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Interview : Eric Chevallier, expatrié au Japon depuis 7 ans

eric chevallier sakaieric chevallier sakai
Écrit par Julien Loock
Publié le 22 avril 2018, mis à jour le 27 septembre 2018

Lepetitjournal.com Tokyo est allé à la rencontre d'Eric Chevallier, expatrié depuis sept ans au Japon, plus précisément à Sakai, dans le Kansai. Lauréat du Trophée des Français de l'étranger en 2015, dans la catégorie jeune espoir, ce passionné de culture japonaise s'est épanoui pendant cinq années en tant qu'apprenti forgeron. Il est aujourd'hui responsable du développement touristique de la ville de Sakai. Nous en avons profité pour lui poser quelques questions. 

 

sakai japon

 

Eric Chevallier, vous êtes expatrié au Japon depuis 7 ans. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de lepetitjournal.com Tokyo ?

Je suis arrivé au Japon, début 2012, en PVT (ndlr visa vacances-travail). Six mois plus tard, je commençais un apprentissage de forgeron dans la ville de Sakai, dans le Kansai, à quelques kilomètres d'Osaka. Grâce à mon visa de pvtiste, j'ai eu la chance de rencontrer un forgeron de renommée, Sasuke-san, qui exerçait, et qui exerce toujours, dans la plus vieille forge du Japon. Il représente la vingt-deuxième génération. Depuis cette première aventure, je n'ai plus jamais quitté le Japon, hormis quelques séjours ponctuels en France. J'ai réalisé six mois de test chez ce forgeron, qui m'a ensuite gentiment demandé de rester avec lui pour continuer mon apprentissage. J'ai obtenu alors un visa spécial peu connu : le visa "activités culturelles". Je suis d'ailleurs le seul français à l'avoir reçu avec le statut d'apprenti forgeron. Ce visa, comme son nom l'indique, est valable pour les apprenants des arts traditionnels japonais et des savoir-faire du pays, comme la confection de kimono, les arts martiaux comme le karaté, l'aïkido... C'est un visa pour l'apprentissage d'un art, valable 5 ans, mais renouvelable tous les ans. Il faut bien sûr avoir l'autorisation de son "maître". Ce visa donne lieu à des contrats spéciaux, car ce n'est pas tout à fait un visa de travail. Nous ne gagnons pas beaucoup d’argent, mais assez pour survivre aisément. 


Avant mon départ pour le Japon avec mon PVT en poche, j'étudiais à l'Inalco, en licence de japonais. Ce sont les cours d'histoire, en particulier, qui m'ont donné la passion pour cette ville de Sakai, qui abrite des tumulus impressionnants (ndlr tombes d'empereur). Je n'avais qu'une envie : les étudier en détail. Le contact avec la ville de Sakai, et plus précisément avec le maître Sasuke-san, a été fait par l'intermédiaire d'une amie, devenue depuis ma femme. Elle m'a présenté au forgeron qui recherchait un apprenti français pour l'aider dans son activité et son développement dans l'hexagone. Moi qui souhaitais apprendre la culture japonaise de l'intérieur, c'était une chance unique de faire l'expérience de l'artisanat local. Au fil du temps, nous avons été énormément médiatisés, avec des interviews et reportages qui se planifiaient à deux voire trois fois par mois. Les commandes affluaient de plus en plus et le temps manquait considérablement, ponctué par ces interventions de la presse japonaise ou internationale. Au bout de cinq ans, et même si la passion était toujours intacte, nous avons décidé, avec Sasuke-san, de mettre un terme à notre collaboration. L'exposition médiatique a eu raison de cette aventure.

 


En 2015, vous avez été lauréat du Trophée des Français de l'étranger, dans la catégorie jeune espoir, en tant qu'apprenti-forgeron au Japon. Quelles ont été les retombées positives dans votre vie professionnelle ?


Très positives, les retombées ont été directes par rapport à mon travail. Ce trophée m'a donné une crédibilité conséquente vis à vis de la Mairie de Sakai et des autorités japonaises, par exemple. Le fait que ce trophée ait été donné en collaboration avec le Ministère des affaires étrangères en présence de personnalités comme Matthias Fekl, en 2015, donne de l'importance aux yeux des Japonais qui retiennent particulièrement ces détails. J'ai été reçu par les équipes de la Mairie de Sakai et la presse japonaise est venue également me rencontrer, avec des médias comme Asahi Shimbum ou encore TBS. Cette couverture médiatique a aussi permis de mettre en lumière la ville de Sakai pour les Japonais. Cette reconnaissance du Trophée des Français de l'étranger a crédibilisé le métier que je faisais en tant qu'apprenti forgeron. De très nombreux contacts avec des officiels de la ville ont été noués grâce à ce trophée.

 


Vous êtes, aujourd'hui, responsable du développement touristique de la ville de Sakai, dans le Kansai, réputée pour ses couteaux, son encens et ses pâtisseries. Quel est votre rôle au quotidien ?


Mon rôle au quotidien est de contacter les médias et ainsi obtenir une meilleure couverture médiatique pour la clientèle étrangère. Ma mission est de faire connaître la ville de Sakai au plus grand nombre. Je gère également les SNS, comme facebook, youtube, etc. Notons que la clientèle francophone représente plus de 80% des visiteurs dans des lieux comme les musées. Le facebook , comme le blog ou la chaîne youtube possèdent du contenu en français. Je dois également imaginer comment faciliter l'accès à la ville aux étrangers, réfléchir à l'installation de panneaux d’indication, gérer la logistique des bureaux d'information touristique. Ma vision étrangère permet de mieux imaginer les besoins en accessibilité pour faciliter l'expérience touristique des voyageurs étrangers. Je m'attèle enfin à faire connaître la ville sous un autre aspect que celui de la coutellerie, qui reste numéro un. 

 

tumulus sakai japon


Quels sont, selon vous, les arguments touristiques pour convaincre les voyageurs et les expatriés français et francophones de faire une escale à Sakai ? 


Ce n'est pas une ville visuelle, comme Kyoto par exemple, mais Sakai est une ville extrêmement riche historiquement parlant. Les tumulus, qui datent du début du troisième siècle pour les plus anciens, sont exceptionnels. Le plus célèbre et le plus colossal des tumulus de la ville est celui de l'empereur Nintoku, accessible depuis la gare de Nakamozu, à quinze minutes d'Osaka. Ce tumulus, au cœur de la ville, mesure plus de sept kilomètres de long sur trois de large. On apprécie la forme du lieu en prenant de la hauteur, depuis le vingt et unième étage de la Mairie, à la station Sakai-Higashi.


Au XIème siècle, c'est à Sakai qu'a été transformée la cérémonie du thé chinoise en celle que l'on connaît aujourd'hui au Japon, basée sur le zen. C'est Sen no Rikyu qui en est à l'origine. Le visiteur peut apprécier cet art particulier en visitant le musée de la ville qui abrite trois grandes répliques de maisons traditionnelles de thé du maître. On peut d'ailleurs faire l'expérience de ces cérémonies en leur sein. 


Plusieurs fois par mois, je réalise un tour de la ville pour la clientèle francophone en voyage dans le Kansai. Je lui fais visiter la ville sur le thème des étapes de la coutellerie japonaise par exemple, en leur ouvrant des lieux inaccessibles habituellement au public. J'aime partager ma connaissance de la ville, de sa riche histoire, de son artisanat, de son port ou encore de son ouverture unique sur l'occident, avec l'arrivée des Portugais au XIVème siècle et l'importation des épices et des armes à feux, que les artisans de Sakai ont vite copié. On retrouve l'héritage de cette époque dans la pâtisserie d'aujourd'hui par exemple. On trouve à Sakai des pâtisseries traditionnelles japonaises à la cannelle ou aux graines de pavot, uniques au Japon. Le port de Sakai était l'un des terminus de la route de la soie, ce qui traduit une ouverture sur le monde très poussée. Le développement de l'état de Sakai était d'ailleurs unique en son genre à l'époque : les étrangers étaient libres d'y circuler.

 

wagashi sakai japon


Sakai est également très bien placée en ce qui concerne l'accessibilité touristique. Elle se situe à vingt-cinq minutes de train de l'aéroport international du Kansai et à seulement dix minutes d'Osaka, via la gare de Namba. Cette situation géographique la place à une heure de Nara. Beaucoup moins chère que sa voisine Osaka et beaucoup plus calme, les voyageurs peuvent trouver à Sakai des solutions d'hébergement intéressantes. Nous avons récemment ouvert, avec l'aide d'un architecte, une maison traditionnelle comportant un café et deux chambres, elles aussi traditionnelles, pour une expérience des plus agréables. A Sakai, on vit le quotidien des Japonais. 

 


De votre expérience en tant qu'apprenti-forgeron à celle de responsable du développement touristique de Sakai, quels sont les points positifs et les points négatifs du monde du travail au Japon ?


C'est difficile de m'exprimer sur ce sujet car je n'ai jamais vraiment connu les contraintes professionnelles liées à l'expatriation. Je suis arrivé au Japon en 2012 pour y trouver un emploi d'apprenti forgeron six mois plus tard, activité que j'ai pris plaisir à exercer pendant cinq ans. Dans le domaine de l'artisanat, la pression subie au travail est différente. Elle n'est pas liée à la performance, les comptes à rendre sont différents et je n'ai jamais eu, ou presque, d'inquiétude par rapport à l'obtention d'un visa. Les efforts physiques étaient certes difficiles, mais je me sentais à l'extérieur des contraintes du monde du travail japonais. 


Par contre, pour réussir mon intégration et me faire accepter, j'ai suivi collègues et connaissances certains soirs dans les bars pour boire et créer des liens. Cette coutume de groupe est vraiment importante pour s'intégrer et copier leur manière de faire. S'intégrer est vraiment la principale chose à faire pour éviter d'être mis à l'écart. Agir comme des japonais avec le cœur toujours français, c'est comme cela que je me suis intégré. 


Cela peut paraître surprenant, mais de nombreux artisans traditionnels locaux recherchent des Français comme apprentis pour les aider dans leurs tâches quotidiennes. On pense facilement que c'est un domaine inaccessible. De mon côté, maintenant, j'essaye d'aider les Français qui me contactent pour leur trouver l'opportunité de vivre leur rêve à la japonaise. 

 


Quel message souhaitez-vous adresser à nos lecteurs qui ont l'intention de franchir le pas de l'expatriation au Japon ?


Tenter, définitivement. Il faut tenter l'expérience. De toute façon comme on dit, ça passe ou ça casse. Par contre, il est idéal d'avoir dans son bagage une connaissance de la langue japonaise, du moins un peu. Je pense également qu'il ne faut jamais se considérer au dessus du peuple qui nous accueille. Etre humble et respecter la chance que l'on a, car le Japon est un pays très facile à vivre quand on y est habitué. Je pense quotidiennement à la chance que j'ai d'être là. Pour les nouveaux arrivants, accrochez-vous et soyez redevables, même si ce n'est pas toujours facile.

 

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