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Rencontre avec Julie Pelletier, soprano à Tokyo

Julie Pelletier soprano chanson lyrique TokyoJulie Pelletier soprano chanson lyrique Tokyo
Écrit par Julien Loock
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 21 juin 2018

Expatriée depuis mars 2017 au Japon, Julie Pelletier exerce aujourd'hui, à Tokyo, son métier-passion de soprano. Elle nous fait le plaisir de répondre aux questions de notre rédaction. C'est aussi l'occasion pour Julie de nous présenter son nouveau projet, des plus excitants, autour des arts de l'opéra, accessibles à tous : Sempre Libera. Une belle rencontre pour fêter, en musique, ce 21 juin 2018 !

 

Julie Pelletier, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de lepetitjournal.com Tokyo ?


Je m'appelle Julie et je suis une soprano franco-russe de 30 ans. Etant issue de la célèbre génération Y, je me définis comme une personne aussi bien connectée aux réseaux sociaux et aux technologies d'aujourd'hui, qu'au 18ème et 19ème siècles, via mon répertoire musical par exemple.

Je suis toujours enthousiaste à l'idée de faire le lien entre notre passé, notre histoire commune et notre présent, où tout va tellement vite. Bien qu'étant une grande passionnée d'équitation, je me suis tournée, à l'âge de dix-huit ans, vers l'opéra, grâce à l'inspiration d'un film. J'avoue aimer me jeter à corps perdu dans un domaine, quand je m'y intéresse. C'est d'ailleurs ce que je fis avec l'opéra. Mais au cours de mes études, j'ai très vite réalisé que ce milieu était des plus élitistes et passéistes. De ce constat est née l'idée d'un projet personnel pour permettre à tous de s'approprier l'opéra. Pour moi, par exemple, le prix ne devrait pas être un frein pour profiter de cet art, ce qui est malheureusement une réalité. En Europe ou au Japon, l'opéra est un divertissement bourgeois qui vise les classes dirigeantes et les CSP++.

Mais avant que je puisse mettre en place ce projet de longue date, je me suis donc installée au Japon en mars 2017 avec mon mari, un franco-japonais qui rêvait de revenir vivre dans son second pays. Cette opportunité m'a permis de démarrer la mise en route de mon projet autour de l'opéra, entamé, maintenant, depuis le printemps dernier.

 

julie pelletier soprano tokyo

 


Pouvez-vous nous détailler ce projet qui semble vous tenir particulièrement à cœur ?


Pour moi, l'opéra souffre d'une image trop élitiste et son accès est, de ce fait, limité. Mon projet est de rassembler les gens autour de cet art, leur faire découvrir l'opéra tout en brisant l'idée que ce n'est pas pour eux. L'objectif premier est bien sûr de rendre accessible l'opéra à celles et ceux qui se sentent tristement non concernés. Mon projet, Sempre Libera, est d'organiser des soirées au prix de 3000 yens par personne, comprenant une exposition autour de thématiques variées, un opéra raccourci (une heure et demi au lieu de trois) et un cocktail, qui clôture la soirée, afin de rassembler les spectateurs et d'échanger avec eux. "Raccourcir" un opéra est d'ailleurs un défi que je vois comme une ré-interprétation contemporaine d'une célèbre œuvre.

Premièrement, cela rend plus accessible la représentation et deuxièmement, elle sert d'introduction à l'opéra, comme un apéritif si je peux me permettre. Si ma version vous interpelle, n'hésitez pas à découvrir l'œuvre intégrale, par exemple. Je souhaite donner envie aux gens d'en savoir plus sur l'opéra. Ce projet pourrait également évoluer et s'ouvrir sur des domaines différents comme le ballet ou le théâtre.


Au-delà de l'aspect public et découverte, le projet doit permettre à des jeunes chanteurs et jeunes entrepreneurs de trouver du travail et de gagner en expérience. Lorsque l'on vit dans le monde de l'opéra, un CV sans noble référence est synonyme de manque de sérieux. Je souhaite donner la chance à des chanteurs japonais, qui sortent du conservatoire, d'obtenir les expériences professionnelles dont ils ont besoin. Toujours dans l'optique d'accessibilité de l'opéra et de désacralisation, je vais prochainement créer une chaîne Youtube où je reprendrai des airs célèbres d'opéra à la guitare et à la voix, avec des inspirations diverses, comme le rock ou le punk. Je désire démontrer qu'un opéra s'écrivait et s'écrit comme des chansons actuelles. La structure et l'harmonie sont quasiment les mêmes, avec les accords et les couplets ou encore les refrains.


D'ailleurs, je suis très heureuse d'annoncer que la première soirée a déjà une date : le 12 octobre 2018 à Tokyo, dans la belle salle de Musicasa, proche du métro Yoyogi-Uehara. Pour cette première, Mozart sera mis en avant dans une mise en scène qui regroupera des musiciens et des chanteurs japonais et français, dont moi-même. En parallèle à cette représentation se tiendra une exposition dont le thème sera la musique et l'écologie pour introduire l'opéra via un angle nouveau. Des photographes et des plasticiens travaillent ainsi sur cette exposition qui va également servir de décor lors de la représentation. Et pour souligner la visée écologique de ce projet innovant, je travaille avec une association de protection de l'environnement, Conservation international Japan. Dès qu'il y aura des bénéfices, ils leur seront reversés. Je laisse bien évidemment encore un peu de surprise sur le contenu de cette soirée du 12 octobre ! Dès maintenant, il est possible de se procurer des tickets en prévente via le site Internet de l'événement. 

 


Quelles sont les difficultés rencontrées pour monter un tel projet ?


La première difficulté est toute trouvée : je ne parle pas bien le japonais. Et même si je peux travailler avec des Japonais qui parlent correctement l'anglais ou l'italien (courant dans le milieu), ils n'osent que très peu communiquer dans ce sens. Il aura fallu batailler pour que je puisse être en contact avec des artistes locaux, ici, à Tokyo. Mais j'ai eu la chance de rencontrer une chanteuse française qui parle japonais, Orianne d'Aliesio, car il faut mettre les Japonais en confiance pour pouvoir travailler avec eux durablement. La barrière de la langue agit forcément sur la réservation des salles ou la création des supports de communication, par exemple. Pour tout ce qui implique la langue japonaise, il me faut une aide.

Par contre, cela ne me gêne pas de déléguer, bien au contraire. Je souhaite accorder une confiance aux personnes qui m'aident dans le projet pour qu'elles s'impliquent personnellement. Et comme ce point revient toujours, trouver de l'argent pour monter un projet comme le mien est une difficulté majeure. Pour le moment, j'autofinance le premier spectacle en attendant le résultat de la recette de la soirée. 

 


Quels sont les différents besoins nécessaires pour conduire ce projet vers la réussite ? Des partenariats sont-ils envisageables ?


Je suis en recherche active de sponsoring pour mon projet autour de l'opéra. La célèbre marque Buffet Crampon, qui est installée au Japon, va sponsoriser mon second spectacle grâce au prêt de leur salle de concert. Je les remercie énormément. Je vais également bientôt rencontrer le proviseur du lycée français international de Tokyo pour une prochaine représentation qui impliquera des élèves dans l'idée d'une chorale autour de l'opéra. Mes différents besoins sont avant tout financiers et logistiques : le prêt d'une salle, c'est un tiers du budget qui est sauvegardé pour d'autres dépenses très importantes comme le salaire des chanteurs ou les costumes. Le point sur les salaires est important à mes yeux, car le but du projet est d'être aussi une école de la vie. En effet, pour les jeunes en voie de professionnalisation dans mon domaine, le besoin d'un mentor est souvent indispensable pour leur apprendre à se construire une carrière, loin de la théorie du conservatoire. J'ai connu ces difficultés-là dans ma carrière et c'est grâce à mon mentor que j'en suis là aujourd'hui.

 

julie pelletier soprano tokyo

 


Vous avez travaillé en France, en Russie et maintenant au Japon. Quelles sont les différences notables entre ces trois pays lorsque l'on est soprano ? La reconnaissance est-elle la même ?


J'ai en effet chanté dans les trois pays, mais jamais avec les mêmes moyens. En France par exemple, je faisais partie d'un projet, Opéra è Mobile, qui mettait en scène des opéras gratuits dans la rue. J'étais déjà dans la vision d'un opéra pour tout le monde, gratuit et dans de beaux lieux. Nous n'étions pas payés pour ces représentations, c'est pourquoi, dans mon projet actuel, je souhaite sincèrement payer les chanteurs et leur donner l'opportunité de se créer une carrière. Moi-même, je suis sortie rapidement du circuit classique du conservatoire. Je me suis formée auprès d'un mentor, une soliste bulgare, qui m'a tout appris. C'est le système idéal d'apprentissage de la musique, pour ma part, qui existe d'ailleurs depuis toujours : travailler avec un maître qui transmet son savoir et ses connaissances. Me voilà alors à passer une audition à Moscou et continuer mes études en Russie. J'ai été acceptée dans le théâtre de Galina Vishnevskaya, la plus grande soprano russe, qui était mariée à Mstislav Rostropovitch. Leur immense fortune a permis de créer un théâtre pour aider les jeunes chanteurs. Malheureusement, une fois encore, nous n'étions pas payés. Et dans un pays corrompu comme la Russie, quand vous devez obtenir quelque chose, il faut payer, quelle que soit la manière. J'étais alors véritablement dégoûtée du monde de l'opéra quand je suis arrivée au Japon. Autre pays, autre mœurs. Pour résumer, il existe deux types de personnalités au Japon : celle ouverte sur le monde et celle qui estime qu'il n'y a rien en dehors du Japon. C'est très difficile de se faire accepter, surtout dans ce monde artistique. Avec mes années d'expériences, je suis persuadée qu'il faut se créer sa propre reconnaissance et prendre les choses en main. Sans connaître la ou les bonnes personnes, dans sa famille par exemple, le système classique mène difficilement à l'épanouissement et à la réussite. Pour ma part, si je dois mener à bien un projet, je dois sortir des cases et me gérer moi-même. Car au Japon, il est difficile de travailler dans ce circuit artistique sans parler le japonais. Tout est question de diplôme au Japon également. Mais j'ai la chance d'avoir pu intégrer le monde des expatriés à Tokyo, comme avec Femmes Actives Japon, ce qui m'aide beaucoup pour mener à bien mon projet. 

 


Quel message souhaitez-vous adresser à nos lecteurs qui ont l'intention de franchir le pas de l'expatriation au Japon ?


Quoique vous fassiez, vous ne serez jamais japonais. Même mon mari franco-japonais ne sera jamais considéré comme tel. Il travaille d'ailleurs pour une boîte espagnole au Japon. C'est malheureusement le problème des binationaux qui peuvent avoir la sensation d'appartenir à nulle part. Il faut trouver sa propre identité et arrêter d'y penser à travers sa nationalité. Mon conseil est définitivement de rester soi-même.

 

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