Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Aya Usui : "On a rarement la chance de voir les adultes se développer"

Portrait d'Aya Usui, coach de managersPortrait d'Aya Usui, coach de managers
Écrit par Steen
Publié le 27 avril 2021, mis à jour le 28 avril 2021

Comment aider les autres à évoluer et à valoriser leurs compétences dans le monde du travail ? C’est la question que se pose Aya Usui lorsqu’elle accompagne la transformation de leaders de tous horizons.

C’est avec plaisir que nous avons pu échanger avec la fondatrice de Lucky Gakuen pour parler de management, de positions de pouvoir et de la place des femmes dans le monde du travail japonais.
 

Quel est votre lien avec la France ?

J’ai commencé ma carrière en France ! J’avais décidé de faire mes études supérieures à Londres, mais ni le temps ni la nourriture ne me plaisaient. Un jour je suis allée en France pour les vacances et j’ai adoré. Cela faisait six mois que j’étais en Angleterre et j’ai décidé de m’installer en France. Au final j’y suis restée 10 ans.
Au début, je ne parlais pas du tout français. J’ai commencé à prendre des cours à Nancy 2 (qui n’existe plus) puis je suis allée à Strasbourg pour étudier la communication des entreprises et le management international. Après ces études j’ai fait un stage chez Renault. À cette époque ils créaient un nouveau quartier européen de Nissan en raison de l’alliance Renault-Nissan. J’ai immédiatement rejoint les quelque 300 personnes de tous horizons et nationalités qui travaillaient là. Nous avions le même objectif, mais des approches très différentes. J’adore travailler dans ce genre d’environnement ! 

Par la suite, j’ai travaillé aux ressources humaines de divers groupes. J’étais « talent manager » et je m’occupais du développement de l’organisation. En 2019 j’ai lancé ma propre compagnie, Lucky Gakuen, avec laquelle je coache les managers de diverses entreprises. J’ai gardé un lien très fort avec l’Europe et je travaille avec plusieurs entreprises européennes.
 

​Faites-vous du coaching en tête à tête en plus de vos ateliers partagés ?

Oui, je coache notamment des managers à qui on reproche d’abuser de leur pouvoir. Des hommes reconnus comme très agressifs ou autoritaires et avec qui la communication d’équipe ne passe plus du tout.
En tant qu’intervenante extérieure, je peux vraiment les aider à prendre conscience de la situation et leur donner envie de travailler sur ce problème.
Ces hommes que certains trouvent effrayants sont parfois comme de vrais petits garçons. Il n’est pas rare qu’ils aient de gros problèmes de confiance en eux. Nous travaillons sur les origines de leur comportement pour leur permettre de le déconstruire petit à petit.
Ce changement est très beau à voir, c’est très gratifiant pour moi. Je suis maman de trois enfants et je vois leur développement chaque jour. Les enfants apprennent à lire, à faire du vélo, etc. Ce sont des changements que l’on voit facilement. En revanche on a rarement la chance de voir les adultes se développer ou évoluer. Voir les personnes que je coache se transformer petit à petit me fait vraiment plaisir. 

 

coaching en tête à tête pour les dirigeants

 

Abordez-vous vos formations de management différemment avec les femmes qu’avec les hommes ?

Je propose des Workshops mixtes et d’autres réservés aux femmes. Le contenu du programme est le même, mais l’approche est différente. Dans des groupes uniquement féminins, les femmes se sentent plus libres de parler.
Les femmes japonaises sont très dures envers elles-mêmes. Notre éducation (car bien sûr je m’inclus dans ce cas) nous a mis une terrible pression pour être silencieuse, pas trop agressive, etc. Cela nous amène à penser que nous sommes inférieures dans le cadre du travail. Travailler en profondeur sur la confiance en soi est plus facile quand on se sent en sécurité, le Workshop réservé aux femmes permet cela.
Je me suis rendu compte que les hommes japonais ont aussi énormément de difficulté (même s’ils ne le disent pas forcément) à faire face à cette situation ou de plus en plus de femmes deviennent influentes au travail.
Les seniors managers sont particulièrement frustrés et ne savent pas comment gérer des équipes où les femmes prennent petit à petit leur place. Ils n’osent le dire à personne, c’est un gros challenge pour eux.
 

La place de la femme au travail est donc un sujet que vous abordez avec les hommes de vos formations ?

Dans les programmes mixtes, je n’hésite pas à leur poser des questions : « si votre collègue est une femme, comment agissez-vous d’habitude dans telle ou telle situation ? »  Par exemple, en ce moment avec l’épidémie de Covid-19, les femmes qui travaillent à la maison doivent souvent jongler entre professionnel et obligations parentales. Je peux alors interroger leurs managers masculins : « si les enfants de votre collègue se mettent à hurler pendant votre réunion, comment gérez-vous cette situation ? » 
Les femmes japonaises ne sont pas nombreuses dans le monde du travail, mais leurs managers ont plus de difficulté à travailler avec elles. N’y étant pas habitué, il y a beaucoup de problématiques auxquelles ils ne pensent pas. Je profite donc des ateliers pour soulever divers sujets : « Quelle attitude avez-vous avec une employée qui travaille parfaitement, mais doit exceptionnellement partir tôt afin de s’occuper de son enfant ? » »
 

Parlez-vous du harcèlement sexuel pendant vos coachings ?

Avant de parler de ça, je peux déjà partager mon expérience. À l’époque où je travaillais comme RH, trois employées de mon entreprise ont été harcelées par leur manager N+2. Celui-ci leur faisait du chantage pour obtenir des faveurs sexuelles : si elles n’obéissaient pas, elles seraient mal évaluées au travail. Ces trois victimes ne se sentaient pas capables de reporter ce harcèlement à la branche japonaise du groupe, elles l’ont donc reporté directement au quartier général en Europe.
Elles étaient trop effrayées que le côté japonais fasse taire l’affaire. C’est donc l’Europe qui a fait redescendre l’information au Japon. Malgré tout, cela a été fait en grand secret. Nous ne savions rien sur cette affaire qui a été étouffée par le responsable RH et par le président de la branche japonaise.
Ce manager a été viré, mais il a reçu de l’argent pour partir et bien sûr, personne ne savait pourquoi il était parti. Cela a été traité d’une façon très masculine.
Les seules personnes misent au courant, celles qui ont pris les décisions concernant ce problème n’étaient que des hommes. Il n’y a eu aucune discussion avec les victimes, aucun accompagnement. Certains collègues des femmes harcelées étaient au courant du comportement de ce manager et n’ont rien dit non plus.
Cela a été très frustrant pour moi de l’apprendre plus tard, car je pense que nous aurions pu faire les choses autrement.
Ce genre d’incident devient un énorme poids à porter pour les victimes, d’ailleurs deux d’entre elles ont quitté l’entreprise à cause de cela. Elles ont dû garder ce secret, même lors des entretiens pour trouver un nouveau travail. Ce silence est une deuxième punition pour elles, alors que le coupable s’en sort très bien. 
Il n’y a malheureusement pas beaucoup de cas au Japon, mais je pense que la présence d’une femme lors de prises de décisions importantes oblige les hommes à modifier leur comportement et à prendre des décisions bénéfiques pour le plus grand nombre.

Pendant le Workshop, parler de harcèlement sexuel serait très difficile. C’est un sujet sensible et délicat à aborder. Nous ne le faisons que dans de petits groupes de femmes. Elles se sentent alors assez à l’aise pour en parler. En revanche, on aborde systématiquement la question du harcèlement de pouvoir.

 

harcèlement de pouvoir dans le monde du travail

 

Quels sont vos projets à venir ?

J’ai déjà organisé plusieurs événements caritatifs ou artistiques comme le « Chikura Global Children Welcome United » pour les enfants liés à des pays étrangers vivant au Japon. Je travaille également régulièrement sur divers projets en lien avec les Palaos. En 2019, avec l’aide de l’ambassadeur de la République des Palaos, j’ai organisé diverses activités : exposition d’art au musée d’art de Setagaya, ateliers de réflexion sur la protection des océans, projet de cuisine et de création d’un livre de recettes avec des étudiants des Palaos et des étudiants de Hitachi Omiya City et de Zao Town, etc.
Ce qui m’amène à ce projet qui me tient particulièrement à cœur :
La création d’une école aux Palaos dédiée aux jeunes femmes pour les aider à gagner en autonomie.
Cette école enseignera les langues et quelques activités marines.
Dans la deuxième phase, j’aimerais proposer un programme de leadership pour les femmes, un coaching et un programme d’éducation sur les ODD.

 

Pour plus d’informations sur les initiatives menées par Aya Usui, retrouvez-la sur LinkedIn

 

portrait d'Aya Usui, coache de leaders internationaux
Portrait d’Aya Usui en couverture



 

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions