Édition Rome

Influencers et content creators : les travailleurs de l’avenir ?

Dans notre société de plus en plus digitalisée et désormais dominée par les outils de communication de masse (les réseaux sociaux ou « social media » comme Facebook, Instagram, Twitter, Youtube, Snapchat, Myspace etc.) de nouvelles figures sont en train d’émerger avec force.

téléphone portable dans une maintéléphone portable dans une main
Photo de Georgia de Lotz sur Unsplash
Écrit par Lia Meroni
Publié le 17 mars 2025, mis à jour le 18 mars 2025

 

Les influencers, les content creators ou les youtubers du web peuvent-ils être qualifiés de véritables professions, au même titre que, par exemple, les avocats, les médecins ou les architectes ?

Les plus sceptiques devront se raviser, puisque, comme l’a précisé Assoinfluencers, la première association syndicale italienne de catégorie des influencers, ces derniers sont environ 350.000 personnes, avec une valeur de marché d'environ 280 millions d'euros (avec une croissance de 15 % rien qu'entre 2020 et 2021).

Face à ces chiffres étonnants, on pourrait se demander si l’exploitation de l’image ou de la crédibilité d’un sujet qui utilise les réseaux sociaux peut rentrer dans la notion classique du « travail ordinaire », manuel et intellectuel.

Autrement dit, la simple image ou crédibilité d’un influencer ou d’un content creator peut-elle faire l’objet d’un contrat de travail subordonné ? Ou d’une collaboration coordonnée et continue (en Italien « co.co.co.-collaborazione coordinata e continuativa ») ?

 

Comment ces sujets (ou devrions-nous dire « travailleurs ») sont-ils encadrés d’un point de vue juridique ?

Il convient de délimiter les traits les plus intéressants de ces nouvelles figures, à la lumière d’une circulaire très récente de la Sécurité sociale italienne (« INPS ») n. 44 de 2025, qui a fourni des indications détaillées sur leur encadrement.

 

Les influencers et les content creators : quelle différence entre ces acteurs du web ?

Même si les influencers et les content creators utilisent d’une façon stratégique le web, ils n’exercent pas la même activité : les influencers sont des sujets qui parviennent à « influencer » leur public, de manière à orienter leurs goûts, leurs préférences, à susciter leur appréciation et à provoquer des réactions (interactions, telles que les likes, les commentaires et les shares).

La circulaire n. 44 de 2025 définit l’influencer comme « celui qui, en raison de sa popularité et du crédit qu'il a acquis au sein de la communauté des utilisateurs de la plate-forme, est particulièrement apte à orienter les opinions et les goûts du public de référence. »

Pour simplifier, l’influencer exploite commercialement son image et le crédit accumulé, en promouvant de biens ou de services, en échange d'argent ou d'autres avantages.

Comme l’a précisé l’Autorité de garantie des communications italienne (« Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni » ou « AGCOM ») dans la résolution n. 7/24/CONS, il existe deux approches de la classification des influenceurs :

- selon le nombre de followers, selon lequel on peut distinguer quatre catégories, basées sur la classification 2018 de l'American ANA (Association of National Advertisers) : micro-influencers (jusqu'à 25.000 followers) ; macro-influencers (jusqu'à 100.000) ; méga-influencers (jusqu'à 500.000) ; célébrité (plus de 500. 000) ;

- selon le degré d'influence exercé, Forrester Research a identifié en 2010 : (i) les influencers sociaux, individus déjà connus pour leurs activités en dehors du réseau, tels que les célébrités, les sportifs et les personnalités publiques ; (ii) les influencers de masse, individus dotés de grandes compétences interpersonnelles et d'une réputation consolidée grâce à une connaissance approfondie de sujets spécifiques qui suscitent la confiance de leurs adeptes ; (iii) les influencers potentiels, personnes qui, en vertu de leurs compétences en matière de communication et d'agrégation, peuvent influencer leur réseau de contacts, généralement de petites communautés.

À titre d’exemple, Cristiano Ronaldo peut être considéré comme un méga-influencer (puisqu’il détient la palme du nombre de followers sur Instagram, soit quelque 340 millions), mais il reste toujours une icône sportive, et pas seulement sur les réseaux sociaux. En revanche, le content creator est réglementé par l’article 27 de la loi n. 206 du 27 décembre 2023, qui définit ces derniers comme « les artistes qui développent des œuvres originales à fort contenu numérique ».

À la différence de l’influencer, qui, pour synthétiser au maximum, vit pour être vu et suivi par ses followers, le content creator n’a aucun intérêt à influencer le public, mais il créé simplement les contenus les plus divers (par exemple, en passant du tourisme à la gastronomie et au vin, aux soins du corps ou de l'esprit, au pur divertissement) pour partager des idées ou des expériences.

Si l’objectif poursuivi par ces acteurs du web, comme on l’a vu, est différent (dans le cas des influencers, influencer le public, dans le cas des content creators, partager des contenus), les produits réalisés sont presque similaires, puisqu’ils peuvent être inclus dans la notion plus large d’«œuvres intellectuelles », protégées par le droit d'auteur, conformément à la loi n. 633 du 22 avril 1941.

Les contenus doivent être le fruit d’un « travail intellectuel » et avoir un caractère original et créatif, même modeste.

Les influencers, par exemple, peuvent utiliser des éléments déjà préexistants, comme de la musique, des images ou des vidéos de tiers, mais ils doivent les élaborer d’une façon nouvelle, de manière à leur donner une nouvelle identité.  

 

La qualification des influencers et des content creators : salariés ou indépendants ?

À l’état actuel, la jurisprudence est encore en train de résoudre la vexata quaestio de la qualification juridique des influencers et des content creators. À cet égard, la Cour de Rome, par un arrêt n. 2615 de 2024, a qualifié les influencers comme des agents de commerce au sens de l’article 1742 du Code civil italien. Donc, des véritables travailleurs indépendants, pas assujettis au pouvoir de direction, de contrôle et disciplinaire de l’employeur.

En l’espèce, la Fondazione ENASARCO (c’est-à-dire la Fondation à laquelle doivent être obligatoirement inscrits les agents de commerce) avait demandé le paiement des cotisations sociales dues aux influencers, qui avaient été engagés par une société de vente en ligne de compléments alimentaires, pour promouvoir ses produits sur les réseaux sociaux.

La Cour de Rome, en qualifiant les influencers comme des véritables agents de commerce, avait condamné la société à verser les cotisations sociales à l’ENASARCO.

Selon la Cour de Rome les influencers engagés par la société exerçaient l’activité de vente - plus exactement, l’activité de promouvoir sur le web la vente des produits - directement aux adeptes des ceux-ci (c’est-à-dire aux « followers ») de manière stable et continue, et pas de temps en temps.
Lorsqu’un follower effectuait un achat, il devait saisir le code de réduction personnalisé associé à l'influencer, qui ne pouvait être atteint que par le biais des pages sociales de ce dernier ; par conséquent, chaque fois qu'un achat était effectué par le biais de ce code, la commande en question était contractuellement considérée comme ayant été directement effectuée par l'influencer.

Les influencers exerçaient cette activité dans une zone « géographique » déterminée, représentée par une portion du marché qui, dans le cas de l'influencer, était déterminée par la communauté des followers. En plus, les influencers recevaient des honoraires (plus exactement, des commissions) pour la valeur des contrats conclus avec leur followers.

Ces précisions faites, quel type de contrat est conclu entre ces acteurs du web et l’entreprise ?
Encore une fois, à l’état actuel, la jurisprudence ne donne pas une réponse définitive et satisfaisante.
En ligne de principe, l’entreprise stipule avec les influencers et les content creators un contrat de parrainage (autrement dit, en anglais, « contrat d’endorsement ») des produits et services appartenant à l’entreprise.

L’objet de ce contrat particulier est la divulgation non pas d'un message commercial en général, mais d'un signe distinctif, tel qu'une marque.

Ce contrat de parrainage (également dit « contrat d’influencer marketing ») est un contrat tout à fait particulier, qui fait partie de contrats atypiques, pour lesquels s’applique le principe de l'autonomie de négociation des parties, consacré par l'article 1322 du code civil.

Pour que ce contrat soit valable, certains éléments doivent être précisés, tels que l’objet (le contenu numérique des influencers et des content creators, assimilé à la catégorie des œuvres intellectuelles), la rémunération due en fonction des contenus créés ou en fonction des achats réalisés.

Même s’il s’agit d’un contrat atypique, une partie de la doctrine semble unanime pour le qualifier de « contrat de prestation de travail intellectuel », régi par les articles 2230 et suivants du code civil.
Cependant, en l’absence d’une législation ad hoc et d’indications et/ou précisions de la part de la loi et de la jurisprudence, il faut toujours regarder les modalités concrètes d’exécution de la prestation de travail.

Dans ce cas, il faudra regarder comment les contenus numériques sont publiés sur les réseaux sociaux par les influencers et les content creators, de manière totalement libre ou, en revanche, en suivant des directives de la part de l’entreprise.

Si les entreprises finissent par hétérodiriger d'une certaine manière non seulement les modalités d'exécution mais aussi le temps et le lieu de travail de la prestation de travail exclusivement personnelle de l'influencer, en imposant à ce dernier le jour et l'heure de la publication des différents contenus, alors on pourrait qualifier la relation de travail entre ces acteurs du web et l’entreprise comme une relation de travail subordonnée, conformément à l’article 2 du décret législatif n. 81 de 2015.

La Cour de cassation est parvenue aux mêmes conclusions, en se référant aux riders qui exerçaient leur activité sous l'hétérodirection de la plateforme numérique, en les qualifiant comme travailleurs subordonnés.

En fait, si le rider disposait d'un certain degré d'autonomie dans la phase génétique de la relation de travail, étant libre de décider de s'obliger ou non au service, il était tout aussi vrai que cette autonomie faisait défaut dans la phase exécutive et fonctionnelle de la même relation, dans laquelle il existait une hétéro-organisation en ce qui concerne les modalités du service, déterminées par une plateforme multimédia et une application pour smartphone (Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 24 janvier 2020, n. 1663).

Également, les influencers et les content creators, en utilisant les réseaux sociaux pour la publication de leurs contenus, peuvent rentrer dans la catégorie plus étendue des travailleurs des plateformes numériques, au même titre que les riders.

 

Du point de vue de la sécurité sociale comment-ils sont encadrés les influencers et les content creators ?

La circulaire n. 44 de 2025 sous mentionnée a fourni des indications opérationnelles pour l’encadrement de ces figures. Lorsque l'activité exercée par les influencers et les content creators présente les caractéristiques d'une prestation de services par le biais d'un emploi sans aucun lien de subordination, avec une prédominance de l'activité personnelle et intellectuelle, et en dehors de l'exercice d'une activité commerciale, et qu'elle est donc qualifiée de travail indépendant, ils doivent s’inscrire à la Gestione Separata, selon l’article 2, paragraphe 26, de la loi du 8 août 1995, n. 335.

Lorsque l’activité exercée par les influencers et les content creators présente les caractéristiques des prestations artistiques, culturelles et de divertissement, ils sont encadrés comme des travailleurs du secteur du spectacle, par conséquent ils doivent s’inscrire au Fonds de pension pour les travailleurs du spectacle (en Italien « Fondo Pensioni per i Lavoratori dello Spettacolo » ou « FPLS »).

Enfin, ceux qui travaillent dans le cadre de programmes publicitaires (reconnus comme "activités artistiques") sont considérés comme des travailleurs du secteur du spectacle et ont droit au paiement des cotisations sociales au FPLS.

Les infuencers et les content creators peuvent-ils être responsables des produits parrainés ?
Oui. Ils peuvent être responsables non seulement du point de vue contractuel, mais aussi civil et pénal.

D’un point de vue civil, un influencer pourrait être tenu responsable des dommages s’il fait la promotion d’un produit ou service qui est préjudiciable aux consommateurs. Ceci est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit de produits liés à la santé, tels que les compléments alimentaires ou les cosmétiques.

Du point de vue pénal, la promotion de produits illégaux ou la diffusion de contenus diffamatoires peut entraîner une responsabilité pénale. Pensons à un influencer ou à un content creator qui fait la promotion (ou créé) des contenus haineux ou diffuse des informations mensongères sur un concurrent commercial : il pourrait être tenu responsable d’infractions telles que la diffamation ou l’incitation à la haine.

 

Flash infos