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Agressions sexuelles : que faire, concrètement ?

Il y a des articles qu’on préfèrerait ne pas avoir à publier ou même écrire, parce qu’on vivrait dans un monde où ça n’est pas un sujet. Malheureusement, ça n’est pas le cas. Alors même si ce « on a testé pour vous » a un goût amer, il rassemble l’essentiel de ce qu’il faut savoir si vous êtes victime d’une agression sexuelle à Berlin, ou si quelqu’un de votre entourage l’est.

photo de mika baumeister mannequins contre le violences sexuelles à bonnphoto de mika baumeister mannequins contre le violences sexuelles à bonn
© Mika Baumeister - Unsplash
Écrit par Sandrine Ibanez
Publié le 6 octobre 2025, mis à jour le 7 octobre 2025

Ça n’arrive pas qu’aux autres

En 2024, 7 475 infractions sexuelles (Straftaten mit Sexualbezug) ont été recensées par la police de Berlin, +79% par rapport à 2018 (source : Die Welt). Ça fait un peu plus de 20 par jour. Et derrière ce chiffre déjà pas réjouissant : on ne compte ici que les plaintes. 

Donc oui, c’est fréquent, et si j’avais une vague idée de l'ampleur des dégâts, je ne m’attendais pas à un jour dire #metoo. Surtout pas à 46 ans, suite à un massage (dans un vrai studio à Prenzlauer Berg, pas un endroit louche), par le propriétaire du studio en personne.

Et pourtant, c’est ce qui m’est arrivé. J’aurais pu me cacher derrière un pseudonyme, ou ne pas signer cet article, mais s’il y a bien quelque chose que j’ai intégré, c’est que si quelqu’un doit avoir honte et se sentir mal, ce n’est pas moi.

 

Première étape, reconnaître les faits

Cet article, c’est ma contribution à un constat pourri. Ces choses arrivent. À Berlin comme ailleurs. Partout, tout le temps. Dans la rue, en soirée, au travail, parfois même chez soi. Et quand ça arrive, en plus de la violence et du choc des faits, on se retrouve sans savoir vers qui se tourner, ni par quoi commencer. Encore plus quand on n’est pas dans son pays d’origine.

Avant toute chose, on reconnaît les faits pour soi. Il y a cette étape-là, silencieuse et violente : admettre ce qui s'est passé. Réaliser que ce n’était pas juste un moment bizarre soumis à interprétation. Que ça n’était pas juste flou. Que ce n’est pas de notre faute. Et que ça n’est pas « pas grave ».

Mettre les bons mots dessus, même en silence à l’intérieur de soi, c’est le premier pas pour reprendre le pouvoir. Et aussi, extrêmement important : laisser toutes les émotions s’exprimer, avant de faire le tri, au lieu de les glisser sous le tapis. Parce qu’il va y en avoir, des émotions : stupeur, dégoût, sentiment d’injustice, colère, honte, culpabilité, tristesse. 

Ça va remuer, et ça va être extrêmement déplaisant.

 

Faut-il porter plainte en cas d’agression sexuelle ? 

Tout le monde va dire “évidemment”. Sauf que c’est facile de répondre ça quand on n’est pas la personne concernée. Donc il ne FAUT rien du tout, à part faire ce qui est juste pour soi. Pas parce que tout le monde pousse dans cette direction, pas parce qu’il faut penser aux autres victimes passées et futures, la seule responsabilité qu’on a, c’est envers soi-même. Donc la vraie question, c’est : qu’est-ce que je veux faire ?

J’ai mis un an à porter plainte. J’avais envie de passer à autre chose. J’avais peur. J'avais honte. J’en avais marre des questions du genre “mais pourquoi t’as rien dit ?” (apparemment, beaucoup de gens n’ont jamais entendu parler du “freeze” du corps face au danger), de la gêne, des regards de pitié. Et j’ai mis un an de plus à en parler à ma famille. 

Mais à un moment, j’ai décidé que l’impunité, ça suffisait, et que j’avais besoin d’entériner que c’était inacceptable.


 

Photo de l'escalier de l'amtsgericht Tiergarten
Amtsgericht Tiergarten © Sandrine Ibanez - lepetitjournal.com



Le dépôt de la plainte

À noter : il est possible de déposer une “pré-plainte” en ligne, mais dans tous les cas, il faudra passer par la case déposition en personne. 

Il suffit de se rendre au commissariat le plus proche. J’y suis allée avec un ami au cas où j’aurais besoin de traduction. J’ai eu la chance de tomber sur une femme, qui parlait anglais, et était douce et empathique, à tel point qu’elle m’a fait un hug à la fin. C’était aussi fluide que cela pouvait l’être vu les circonstances.

Dans ce genre d'affaires, il peut être plus efficace d’aller directement au Landeskriminalamt en charge de ce genre d’affaires. Ce que je n’ai pas fait, mais du coup la police a simplement pris ma déposition sans que je signe quoi que ce soit, et quelques semaines plus tard, j’ai reçu un courrier. Qui m’indiquait la prise en compte de ma plainte, et me demandait de la confirmer, par écrit, en relatant encore les faits - oui, dans le processus, il faut se faire à l’idée qu’on va raconter la scène, et donc la revivre, infiniment plus qu’on ne le souhaiterait.
 

Un peu de vocabulaire utile

Une agression sexuelle, c’est eine sexuelle Nötigung. Ce n’est pas un viol (Vergewaltigung) - d’ailleurs, les définitions ont changé en 2016. “Nein heißt Nein”. La procédure pénale s’appelle Strafverfahren. C’est l’État, via le procureur (Staatsanwalt / Staatsanwältin), qui mène l’action publique. On est simple Zeugin (témoin) par défaut, même si on a porté plainte. Pour se constituer partie civile (Nebenklägerin) — ce qui donne plus de droits, notamment l’accès au dossier — il faut en faire la demande formelle, et être représentée par un·e avocat·e. C’est ce que j’ai fait.


Quelques mois après le dépôt de plainte, j’ai reçu une convocation au tribunal pour 5 mois plus tard. Le temps de me préparer, mais aussi d’avoir ça en tâche de fond…


 

L’avocat et les organismes de soutien

J’ai retourné Internet pour trouver un avocat, ce qui a été assez pénible parce que je tombais essentiellement sur des avocats spécialisés… dans la défense des accusés. Mais à force de taper à toutes les portes, on m’a donné trois noms, des femmes avocates avec de l’expérience dans ce genre d’affaires : Änne Ollman, Theda Giencke et Barbara Petersen. 

Si vos revenus ne vous permettent pas de payer un avocat (chômage, jobcenter), les frais peuvent être pris en charge par la cour, il faut faire une demande écrite.

J’ai décidé de me porter partie civile, et j’ai bien fait, avoir accès au dossier m’a permis de découvrir que je n’étais pas la seule à avoir fait une déposition contre la même personne. Malheureusement, je suis la seule à avoir porté plainte.

Au passage, j’ai découvert deux organismes vraiment indispensables : 

Weisser ring, la principale association d’aide aux victimes en Allemagne. Elle propose un soutien gratuit, confidentiel et personnalisé : accompagnement psychologique, aide aux démarches, et orientation vers des avocates, et même aide financière.

Opferhilfe Berlin, une association indépendante qui soutient les victimes d’infractions pénales, ainsi que leurs proches et les témoins. Elle propose un accompagnement psychosocial, une aide administrative et peut assister les victimes tout au long de la procédure judiciaire.
 

 

Photo de sorgenfresser
Sorgenfresser © Sandrine Ibanez - lepetitjournal.com


Le procès, et la suite

En amont, sur les conseils de mon avocate, j’ai demandé l'assistance du Opferhilfe, et ils ont été un soutien précieux. Concrètement, cela vous donne accès à une pièce à l’écart en attendant l’heure de l’audience (dans laquelle on trouve des Sorgenfresser, sorte de peluches à qui on confie ses soucis, ce qui m’a brièvement réjouie avant de réaliser que c’est probablement parce que des enfants se trouvaient aussi dans cette pièce). La représentante de l’Opferhilfe m’a également présenté la disposition de la salle, et m’a accompagnée pendant l’audience.

L’audience étant publique, je me suis également faite accompagner par un ami. 

Si comme moi votre allemand n’est pas à la hauteur, ou si tout simplement vous êtes plus à l’aise pour décrire les faits en français, la cour vous attribue d’office un traducteur (j’ai personnellement demandé une femme). 

Je ne vais pas vous dire que c’est une partie de plaisir. En plus d’être dans la même pièce que l’accusé, faire face aux questions du juge, relater les faits dans les moindres détails pour la énième fois, puis répondre aux questions de l’avocat de l’accusé, c’est éprouvant.

A l’issue de ce procès, l’accusé a été condamné à une amende - sachant que l’avocat de la cour et mon avocate demandaient de la prison. Il a évidemment fait appel, suspendant la possibilité de mettre tout ça complètement derrière pendant encore un an.

À l’issue du deuxième procès, qui était encore plus éprouvant émotionnellement que le premier, parce que j’ai presque eu l’impression que c’était moi qui avait fait un truc de travers, mon agresseur a été acquitté. Rien, pas même une petite tape sur la main. Les avocats et même la greffière étaient stupéfaits, et moi, j’avais un relent de “tout ça pour ça”.  

Rétrospectivement, je ne regrette pas mes démarches. Je regrette simplement d’avoir mis un an à porter plainte, ce qui n’a clairement pas aidé mon cas. Mais en effet, il ne faut pas entamer ces démarches en conditionnant le fait de passer à autre chose à une condamnation.

Si on le fait, c’est parce que c’est juste - j’en garde le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait, et l’espoir que ça lui aura fait suffisamment peur pour qu’il arrête. Ou à défaut, que le karma fera son travail. 
 

Cet article concerne les agressions sexuelles. En cas de viol, les démarches sont un peu différentes, vous pouvez vous rapprocher de Lara, et vous trouverez toutes les informations dans ce pdf.

 

 

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