Les associations pour les sans-abris distribuent tout au long de l’année des denrées alimentaires aux SDF. Ron supervise une équipe de volontaires qui arpentent le parc de Yoyogi chaque samedi pour aider les plus démunis à affronter le froid hivernal.
Ce n’est pas encore l’hiver, mais le froid s’est déjà installé dans la capitale japonaise. À peine 10 degrés sur le point de distribution du parc de Yoyogi, à deux pas du quartier effervescent de Harajuku. Les bénévoles arrivent tout juste, chargés de paniers, et déjà une cinquantaine de sans-abris forment une file. Ils attendent calmement, échangent des bonjours entre habitués. Emmitouflé dans sa doudoune, Daisuke repart avec un café chaud, des boulettes de riz "onigiri", un fruit et quelques biscuits. Il vit dans la rue depuis trois ans. Chaque année, il redoute l’arrivée de l’hiver. L’aide apportée par les associations est donc d’une grande utilité : « Cela me permet d’avoir les calories nécessaires et un soutien moral pour survivre », raconte-t-il.
Au-delà de la distribution alimentaire
Tokyo est l'une des villes les plus riches et dynamiques au monde, mais une réalité peu connue se cache dans l’ombre de ses gratte-ciels : la précarité de nombreux habitants, dont certains se retrouvent à la rue. Face à cette situation, des résidents ont décidé de s’engager pour aider les plus démunis. Parmi eux, Ron, un bénévole qui œuvre discrètement dans les parcs de la capitale japonaise, fait une différence pour des centaines de sans-abris en créant des liens au-delà de la simple distribution de nourriture.
Installé au Japon depuis de nombreuses années, Ron a commencé son engagement avant la pandémie de COVID-19. Avec un groupe de bénévoles, il distribuait des repas aux sans-abris d’un quartier de Tokyo via une église. Mais avec l’arrivée de la pandémie, cette aide essentielle a dû s’interrompre. Loin de baisser les bras, Ron et ses amis ont décidé de se réunir dans un parc pour poursuivre leur mission, non plus au sein d’une institution, mais en plein air. « La nourriture est juste un élément physique, mais spirituellement, nous essayons de les remonter, de les faire se sentir appréciés », explique-t-il. Son approche est simple mais efficace : offrir une présence bienveillante et un regard humain à des personnes souvent invisibles dans la société.
Ce lien humain est pour Ron aussi important que le soutien matériel. En établissant un contact visuel, en disant simplement bonjour, en posant des questions comme « Comment ça va aujourd'hui ? », Ron contribue à rendre aux sans-abris un peu de dignité. Parfois, son japonais approximatif suscite des rires, ce qui permet de briser la glace et de créer un moment de partage, aussi bref soit-il.
Le quotidien des sans-abris de Tokyo
Contrairement aux idées reçues, le profil des sans-abris à Tokyo est diversifié. Si beaucoup sont des hommes d'âge mûr, souvent anciens cadres ou employés ayant perdu leur travail suite à des licenciements ou des restructurations économiques, il n’est pas rare de rencontrer de jeunes adultes ou des personnes en situation de fragilité mentale. Selon Ron, la plupart des sans-abris sont des hommes, car les femmes semblent davantage résilientes face aux crises personnelles ou financières. Les hommes, en revanche, souvent trop fiers pour demander de l’aide à leur entourage, finissent par chercher refuge dans les parcs et centres de distribution alimentaire.
Les causes de cette précarité sont multiples : divorce, diminution des opportunités d'emploi pour les seniors, récession économique... Certains continuent même à travailler dans des conditions difficiles et mal rémunérées. Ron évoque le cas d'un homme employé dans un cabinet d'architecture, contraint de se rendre dans le parc pour trouver de quoi se nourrir, ses faibles revenus ne lui permettant pas de subvenir pleinement à ses besoins.
Une situation fluctuante et des défis permanents
La situation des sans-abris à Tokyo est marquée par des hauts et des bas. En fonction des saisons, de la conjoncture économique ou de la fermeture temporaire de banques alimentaires, le nombre de sans-abris dans les parcs fluctue. La moindre perturbation dans ce système fragile peut conduire davantage de personnes dans la rue. Par ailleurs, beaucoup souffrent de troubles de santé mentale, un autre facteur qui complexifie leur réinsertion.
Pour Ron, offrir un repas est important, mais le véritable impact réside dans la relation humaine qu’il bâtit avec eux. Ce bénévolat lui permet également de remercier le Japon, le pays qui l’a accueilli. « Je suis chanceux d'être ici. Comment puis-je remercier le Japon ? Je donne aux plus nécessiteux », confie-t-il, conscient qu’il pourrait facilement se retrouver à leur place si sa situation personnelle venait à se détériorer.
Une main tendue pour renouer avec l'humanité
En passant ses samedis dans les parcs de Tokyo, Ron crée une passerelle entre deux mondes qui se côtoient sans toujours se voir. Son action rappelle que les défis auxquels font face les sans-abris ne peuvent être résolus uniquement par des aides matérielles. Un sourire, un échange, une attention sont tout aussi précieux pour redonner confiance et espoir aux personnes qui, pour diverses raisons, ont perdu pied. Grâce à des âmes comme celle du bon samaritain, la capitale japonaise conserve un visage humain pour ceux qui ont tout perdu.
Si vous souhaitez devenir bénévole et participer aux distributions de nourriture à Tokyo, vous pouvez contacter M. Reid par e-mail (en anglais) à l'adresse suivante : otto_reid@yahoo.com.
Photo de couverture : ©B.Chapiron – Une partie de l’équipe des bénévoles au parc de Yoyogi