Nombreuses sont les femmes ayant contribué aux avancées majeures de nos sociétés dans bien des domaines, tout comme elles sont nombreuses à avoir été éclipsées des livres d’histoire. Manuela Solís Clarás est l’une d’entre elles. Celle qui fut l’une des trois premières étudiantes de l’université de Valencia à marquer l’histoire de la médecine de par son statut de pionnière et ses travaux sur la gynécologie.
Savez-vous ce qu’est un cordon ombilical ? Ou encore, comment se déroule un accouchement ? Si de nos jours, ces termes n’ont plus (ou presque) de secrets pour nous, il fut un temps où tout le monde n’avait pas accès à ces connaissances. C’est par le biais des travaux de quelques précurseurs, experts dans leur domaine, que leur diffusion au grand public a été rendue possible. L’une d’entre eux, une gynécologue espagnole, première étudiante universitaire valencienne et première femme à obtenir un diplôme de médecine à l'université de Valence, a gravé son nom dans l’histoire de la gynécologie : Manuela Solís Clarás. Pour comprendre l’extraordinaire de son parcours, il faut replonger près d’un siècle et demi en arrière, dans un contexte social bien différent de celui qu’on connaît aujourd’hui.
Un père professeur et un oncle médecin
La fin du XIX siècle est marquée par une société encore fermée aux femmes. Depuis des siècles, les hommes occupent l’espace public, la presse, le monde du travail, la politique, et de manière plus générale, tout ce qui se jouait en dehors du foyer. De leur côté, les femmes sont cantonnées à la sphère privée : alimentation, éducation des enfants et travail domestique. Des tâches peu ou pas valorisées à l’époque. Dans les années 1880, les femmes se voient encore dans l’obligation de demander une autorisation pour étudier.
C’est dans ce contexte que naît Manuela en 1862, dans la capitale de la Communauté Valencienne. Sa scolarité est rythmée par des portes enfoncées et des notes remarquables. Pionnière dès son plus jeune âge, elle est notamment l'une des premières femmes à passer son baccalauréat, qu'elle obtient avec d’excellentes notes, malgré un climat hostile à l'éducation féminine. Ce précieux sésame lui ouvre alors les portes des études supérieures. C’est décidé, Manuela sera médecin.
Etudiante pionnière à Valencia
A l’Université de Valencia, sept femmes se sont lancées dans des études supérieures entre 1874 et 1889 : une à la Faculté des sciences et six à la Faculté de médecine. Manuela entre à l’université lors de l’année universitaire 1882-1883. Elle est alors considérée comme l’une des trois premières étudiantes de l’université, aux côtés de Concepción Aleixandre Ballester et Trinidad Sánchez Fernández.
Entre brio et félicitations, la future médecin termine son cursus en 1888-1889, qualifié “d’excellent”, et se rend à la capitale espagnole pour poursuivre sa formation, à l’Instituto Rubio del Hospital Universitario de la Princesa. En son sein a été créé l'Instituto de Terapéutica Operatoria, alors considéré comme un centre hospitalier pionnier en matière d'enseignement, de nouvelles opérations et d'assistance. Dans cet environnement inspirant et propice à l’apprentissage, elle va se former à la gynécologie. Elle apprend, pratique, découvre. Une accumulation de connaissances qui donneront lieu à la rédaction de sa thèse, El cordón umbilical, qu’elle soutiendra en 1905, et dans laquelle elle souligne l’importance de connaître le fonctionnement de cet organe reliant l’enfant à sa mère.
Cinq femmes valenciennes qui ont marqué leur époque
Un séjour décisif en France
Mais l’obstétricienne ne compte pas s’arrêter là. Elle s’envole alors à Paris, afin d’approfondir ses connaissances. Elle atterrit à la clinique d'accouchement de la Faculté de médecine de Paris, auprès des docteurs Tarnier, Varnier, Pinard et Pozzi, à l’époque renommés pour des inventions et progrès divers en matière de gynécologie et de maternité. Le docteur Pozzi est considéré par beaucoup comme l’un des pionniers de la gynécologie en France. A partir de là, la Valencienne se constitue une solide base de connaissances, qui lui serviront dès son retour à Madrid, où elle combine soins privés et soins cliniques dans diverses institutions caritatives et sociales.
Rapidement, la médecin montre une volonté claire de se concentrer sur les femmes défavorisées dans la société madrilène du XIX et XXème siècle. Elle officie notamment en tant que gynécologue dans des institutions telles que la confrérie catholique Hermandad de la Esperanza et l’asile Cuna de Jesús. Ses expériences l’amènent à publier Higiene del embarazo y de la primera infancia en 1907. Dans cet ouvrage s’adressant aux mères et futures mères, la gynécologue y vulgarise des informations essentielles sur la grossesse, l'accouchement, l'allaitement, la petite enfance, et plus largement sur la maternité. Comme preuve de la reconnaissance de ses pairs, elle est élue membre de la Société espagnole de gynécologie en avril 1906, lui permettant ainsi de dédier une partie de son temps à la recherche, tout en continuant son travail en clinique.
Toute sa vie, Manuela aura travaillé à l’amélioration de la santé des femmes et de leurs enfants. Elle décède dans la ville qui l’a vu naître en 1910, année symbolique durant laquelle est promulgué le décret du 8 mars permettant enfin aux femmes d’accéder aux universités au même titre que les hommes. Une des rues de Valencia porte aujourd’hui le nom de Manuela Solís Claràs, en hommage à celle dont le travail a aidé des milliers de femmes et d’enfants, et dont le parcours a ouvert les portes à des générations d’étudiantes qui souhaitaient suivre la même voie.