avant, quand on avait un business on line, il fallait vraiment ramer pour expliquer aux gens l’intérêt des cours à distance. La pandémie a montré que l’on peut vraiment apprendre une langue de chez soi.
Offrir ses services aux expatriés est également derrière le projet de Karim Joutet. Ce jeune Français a créé sa boîte Espagnol pas à pas il y a trois ans, pour donner des cours d’espagnol aux francophones à Barcelone. «Au début, c’était des classes surtout présentielles mais aussi un peu on line. Donc, lorsqu’il y a eu la pandémie, ça a été plus facile de pouvoir continuer à donner tous les cours en ligne».
Dédiabolisation des cours online
Karim pense qu’il y a eu clairement un avant et un après pandémie dans le secteur des cours de langues. Un certain nombre de clichés et d’idées reçues sur les cours de langues ont ainsi pu être dissipés. «Il s’est produit une dédiabolisation des cours en ligne – affirme-t-il. Avant, quand on avait un business on line, il fallait vraiment ramer pour expliquer aux gens l’intérêt des cours à distance. La pandémie a montré que que l’on peut vraiment apprendre une langue de chez soi. La demande on line a ainsi beaucoup augmenté et maintenant 80% de mes élèves reçoivent leurs cours à distance, avec de plus en plus de francophones partout dans le monde. Et il est clair que ce n’est pas juste un soufflé qui va retomber».
Proveiglobal : des couches écologiques
Je gère mon entreprise depuis mon ordinateur
Le digital est un secteur en plein essor et le Covid a non seulement modifié la façon de travailler au quotidien mais aussi la relation des entreprises avec leurs clients. Sébastien Flavier, ancien cadre à Amadeus, créateur de Proveiglobal, a été un précurseur dans la culture du télétravail.
Gérer l’entreprise depuis son clavier
«Dès le départ, j’ai créé une entreprise plateforme –explique Sébastien- Je suis ainsi libre du lieu où je peux travailler et je gère mon entreprise depuis mon ordinateur. Depuis le début, tous mes employés travaillent de chez eux et j’ai juste sous-traité la logistique des produits que je vends (des couches écologiques et produits pour toute la famille avec un impact positif pour la planète). En plus, dans l’écologie, on a une culture du sans-papiers et de par mon ancien travail, on utilise les outils pour que tous les processus soient ultra automatisés».
Vive Zoom!
Cette circonstance lui a permis de partir vivre aux Canaries, et la pandémie s’est même révélée un atout pour lui. «Avant la pandémie, c’était beaucoup plus difficile pour les gens d’accepter de faire des réunions Zoom par exemple. L’Espagne est très latine. Mais le Covid a définitivement changé les mentalités».
Filantrop : vêtements éco-responsables
Beaucoup de sociétés vont encore disparaître cette année. En particulier ceux qui avaient commencé leur investissement en 2020
Néanmoins, le Covid n’a pas été la «panacée» pour tous les secteurs de vente en ligne et de nombreux entrepreneurs ont dû apprendre à se réinventer. C’est le cas d’Emmanuel Moreau qui avait lancé en ligne, quelques mois avant la pandémie, sa propre marque de vêtements eco-responsables, Filantrop. «Je trouve que la création d’entreprises est plus agile en Espagne – signale Emmanuel- et, ici par exemple, on n’a pas l’URSSAF. Quant au Covid, il s’est produit un arrêt brutal de la consommation et la vente en ligne a chuté, sauf évidemment pour certains produits, et tous ont été obligés de grignoter sur leur trésorerie ou demander des crédits ICO. Il est très difficile de vendre en ligne sans investir dans le marketing et à moins d’avoir une idée très bonne, beaucoup de sociétés vont encore disparaître cette année. En particulier ceux qui avaient commencé leur investissement en 2020».
L’union fait la force
Selon Emmanuel, les gens ont dû s’adapter depuis la pandémie et beaucoup ont été obligés d’effectuer une transformation digitale de leur business pour s’en sortir. «J’ai remarqué qu’il y a un vrai changement du marché, qui est beaucoup plus fragmenté qu’avant- affirme-t-il-. Il y a de plus en plus de petites marques qui s’associent et se regroupent pour être présentes ensemble, aussi bien dans le retail physique que dans le market place en ligne. Un peu comme un grand bazar de luxe».
Villa Emilia : un hôtel 4 étoiles à Barcelone
Nous sommes passés d’un hôtel quatre étoiles à une auberge, où l’on faisait de tout, même la plongée
Mais sans nul doute, le secteur le plus touché par la pandémie a été celui du tourisme. Antoine Dubois, propriétaire depuis quelques années, avec sa femme de l’hôtel Villa Emilia à Barcelone reste pourtant positif. Son hôtel de charme marchait très bien jusqu’au fatidique 15 mars 2020. «Nous venions tout juste de finir de gros travaux lorsque l’état d’alarme a été lancé », se souvient Antoine. « L’hôtel est resté fermé six mois. Psychologiquement cela a été très dur. Heureusement le restaurant de l’hôtel a pu rester ouvert et cela nous a permis de nous en sortir. Nous sommes passés d’un hôtel quatre étoiles à une auberge, où l’on faisait de tout, même la plongée».
Une impression de vacances
Pour s’en sortir, l’hôtel a dû se réinventer et innover en proposant de nouvelles formules avec le restaurant, des forfaits week-end dîner et chambre demi-pension. «Il s’agissait souvent de gens de Barcelone – explique Antoine- qui, comme ils ne pouvaient pas sortir, étaient contents car ils avaient l’impression d’être en vacances. Cela nous permettait de perdre moins et en plus, on a gagné de nouveaux clients qui nous ont recommandé à leur tour et cela fait chaud au coeur. On a aussi eu beaucoup de Français car la frontière n’est pas loin mais le coût du test PCR en Espagne les freinaient. Alors, beaucoup de clients, qui avaient le test PCR de 72 heures, décidaient de rester deux jours à Barcelone et avec le même test rentraient en France! Avant on avait entre 70-75% d’étrangers. Peut-être que dans quelques temps on pourra dire que ça a été une bonne expérience».
Le pays de la convivialité
Bien sûr, Antoine Dubois pense qu’un retour à la normale dans ce secteur va être très long. «Il faut être patient -recommande-t-il, mais ça va revenir. C’est plus facile pour des petites structures comme la nôtre que pour de grands hôtels de 300 chambres. On assiste actuellement à une guerre des prix et il est important d’être très compétitif et d’offrir des prix très raisonnables. On fait aussi beaucoup de marketing on line». En outre, l’Espagne a une spécificité unique, le rapport qualité-prix, bien sûr, mais aussi son côté convivial. «En Espagne, les gens vivent dehors – raconte Antoine. Sortir et aller au restaurant est une tradition. En France ce n’est pas le cas. On a moins l’habitude d’aller au restaurant entre amis ou dans les bars. En France on se reçoit chez soi. Alors que l’Espagne sort beaucoup et heureusement pour nous! Le bistrot et la terrasse que l’hôtel a sur le toit marchent très bien».