L’adage “métro-boulot-dodo” n’est pas fait pour tout le monde. Serge Kulmicht en est le parfait exemple. Ce major de la police nationale a parcouru le monde durant sa carrière professionnelle. De chef de la Brigade anticriminalité à chef de la sécurité dans diverses ambassades, sa vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Portrait d’un aventurier qui n’aime pas s’ennuyer.
Entre la théorie et la réalité, il y a un océan.
Certains diront qu’il a la tête de l’emploi. Un pas assuré, une voix grave, une poigne ferme. Serge Kulmicht est policier, ou plutôt en “cessation d’activité professionnelle de la police”. A 57 ans, ce franco-espagnol n'impressionne pas seulement par sa démarche. Un coup d'œil à son curriculum vitae, où s’alignent les expériences professionnelles en France comme aux quatre coins du monde, laisse deviner que Serge n’est pas Monsieur-tout-le-monde. Chef de la Brigade anticriminalité, chef de sécurité dans diverses ambassades, médaille d’Honneur de la Police Nationale, entre autres. Des expériences, plus ou moins bonnes, qui ont mené ce sportif jusqu'à Valencia.
L’envie de s’émanciper
Serge a l’internationalité dans le sang, et ce n’est pas qu’une façon de parler. Il naît de l’union d’un père d’origine russe et d’une mère barcelonaise, la famille de l’un ayant fui le régime soviétique quand la famille de l’autre fuyait le régime franquiste. C’est à Gien, petite commune du Loiret “connue pour sa faïencerie et son musée de la chasse”, que Serge voit le jour, mais c’est en région parisienne qu’il grandit, aux Mureaux. Guidé très tôt par un désir d’émancipation, il quitte le domicile familial à 16 ans. Il enchaîne les “petits boulots”, puis décide alors de devancer l’appel du service militaire, à l’époque obligatoire. Au bout de seize mois, il repart de l’armée, ses concours de police, de gendarmerie et de la douane en poche. Il choisit finalement la police, suivant ainsi les traces de son père. Il intègre l’école de Police de Sens à l’aube de ses 20 ans. Débute alors une longue aventure. Ou plutôt, des aventures.
La soif d'apprendre
Depuis toujours, Serge a soif d’apprendre. Il provoque les rencontres avec l’Autre et tente de découvrir tout ce qu’il peut, partout où il passe. Ce goût de l’aventure, il le nourrit grâce à ses nombreux voyages, mais aussi à travers sa carrière professionnelle. A sa sortie de l’école de police où il termine 13ème sur 450, il entre au commissariat de Levallois-Perret pendant cinq ans, puis il intègre la brigade anticriminalité (BAC) de la ville, avant d’être nommé chef de la BAC de Clichy cinq ans plus tard. De nouveau, Serge apprend une nouvelle façon de travailler. “Je me suis vite aperçue qu’entre la théorie enseignée à l’école et la réalité, il y a un océan.” Très tôt, il apprécie la diversité des tâches de son quotidien. “J’étais passionné par ce que je faisais. Je partais au travail avec le sourire, malgré les moments difficiles”, se souvient le policier. Mais au bout de dix ans à la BAC, Serge connaît le métier sous toutes ses coutures. Le besoin de changement se fait ressentir.
Il passe alors les dures sélections pour travailler en ambassade. Parmi les 4.000 candidats, il fait partie des 60 sélectionnés. Il s’envole pour le Panama en tant que chef de sécurité de l’ambassade de France, où il filtre notamment les entrées dans le bâtiment et assure la sécurité de l’Ambassadeur. Une fois de plus, Serge est confronté au changement : une nouvelle langue et de nouvelles missions. “Les voyages à l’étranger, ça ouvre l’esprit. Le plus dur, c’est de sauter le pas. Quand vous êtes bien installé, c’est tout un changement que de partir du jour au lendemain seul avec deux valises dans un nouveau pays”. Sa femme de l’époque et ses deux filles le rejoignent trois mois plus tard. Leur troisième fille naîtra là-bas.
De contrat en contrat, d’un pays à l’autre
Son contrat se terminant au bout de trois ans, vient le moment de choisir une nouvelle destination. Ce sera le Rwanda. “Le Panama, c’était trois ans au soleil. En comparaison, ce fut le jour et la nuit au Rwanda”, admet Serge, qui souhaitait découvrir “quelque chose de différent”. Pari réussi, même un peu trop. Les mesures sanitaires, les moustiques porteurs du paludisme, la nourriture : autant de changements qui poussent la mère de ses enfants à rentrer avec leurs filles au bout de cinq mois. “Dans des pays dits “difficiles”, les psychologues estiment qu’il faut six mois pour s’adapter. Beaucoup n’y parviennent pas et rompent leur contrat avant”, explique Serge. Par la suite, il occupera le poste de chef de sécurité de l’ambassade de France en Albanie, un pays “qui ne lui correspond pas”, puis au Chili, où il vivra un tremblement de terre d’une magnitude de 7,6 sur l’échelle de Richter.
Celui qui dit ne pas avoir peur est un kamikaze.
Ce rapport au risque, au danger, à la peur et à la mort, Serge a dû composer avec toute sa carrière. Dès ses premières années de service, quand il intervient dans un appartement où un père a tué ses deux enfants avant de se suicider. Ou encore quand il parvient à maîtriser cinq braqueurs dans un Moneygram. Mais son contrat au Rwanda reste l’un des souvenirs les plus marquants. “Quand je suis arrivé, il y avait déjà des antécédents”.
L'assassinat du président rwandais le 6 avril 1994 déclenche le génocide de près d’un million de Tutsis, événement pour lequel la responsabilité de la France a longtemps été discutée. Fin novembre 2006, une montée des tensions provoque l’évacuation de l’ambassade en quelques jours. “Il faut organiser le départ tout en gérant les émotions sur place : la peur des diplomates qui ne veulent plus dormir chez eux, suivre le protocole d’évacuation qui implique notamment de tout détruire sur place”. Les drapeaux, les dossiers de demande d’adoption, les disques durs : tout est brûlé ou détruit.
“Ce furent trois jours et trois nuits sans dormir, sans se laver”, se rappelle Serge, qui ne pourra pas prendre une douche dès son arrivée à Paris, devant d’abord se rendre au ministère de l’Intérieur. “Ce sont des événements marquants lors desquels on est dans un état de stress extrême. Il faut sans cesse être vigilant et méthodique.” Cet épisode ne sera pourtant pas le clap de fin de sa carrière à l’étranger. A son retour en France, il refuse une médaille remise par le ministère des Affaires étrangères et demande à la place un contrat dans une nouvelle ambassade, cette fois-ci en Albanie.
Ma force, ce sont mes filles, mes trois soleils.
Comme un fidèle compagnon, la peur ne l’a jamais quittée. “J’ai eu peur dans tout ce que j’ai fait. La peur est un sentiment humain. Je considère que celui qui dit ne pas avoir peur est un kamikaze. Je n'en connais pas”, explique Serge avec sérieux. “Le plus important est d’apprendre à maîtriser cette peur pour prendre les bonnes décisions. Être paralysé par la peur peut avoir des conséquences catastrophiques dans ce métier.” A chacun le devoir de trouver “un palliatif” pour évacuer ce stress, comme en parler avec ses collègues autour d’un café. Pour lui, le salut se trouve près de ses filles. “Quand j’étais à la BAC, je rentrais souvent en pleine nuit. J’avais besoin de passer une quinzaine de minutes dans leur chambre pour évacuer. Ma force, ce sont mes filles, mes trois soleils.”
Une vie paisible à Valencia
Après 33 ans de carrière, Serge devient retraité de la police le 1er juillet 2019. Le lendemain, il est dans l’avion direction la Colombie avec Paola, son épouse, rencontrée lors de son contrat au Chili quelques années plus tôt. Une installation qui sera de courte durée, puisqu’une mauvaise expérience les pousse à quitter le pays l’année suivante. C’est sous le soleil de Valencia qu’ils décident alors de couler des jours heureux. Serge aspire à plus de tranquillité, sans pour autant réussir à raccrocher.
Ces retraités francophones qui partent vivre sous le soleil de Valence
Tout au long de son activité professionnelle, Serge n’a cessé de cumuler les activités en dehors de son travail. De dirigeant sportif du club de boxe de Levallois-Perret à consultant d’assurance en passant par président de l’Association de police de Clichy, le policier ne s’est jamais ennuyé. S’ajoute à cela le sport qui l’accompagne depuis toujours. “Le corps ne suit plus comme à vingt ans, mais je suis encore jeune dans ma tête. Je me sens vivant”, affirme-t-il avec le sourire. Comme pour prouver qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre, Serge a passé son baccalauréat professionnel des métiers de la sécurité en 2022, afin “d’appuyer [son] parcours professionnel”. Il est également formateur en sécurité et self défense pour la société Formavenir et a récemment obtenu une carte professionnelle (la TIP) lui permettant d'exercer comme garde du corps en Espagne. “C’est une corde de plus à mon arc.” Celui qui s’est nourri de la connaissance des autres pendant des années ressent maintenant le besoin de transmettre.
“Mes filles me disent que je devrais écrire un livre, mais ça ne m’intéresse pas”, confie Serge en riant. De sa carrière riche et variée, il en a tiré plusieurs enseignements. “Il faut s'épanouir et se réaliser dans le métier qu’on exerce, relever la tête face aux échecs et sortir de sa zone de confort pour découvrir de nouvelles choses”. Et le plus important à la fin de son activité professionnelle : “aspirer à une vie paisible et heureuse”.