Édition internationale

Un Deutschsprachiges Café solidaire au cœur de Neukölln

L'association Give Something Back to Berlin, fondée en 2013, propose depuis 2015 un café de conversation pour pratiquer l'allemand dans le cadre de son projet « Open Language Cafés ». Chaque mercredi depuis dix ans, des dizaines de personnes, souvent réfugiées ou migrantes, et installées à Berlin depuis quelques mois ou quelques années, se rendent dans l'immeuble Refugio à Neukölln, pour discuter en allemand, sous la supervision d'un professeur bénévole.

Ilots de tables avec des dizaines de personnes regroupées autour, dans une grande salleIlots de tables avec des dizaines de personnes regroupées autour, dans une grande salle
Le Deutschsprachiges Café de l'association Bring Something Back to Berlin, mercredi 21 mai © Pénélope Le Mauguen - Lepetitjournal.com Allemagne
Écrit par Pénélope Le Mauguen
Publié le 23 mai 2025

 

Un dispositif flexible et ouvert à tous

 

Il est 17h10 ce mercredi, et, au rez-de-chaussée de l'immeuble Refugio, les bénévoles s'activent déjà. Tables et chaises d'école sont rapidement disposées pour former seize îlots, qui se verront chacun attribuer un niveau de langue, de A1 à C2, en suivant le cadre européen de référence pour les langues (CECRL). Dans moins d'une vingtaine de minutes, la vaste salle aux murs bleus accueillera le Deutschsprachiges Café, rendez-vous hebdomadaire pour des dizaines de personnes qui souhaitent améliorer leur allemand en conversant avec d'autres apprenants.

Pour y participer, pas besoin de s'inscrire, il suffit littéralement de pousser la porte. « Un de nos principes directeurs est d'accueillir tout le monde, et nous souhaitons travailler avec le moins de barrières possibles. Les inscriptions en ligne en sont une, car il faut être rapide, être connecté...», explique Ricarda Bochat, en charge du programme Open Language Cafés au sein de l'association Give Something Back to Berlin depuis 2020.

A l'entrée de la salle, un bénévole écrit le nom de chaque participant sur un bout de scotch, et, munis de cette étiquette, il ne leur reste plus qu'à s’asseoir à une table, et converser en allemand pendant deux heures. Tout a été pensé pour conserver un maximum de simplicité et de flexibilité, afin d'attirer et retenir le plus de monde possible. Nulle obligation d'être ponctuel, ou de rester tout au long de la séance : pendant une bonne heure, les arrivées continuent, et certaines personnes partent plus tôt, sans que cela pose le moindre problème organisationnel.

 

Entrée de la salle, plusieurs personnes entrent, un bénévole près d'une table haute donne des autocollants avec les prénoms de chacun
A l'entrée de la salle, les participants du jour récupèrent auprès des bénévoles des étiquettes indiquant leur prénom © Pénélope Le Mauguen - Lepetitjournal.com Allemagne

 

Apprendre en discutant

A chaque table, les conversations se nouent, avec l'appui d'un professeur bénévole, qui possède un excellent niveau d'allemand, quand ce n'est pas sa langue maternelle. Les débutants apprennent à se présenter, discutent de leurs passions, ou parlent de leurs pays d'origine et des différences entre celui-ci et l'Allemagne. Charge au professeur de les corriger et de faire des points de grammaire et de vocabulaire.

Assis à une table du niveau A2, Ernest, 55 ans, originaire du Cameroun et qui vit en Allemagne depuis 28 ans, explique à huit apprenants attentifs la différence entre les mots Begabung (le talent) et Leidenschaft (la passion). Assise en face de lui, Natalia hésite : le yoga, pour elle, Leidenschaft ou Begabung ? Cette ukrainienne âgée d'une quarantaine d'années est arrivée à Berlin il y a trois ans, après avoir fui la guerre d'agression lancée par la Russie contre son pays. C'est la première fois qu'elle vient au Deutschsprachiges Café, avec un objectif bien précis : atteindre le niveau B1, pour faire reconnaître son diplôme de médecin et pouvoir enfin travailler.

A sa table, une retraitée ukrainienne, une jeune designeuse malaisienne, un ingénieur kurde, un gardien d'immeuble syrien, une Péruvienne, un Irakien et deux autres Syriens discutent posément. Les âges vont d'une vingtaine d'années aux quatre-vingt ans passés. A l'image de Natalia, plusieurs d'entre eux sont là pour la première fois. Tous vivent en Allemagne depuis plusieurs années, et veulent apprendre l'allemand pour s'intégrer, pour travailler, pour être naturalisés, parfois pour mieux communiquer avec un conjoint allemand...

Il y a un an et demi, Janet était assise à leur place. Aujourd'hui, elle rejoint fièrement une table C1, un niveau avancé. Cette jeune tanzanienne arrivée à Berlin il y a deux ans, sans connaître une once d'allemand, fréquente l'association depuis février 2024. Si elle suit des cours en parallèle, elle souligne que l'association l'a beaucoup aidée à améliorer son niveau. Se projetant à long terme en Allemagne, maîtriser la langue de son pays d'accueil lui paraissait primordial.

 

Les apprenants s'installent, des tables sont encore vides, mais d'autres déjà remplies
Les participants arrivent et remplissent peu à peu les îlots de niveau © Pénélope Le Mauguen - Lepetitjournal.com Allemagne

 

Un dispositif né avec le mouvement de l'OPlatz

Pourtant, le tout premier café conversationnel lancé par le dispositif Open Language Cafés était en anglais. En 2013 et 2014, l'association Give Something Back to Berlin est très impliquée dans le mouvement de l'OPlatz, lors duquel des personnes réfugiées, majoritairement d'Afrique subsaharienne, occupent l'Oranienplatz pour demander une politique d'accueil plus favorable aux migrants et réfugiés, et protester contre le Residenzpflicht et le règlement Dublin III. « A l'époque, nous ne savions pas si ces personnes allaient pouvoir rester en Allemagne, ou si elles allaient être envoyées dans d'autres pays européens. Nous avons donc commencé par un café en langue anglaise », relate Ricarda Bochat, qui accompagne l'association depuis ses débuts. A partir de 2015, avec la politique d'accueil volontariste déployée par la grande coalition d'Angela Merkel envers les Syriens et Irakiens leur assurant un séjour prolongé dans le pays, la nécessité d'un café en langue allemande s'impose.

Le Englischsprachiges Café a toujours lieu chaque semaine, mais rassemble en général moins d'une trentaine de personnes, et en 2021, un Arabisches Sprachcafé a été lancé. L'association aimerait ouvrir le programme à l'espagnol et au turc, et peut-être proposer des langues moins répandues, comme le farsi ou le kurmandji. Mais cela impliquerait de trouver des salles supplémentaires, des professeurs bénévoles prêts à s'engager chaque semaine, et des volontaires pour l'organisation. Or les ressources, tant matérielles qu'humaines, sont déjà limitées.

 

Une affluence qui a doublé en quatre ans

 

Vue de haut de la salle, une grosse centaine de personnes discute autour de dizaines de tables
L'affluence est au rendez-vous ce soir, avec près de 150 personnes regroupées pour discuter © Pénélope Le Mauguen - Lepetitjournal.com Allemagne

 

Les premières années, chaque séance du Deutschsprachiges Café rassemblait entre 80 et 90 personnes. Depuis la fin du Covid, la fréquentation a doublé. « La semaine dernière, il y avait 178 personnes », nous indique un bénévole, l'air encore impressionné d'avoir réussi à accueillir tant de monde. Ce mercredi, environ 150 personnes sont venues converser. « Nous n'avons presque plus de chaises », constate Ricarda Bochat, estimant que le Deutschsprachiges Café est à la limite de ses capacités d'accueil. Trouver des professeurs bénévoles disponibles chaque semaine est également une gageure. Mais pour l'instant, l’équilibre tient bon, alors pas question d'établir une sélection à l'entrée.

Pour essayer de détourner un peu l'affluence du mercredi, l'association mise sur des formats de cafés de conversation plus restreints, comme le Frauensprachcafé, dédié aux femmes souhaitant pratiquer l'allemand, et qui offre en même temps des services de babysitting. L'équipe de Ricarda Bochat considère également l'ouverture prochaine d'un Queersprachcafé, pour les personnes LGBTQIA+ souhaitant discuter en allemand et dans un espace sûr de sujets les touchant plus particulièrement. Enfin, des sessions de cours en petit comité pour les débutants sont régulièrement organisées.

 

Même avec les limites actuelles de l’organisation, les bénévoles restent optimistes. Ils savent bien que leur dispositif a un véritable impact sur la vie des gens. « Je fais ce travail depuis dix ans, et c'est un retour que j'ai quotidiennement, à travers la communauté. Nous avons réussi à créer une communauté très cohésive, un lien solide nous unit », confie Ricarda Bochat. A 19h30, un bénévole sonne la fin de la discussion. Les participants et les bénévoles rangent alors les tables, et empilent les chaises au fond de la salle. Avant de prolonger la discussion dans la rue, expérimentant pleinement cette communauté qui dépasse le simple groupe d'apprentissage.

 

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