3 ans après sa découverte, la Vénus de Kołobrzeg, dans le nord de la Pologne, a enfin été authentifiée le 13 juin 2025 - l’artefact a effectivement plus de 6.000 ans ! Découverte en 2022, proche de la ville de Kolobrzeg en Poméranie occidentale, la statuette préhistorique à forme féminine de 12 centimètres de haut émerveille les préhistoriens du monde entier. Symbole de fertilité commun à travers le monde, c’est pourtant la première fois qu’une Vénus est découverte au nord des Carpates, amenant Aleksander Ostasz, le directeur du musée polonais des Armes de Kołobrzeg (Muzeum Oręża Polskiego w Kołobrzegu), à parler de “découverte du siècle”.


Une statuette - de nombreuses interrogations
La Vénus de Kołobrzeg, datée du Ve millénaire avant J.-C., peut surprendre au premier abord : il s’agit d’une petite statuette de 12 cm de long, sculptée dans le calcaire - des restes de coquillages, de coquille d’escargot et de serpules (tube de calcaire fossilisé), sont identifiables sur son corps .
Elle représente une forme féminine dont les traits liés à la fertilité sont fortement accentués. Les formes sont d’ailleurs avant tout schématiques, et l’absence de traits distinctifs, notamment sur le visage, semble souligner la portée allégorique de la statuette, représentante de la Femme et de sa fertilité pour les peuples de la Préhistoire.
Aujourd’hui, c’est surtout la localisation de la découverte de la vieille statuette de VI millénaires au nord des Carpates - sur les côtes de la Baltique; et le lieu de sa fabrication - estimée dans la région de Lublin - qui interrogent les préhistoriens. Il les amène à repenser la révolution néolithique en Pologne - c'est-à-dire le moment de sédentarisation des peuples passant d’un mode de vie de chasseur-cueilleur à celui d’agriculteur.
La Vénus de Kołobrzeg, un simple caillou dans un champ de Podczele ?
En 2022, quand un agriculteur d’Obroty (quartier de Podczele - Kołobrzeg), proche de la rivière Parsęta, en Poméranie occidentale, découvre un caillou à forme vaguement humaine, il ne s’attend pas à ce que cela révolutionne la conception archéologique de la région.
La trouvaille est dans un premier temps confiée à Waldemar Sadowski, du Groupe d’exploration et de recherche de Parsęta (Grupa Eksploracyjno-Poszukiwawcza PARSĘTA). Un an plus tard, le président du groupe d’exploration, Jan Orlinski, montre l’artefact à Marcin Krzepkowski de la fondation Relicta - un groupe de recherche en archéologie supervisé par le ministère chargé de la culture et du patrimoine national (Ministerstwo Kultury i Dziedzictwa Narodowego).
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La statuette aurait servi dans des rituels associés à la fertilité
La Vénus de Kolobrzeg serait une représentation féminine symbolique et allégorique. La capacité à formuler une représentation universelle de la femme, comme concept témoignerait en fait d’un haut niveau d’abstraction de la part des premiers habitants de la Pologne actuelle.
Les archéologues pensent que la Vénus aurait pû servir dans des cérémonies ou rituels visant à augmenter la fertilité. Ainsi, des entailles ont été faites au niveau des jambes et le dos plat de la statuette laissent penser qu’elle aurait pu être posée sur un socle à la verticale, pouvant ainsi être exposée lors d'événements communautaires.
De plus, des traces de polissage autour des hanches et des seins laissent penser que la statuette aurait pu être rangée et transportée dans de la matière organique comme du cuir.
Une datation difficile
Les membres de la fondation Relicta ont très vite repéré le caractère unique de la découverte. Cependant, il a fallu attendre encore deux années avant qu’une datation fiable puisse être obtenue, grâce à la technique de datation au radiocarbone (autrement dit au carbone 14). La première étude de la Vénus a ainsi été réalisée par la fondation Relicta et l’Institut de recherche historique interdisciplinaire de l’Université de Kalisz (Instytut Interdyscyplinarnych Badań Historycznych).
💡 Datation au carbone 14 ou au radiocarbone
Le carbone 14 est un isotope radioactif du carbone, présent dans les cellules des êtres vivants. Au fil du temps, à partir de la mort des cellules d’un organisme - ce peut être une plante, un animal, un champignon… - les isotopes de carbone 14 commencent à se désintégrer. Concrètement, le carbone 14 est un état instable du carbone, et au fil du temps, le carbone redevient stable.
L’état de désintégration du carbone à un instant T permet donc de dater le temps qui s’est écoulé depuis la mort des cellules qui le composent.
La désintégration du carbone suit une loi exponentielle : après 5730 ans, il reste 50 % du carbone initial (on parle de demi-vie). Après 2 demi-vies (11 460 ans), il reste 25 % du carbone 14 initial. Après 3 demi-vies, il en reste 12,5 % … et ainsi de suite.
Dans le cas de la datation de la Vénus de Kołobrzeg, les archéologues ont pu évaluer la quantité de carbone 14 présente dans des résidus naturels incrustés dans le calcaire. Cela représente un travail long et fastidieux qui peut expliquer le délai de l’expertise de l’âge de la statuette - comme l’indique Marcin Krzepkowski, de la Fondation Relicta.
Un honneur pour la ville de Kołobrzeg
Lors d’une conférence de presse du musée polonais des armes de Kołobrzeg, le directeur Aleksander Ostasz a annoncé que la Vénus serait installée dans une nouvelle aile du musée d’Histoire de la ville (une branche du musée polonais des armes de Kołobrzeg).
Une nouvelle section dédiée au Néolithique est en cours d’aménagement, la Vénus de Kołobrzeg en sera la pièce maîtresse - et aussi l’un des artefacts les plus anciens de la collection.
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Première découverte d’une Vénus au nord des Carpates
La Vénus de Kołobrzeg peut sembler bien jeune avec ses 6.000 ans, par rapport à ses cousines outre Carpates. Ainsi, la Vénus de Lespugue, découverte en 1922 dans les Pyrénées française, est datée de la culture Gravettienne et aurait au moins 24.000 ans. De même, la Vénus de Hohle Fels en Allemagne aurait 40.000 ans, quant à la Vénus de Tan-Tan, découverte en 1999 au Maroc, elle aurait entre 300.000 et 500.000 ans.
Cependant, ces statuettes féminines aux membres proéminents et habituellement en argile - bien que plus rarement en pierre - ne sont communes qu’au sud des Carpates. Ainsi, la découverte de la Vénus poméranienne intrigue les spécialistes et amène à reconsidérer ce que l’on savait sur les liens culturels entre la côte balte et le reste du monde au tout début du Néolithique.
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Une installation sur les côtes baltes plus précoces que ce l’on pensait?
La Vénus témoigne - avec son authentification - d’une présence humaine depuis au moins IV millénaires autour de l'estuaire de la rivière Parsęta.
Jusqu’à présent, les premières traces d’installation humaine en Poméranie Orientale connues dataient du IIIe millénaire avant J.-C., soit 2.000 ans plus tard.
Plus particulièrement, les premières traces d’implantation durable retrouvées jusqu’alors dataient de la culture de Wielbark, qui a atteint son apogée au début de l’ère chrétienne. Des fouilles à la fin du XIXe siècle avaient en effet révélé la tombe dite de la “princesse” de Bagicz, devenue un symbole pour toute la région.
Changement de la vision du néolithique polonais : cet endroit était donc peuplé ?
Depuis 12.000 ans, la géographie a profondément changé autour des côtes de la Baltique. À la fin de la dernière glaciation, autour du Xe millénaire avant J.-C., la fonte des glaciers a remodelé en profondeur les paysages pour arriver au relief que nous connaissons aujourd’hui.
Ainsi, la côte orientale de la Baltique a reculé de plusieurs dizaines de kilomètres vers l'intérieur des terres.
C’est autour de cette époque - à la fin de la dernière glaciation - que l’on retrouve les premières traces de vie humaine sur le territoire polonais. Il s’agit à l’époque principalement d'outils en bois de renne et de pierres taillées, compte tenu du climat bien plus aride qu’aujourd’hui. La Pologne s'apparentait alors à une vaste toundra inhospitalière, et les premiers humains qui l’habitaient avaient un mode de vie de chasseurs-cueilleurs.
Le néolithique, une époque complexe marquée par de profondes mutations
Ce n’est qu’entre 5.000 et 4.200 avant J.-C. que les habitants du territoire polonais ont commencé à adopter un mode de vie sédentaire. À proximité de l'embouchure de la rivière Parsęta, les habitants de la préhistoire polonaise auraient pu trouver un endroit hospitalier : situé au bord de la mer - source de nourriture, la proximité d’une rivière permet de garantir l’irrigation des cultures tout au long de l’année.
De plus, le passage à un mode de vie sédentaire mène à une augmentation de la population et à l’affirmation de hiérarchies sociales plus strictes. Les routes commerciales commencent aussi à se développer.
C’est dans ce contexte de profond changement que la Vénus de Kołobrzeg aurait été créée et utilisée.
💡 La transition démographique du Néolithique
La sédentarisation des sociétés a eu un impact considérable sur l’organisation de l’espèce humaine.
Les sociétés suivant un mode de vie nomade avant le néolithique pouvaient espérer avoir de 4 à 6 enfants par femme.
Au néolithique à l’inverse, la population bondit, avec 8 à 10 enfants par femme en moyenne. Ceci est permis par des sources de nourriture plus constante, des apports énergétiques plus importants du fait de la consommation de céréales, et ainsi la réduction du temps nécessaire entre les naissances.
Dans l’ensemble de la planète, on estime que la révolution néolithique a amené à une multiplication par 20 de la population mondiale, entre 8.000 et 3.000 avant J.-C.
Cependant, cette hausse de la fécondité s’accompagne d’une hausse de la mortalité et une baisse de l'espérance de vie : d’une part, la consommation de sucre avec les céréales amène à une augmentation des caries et le travail des champs amène à de nombreux cas d’arthrose.
De plus, de nombreuses épidémies - aidées par l’augmentation de la densité de population - décime les villages. La vie en communauté, souvent proche des animaux, peut provoquer des cas de zoonose par exemple, c'est-à-dire la transmission à l’Homme de germes animaux. La tuberculose et la syphilis font rage, de même que la mortalité infantile.
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De nombreuses questions en suspens : de nouvelles analyses attendues
Les premières analyses de la Fondation Relicta laissent supposer que la statuette aurait été sculptée à Roztocze, dans la région de Lublin. La statuette aurait été ensuite déplacée jusqu’à l'embouchure de la rivière Parsęta, en Poméranie occidentale.
Si cet élément venait à être confirmé, cela pourrait signifier l'existence de routes commerciales en Pologne, plus anciennes que ce qui était supposé jusqu’alors.
Ainsi, les archéologues et autres universitaires doivent encore plancher sur l’origine de la Vénus de Kołobrzeg. Ils devront aussi essayer de découvrir dans quel contexte elle aurait pu voyager de la voïvodie de Lublin à la Poméranie occidentale.
Actuellement, la Vénus est entre les mains d’une équipe de scientifiques interdisciplinaire : la Dr Iwona Sobkowiak-Tabaka de la Faculté d'archéologie de l'Université Adam Mickiewicz, le Dr Grzegorz Szczurek de l'Université de Kalisz, la Dr Barbara Studencka du Musée de la Terre de l'Académie polonaise des sciences, la Dr Aldona Kurzawska de l'Université Adam Mickiewicz et la Dr Agata Hałuszko de l'Université Maria Curie-Skłodowska.
Les résultats de leur étude sont attendus pour bientôt !
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