Aujourd'hui, nous allons à la rencontre de Mathias Ancelly, un français installé à Osaka, au Japon, depuis janvier 2018. Il nous raconte son parcours atypique, son intérêt pour l'architecture japonaise, l'électrochoc qui a inspiré son départ dans l'Archipel et sa situation professionnelle actuelle. Il nous présente également le SEKAI HOTEL, un lieu unique qui mélange tourisme et vie ordinaire de quartier, que vous allez pouvoir découvrir plus en détails prochainement lors d'un publi-reportage réalisé au cœur de l'hôtel.
Mathias, peux-tu te présenter aux lecteurs de lepetitjournal.com ?
Je me présente, je suis Mathias Ancelly et je suis originaire des Yvelines, de Montesson, plus exactement. Il y a bientôt deux ans que je suis installé au Japon. Pour évoquer mon parcours scolaire, je dirais qu'il est atypique. Je dois avouer que j'étais un peu perdu pendant mes années au collège, mais j'ai eu la chance de connaître le bac professionnel. Je m'y suis donc inscrit en Technicien du bâtiment option Assistant en architecture. Ce cursus m'a fait découvrir le domaine de l'architecture et m'a énormément motivé à continuer dans cette voie et j'ai donc intégré, à la fin de mon bac professionnel, l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Paris la Villette. Cette école m'a permis de m'ouvrir sur l'architecture du monde entier et plus particulièrement l'architecture japonaise. J'ai également baigné dans l'univers des mangas lors de mes années de collège mais aussi dans la culture nippone grâce à une amie japonaise de ma famille, vivant en France, qui nous a fait découvrir les us et coutumes de son pays.
Donc ton premier contact avec le Japon viendrait, soit de tes années d'enfance, baignées dans la culture manga japonaise, soit de la découverte de l'architecture nippone lors de tes années post-bac ?
Oui, mais j'ajouterai aussi un événement particulier. Pendant mes années de licence, en 2011, il y a eu le grand tremblement de terre du Tohoku et le tsunami. A ce moment-là, j'avais déjà une attirance pour l'architecture japonaise traditionnelle, mais aussi moderne, minimaliste. Et ces catastrophes majeures ont été comme un électrochoc pour moi. De fait, je me suis d'abord questionné sur le rôle de l'architecte lors de ces désastres naturels. "Que peut réaliser l'architecte pour aider ou éviter le maximum de dégâts ? Quels apports de l'architecte pour aider les gens touchés ?" Cela m'a immédiatement donné l'envie de me rendre au Japon pour essayer d'apporter mon aide, même minime. En tant qu’étudiant en architecture, voir des maisons emportées par les flots m’a bouleversé. Mais, malheureusement à ce moment-là, je n'avais pas les moyens de m'y rendre et le timing était mauvais par rapport à mes études. En 2012, j’ai commencé à suivre le cours donné par le Professeur Marc Bourdier, qui a lui aussi vécu au Japon, sur l’"Histoire critique de l’architecture et de l’urbanisme modernes et contemporains au Japon". Ce cours m’a notamment permis de réaliser les prémices de mon mémoire de master "L’émergence d’un nouvel habitat, en tant que « coeur du chez-soi », est-elle possible après les catastrophes de 2011 ?" . Et au final, grâce à mon école, qui a des partenariats d'échanges universitaires avec le Japon, j'ai pu me rendre en 2013 à l'Université d'Osaka.
Lors de tes études au Japon, as-tu eu l'occasion de te rendre dans le Tohoku ?
Oui, deux fois. Comme j'étais à Osaka, j'ai donc demandé à mon professeur-tuteur, Suzuki-sensei, si je pouvais aller, grâce à l'université, dans la zone sinistrée. Et j'y suis allé avec lui ! Il a pris le sujet de mon mémoire très au sérieux. Il m'a accompagné, m'a fait rencontrer du monde, m'a emmené dans plusieurs villes. C'était en mars 2014 et j'y suis retourné seul en avril 2015. J'ai pris alors pleinement conscience des destructions causées par les catastrophes et des enjeux de la reconstruction. L’un des aspects de la reconstruction qui m’a le plus marqué était la création de liens entre les personnes sinistrées. Pour terminer mon master, je suis rentré en France. Une fois le cursus complété, j’ai donc décidé de partir m’installer au Japon afin d’en apprendre davantage sur la création des liens sociaux, sur l’architecture des risques naturels mais aussi et principalement parce que je reste encore à ce jour très attaché à cette incroyable culture japonaise qui n’a de cesse de m’ébahir. Et c'est donc en janvier 2018 que j'ai pu poser mes valises au Japon pour une nouvelle vie.
Et pourquoi Osaka ?
Mon école était en partenariat d'échanges universitaires avec des universités à Tokyo, à Kyoto, dans le Kyushu et à Osaka. J'ai postulé à Tokyo, Kyoto et donc Osaka et mon dossier a été accepté par l'université de cette dernière. De plus, la ville est très bien située dans l'Archipel, ce qui permet de voyager facilement à travers le Japon. C'était important pour moi.
Maintenant que tu es bien installé au Japon, peux-tu nous présenter ta situation professionnelle actuelle ?
J'ai plusieurs casquettes (rire). J'ai d'abord commencé mon parcours professionnel au Japon en travaillant dans un cabinet d'architectes à Osaka. Mais je dois avouer que je me suis pris "une claque" par rapport au monde du travail au Japon. Dans le domaine de l'architecture, le travail est extrêmement dense. L'expérience était bien sûr très sympathique, mais assez éloignée de ce que je recherchais dans le travail, comme par exemple la création de liens sociaux. Cette agence-là ne me permettait pas de réaliser cela. J'ai donc préféré arrêter. Je me suis alors concentré sur cet aspect de la création de liens sociaux dans mes recherches, toujours dans le monde de l'architecture, et j'ai trouvé la compagnie Kujira, où je suis actuellement. Kujira est une société de rénovation, de design intérieur et d'immobilier. Cette société a aussi la particularité de posséder un hôtel avec un concept porté sur les relations humaines nommé le SEKAI HOTEL. J'ai tout de suite été conquis par ce concept, et le travail communautaire autour, et cela m'a donné la motivation pour intégrer cette entreprise. Je me permets d'ajouter que mon niveau de japonais n'est pas extraordinaire (rire).
Quel est ton rôle, voire tes rôles, au sein de cette société japonaise ?
J'ai d'abord commencé au SEKAI HOTEL en tant que membre du personnel, tout en travaillant en parallèle pour Kujira dans le domaine de l'architecture et de la rénovation. Kujira rénove des maisons vacantes disséminées dans des quartiers d'Osaka afin de créer des chambres destinées aux clients de l’hôtel. Actuellement, je travaille plus pour Kujira. J'ai d'ailleurs eu un nouveau projet de chantier le mois dernier : la rénovation d'un bâtiment de deux étages à Fuse pour créer des chambres pour l'hôtel. Je m'occupe également de promouvoir le SEKAI HOTEL auprès de la clientèle française. Comme SEKAI veut dire "monde" en japonais, nous souhaitons donc rayonner internationalement. Ces échanges me permettent également de travailler sur un autre projet, qui serait d'ouvrir un SEKAI HOTEL en France.
Une ouverture est-elle prévue dans un futur proche ?
Non, pas dans l'immédiat. Nous tablons sur 2023, dans ces eaux-là. Nous y réfléchissons dans tous les cas de plus en plus.
Le concept du SEKAI HOTEL est très particulier. Qu'est-ce qui le rend unique selon toi ?
La particularité première pour moi, c'est son concept autour de la vie ordinaire de quartier. L'hôtel est actuellement implanté à Osaka, dans des quartiers un peu oubliés. Ces emplacements sont stratégiques, car ils sont évidemment bien situés dans la ville. Nous nous implantons dans des quartiers mais sans construire un "simple" hôtel sans plus-value. Un partenariat entre l’hôtel et les commerces locaux, comme les restaurants, les boulangeries ou encore les bains publics, permet aux clients de profiter d’expériences locales authentiques. Par exemple, le client ne prendra pas son petit déjeuner à l’hôtel mais au café du quartier. Certaines fonctions de l’hôtel se retrouvent ainsi dispatchées un peu partout dans le quartier avoisinant, ce qui crée une relation particulière entre l’hôtel et la ville. Nous souhaitons que les clients fassent l'expérience de la vie ordinaire japonaise et que les locaux puissent rencontrer des personnes des quatre coins de la planète et jouir d'une économie plus florissante. Le concept est possible grâce à un SEKAI Pass. Ce pass permet de bénéficier des services de nos partenaires locaux. On l'obtient lors de la réservation à l'hôtel. Le SEKAI Pass permet, selon les termes du partenariat, un échange fluide et simple entre le client et le commerce, sans échange d'argent. C'est très pratique. Nous créons aussi des événements pour les enfants du quartier une fois par mois, qu'on appelle "Icoima", et qui sont financés par des frais d'un montant de 200 yens intégrés au prix des chambres. Il y a un autre évènement, qui s’appelle KUJILIKE, que nous réalisons avec Kujira. Ce sont des activités DIY (ndlr Do it yourself) pour des personnes en difficulté sociale. Actuellement, nous travaillons avec différents centres d’accueil social pour enfants avec qui nous réalisons des activités pouvant aller de la fabrication d’objets du quotidien à la rénovation de leur espace de vie.
Tu nous expliquais tout à l'heure que Kujira rénovait des maisons pour l'hôtel. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
En fait, dans les quartiers où est implanté le SEKAI HOTEL, Fuse et Nishikujo, il y a beaucoup de logements vacants. De nombreux propriétaires nous demandent maintenant de rénover leurs maisons pour qu'elles fassent partie de l'hôtel. Ils restent bien sûr propriétaires du bâtiment et ils nous le louent ensuite. Et si un jour l'activité de l'hôtel se termine, ils pourront retrouver une propriété rénovée qui pourra être à nouveau investie. Et puisque Kujira est derrière le projet, si il y a un souci avec une chambre, par exemple, nous le réglons immédiatement. L'entretien est constant.
Merci pour ces informations. Pour terminer, aurais-tu un conseil à donner à celles et ceux qui souhaitent s'installer au Japon ?
Ne jamais baisser les bras. Selon mon expérience personnelle, je dirais qu'il faut avant tout s'accrocher. Actuellement, mon niveau de japonais n'est pas très élevé et pourtant je travaille dans une société comme Kujira où tout le monde parle japonais. Le SEKAI HOTEL, c'est un peu différent, car il y a beaucoup de membres du staff qui parlent anglais. Alors il faut avouer que cela bloque assez souvent lors d'une recherche de travail. J'ai eu pas mal d'entretiens, après ma première expérience dans le cabinet d'architectes, et mon niveau de japonais est à l'origine de beaucoup de portes fermées. Mais je n'ai jamais lâché. J'ai contacté Kujira par mail, spontanément, et le directeur m'a répondu en m'expliquant que je pouvais venir le rencontrer, sans rien savoir de moi, et nous avons eu un très bon feeling lors de l'entretien. Mais dès que l'on nous donne une chance, il faut alors beaucoup travailler pour donner satisfaction.