En mandarin, le mot crise réunit deux idéogrammes : Wei — le danger, et Ji — l’opportunité. Le danger, anxiogène, nous rappelle à notre condition primaire quasi animale : la survie.
L’opportunité est un espoir, qui, pour être embrassé, doit mobiliser nos qualités humaines les plus riches et les plus abouties : notre intelligence, notre conscience et notre créativité ; notre âme humaine. Très souvent, à des chapitres sombres de notre Histoire se sont succédés de formidables pages, bien qu’écrites à l’encre des larmes sur des linceuls blancs. Car la résilience humaine sait être une muse féconde et ignorant même les premiers mots de ce nouvel acte, nous aurons naturellement à coeur d’éviter les maux passés, rayés avec tant de peine. Demain existera.
Et demain peut être une époque formidable, qui pourrait marquer une rupture avec l’organisation de notre société, telle que nous l’avons structurée depuis des décennies.
Sitting bull aurait dit : "Lorsque la dernière goutte d'eau sera polluée, le dernier animal chassé et le dernier arbre coupé, l'homme blanc comprendra que l'argent ne se mange pas".
Ainsi nous pourrions écrire aujourd’hui : "Lorsque la moitié de l’humanité sera confinée du fait d’une société incapable d’accueillir et de soigner l’ensemble de ses malades, alors nous comprendrons que la croissance du Produit Intérieur Brut seul, n’est pas un progrès en soi".
Si l’économie et la finance demeurent des outils, force est de constater qu’ils sont éventuellement devenus une fin. À dessein, des vecteurs majeurs de progrès ou de bien-être pour l’Humanité ont été sacrifiés sur l’autel du seul profit financier. La santé, la recherche fondamentale, l’éducation, les ressources naturelles, etc. Dans quelques semaines, le monde pleurera les dernières victimes de cette pandémie ; dès lors, qui peut imaginer reprendre l’Histoire où nous l’avions laissée. Il s’agira sans doute moins de disserter sur l’étendue de nos carences sanitaires que de les combler rapidement, quoiqu’il en coûte. Il s’agira donc peut-être moins de préserver le sacro-saint PIB que de sanctuariser de nouveaux buts ; de promouvoir ainsi de nouvelles organisations pour les atteindre et avec elles, de nouveaux médiums. De nouvelles entreprises humaines et avec elles, une nouvelle forme d’économie.
Demain doit être une époque formidable, qui devrait rétablir un lien plus harmonieux entre nos sociétés et notre environnement unique et irremplaçable. Encore une fois, la nature nous rappelle à son ordre : tout comme les incendies en Australie, cette pandémie est avant tout le produit d’un déséquilibre écologique : la déforestation, le rapprochement de la faune sauvage et de l’Homme… jusqu’au confinement par ce dernier d’une chauve-souris et d’un pangolin. En d’autres termes, nous ne pouvons plus ignorer l’urgence d’adopter des organisations profondément plus respectueuses du vivant, de la planète. Si la recherche médicale et une organisation sanitaire adéquate peuvent nous permettre d’affronter un nouveau virus dans un futur proche, une meilleure préservation de l’environnement mondial reste sans doute le moyen le plus direct pour traiter le mal à son origine. Et avec lui, bon nombre d’autres maux, peut-être bien plus menaçants encore. Nous ne sommes pas au-dessus de la nature, nous dépendons d’elle. Aujourd’hui, ignorant les frontières, ce rappel nous gifle violemment : pourtant cela pourrait précipiter notre indispensable (r)éveil.
Demain est déjà une époque formidable. Avec toute la retenue qu’impose le deuil de tant et tant d’êtres humains, demain paraît déjà en marche. Depuis des années, de nombreux entrepreneurs adaptent, voire métamorphosent l’économie traditionnelle en associant aux objectifs purement financiers des buts socio-environnementaux.
Vous avez peut-être entendu parler d’entreprises sociales, d’ESS, de B·Corp, de Profit for Not Profit… Ces sociétés d’un genre nouveau ont érigé en dogme l’idée que le progrès ne se mesurait pas au seul étalon du PIB, mais à ceux des progrès réalisés en matière de santé, d’environnement, d’inclusion, de culture, de lutte contre les inégalités, etc. Certaines d’entre elles, via leurs profits ou leurs ventes, financent des programmes caritatifs portés par des ONGs exceptionnelles. Si, de prime abord, de tels projets ne semblent parfois avoir aucune valeur financière à court terme, ils s’inscrivent dans un temps plus long et contribuent, d’une manière ou d’une autre, aux progrès de l’humanité dans son ensemble. Après tout, rétrospectivement, quel trader n’aurait pas souhaité investir son bonus mensuel pour financer la préservation de l’habitat des chauves-souris dans l’ouest chinois ?
En outre, ces acteurs économiques façonnent déjà de nouvelles formes d’organisation, de nouveaux produits, etc. de nouvelles solutions qui modèlent déjà les paradigmes économiques de demain et qui écrivent ensemble un nouveau narratif, davantage altruiste. Leur développement est d’ailleurs accéléré avec l’émergence de nouvelles sources d’investissements à impact ("impact investing"), qui favorisent tant l’objectif financier que socio-environnemental. Fort heureusement, malgré la crise actuelle, cette dynamique ne devrait pas s’arrêter. Au contraire, à se fier à l’avis d’acteurs de financement à impact tels que Kanopé, elle devrait même s’accélérer.
Du danger de considérer cette crise comme une parenthèse à l’opportunité de façonner de nouvelles formes de penser et d’agir, nul ne saurait prédire l’avenir : si nous semblons désormais naviguer vers une terre inconnue, nous pouvons raisonnablement penser que la compréhension des causes liées à la crise que nous traversons sont notre meilleure boussole.
De l’expression démocratique à celle plus consumériste, de l’altruisme à l’engagement citoyen, de l’entreprise à son financement etc. chacun saura y jouer son rôle et au prix de cet élan collectif, demain sera une époque formidable.