Il était le dernier grand couturier français à être encore propriétaire de sa griffe. Progressiste visionnaire, se décrivant comme un « sauvage » n’aimant pas qu’on lui impose des décisions, Pierre Cardin nous a quitté ce Mardi 29 Décembre, à l’âge de 98 ans.
Il se rêvait danseur ou acteur, mais le destin fit de lui l’un des plus grands créateurs de mode de son temps. Né Pietro Costante Cardin, le 2 juillet 1922, c’est à Sant'Andrea di Barbarana, un petit village de Vénétie que débute son histoire. Benjamin d’une fratrie de dix enfants, ses parents, Alessandro et Maria, sont des propriétaires terriens. Antifascistes acculés par la pauvreté grandissante, ils entreprennent de quitter leur pays pour la France au milieu des années 20 et s’installent à Saint-Etienne. Pierre Cardin gardera de cette traversée une réminiscence mitigée. « J’ai le souvenir d’un train qui traverse un long tunnel sombre où je criais en balbutiant : ‘Maman, je crois que je suis devenu aveugle, je ne vois plus rien !’ » Arrivés en métropole, le jeune italien et sa famille connaissent le sort de la plupart des immigrés fraichement arrivés de leur terre natale : regards en biais, méfiance et insultes à connotations racistes. Pour les Français, ils n’étaient que des « macaronis », des « Roms Italiens ».
« Jusqu’à votre mort, votre nom sera partout dans le monde »
Enfant curieux et éveillé, Pietro voit sa sensibilité esthétique bourgeonner alors qu’il n’a que 8 ans. « Je feuilletais le mensuel Jardin des modes, je trouvais ça beau et passionnant. Je passais des heures à admirer les lignes, les couleurs et les matières. » Mais c’est en 1945 que son destin bascule, à la suite d’une rencontre fortuite avec une cartomancienne qui lui prédit un avenir grandiose. Au passage, elle lui aurait glissé le nom d’un de ses amis en poste chez la grande couturière Jeanne Paquin. Dès lors s’ouvre devant le jeune homme l’univers aux mille et une possibilités de la mode. Par la suite, il rencontrera Jean Cocteau pour qui il confectionnera les masques et les costumes de « La Belle et la Bête ». Il fera également un bref passage de deux mois chez la créatrice italienne, Elsa Schiaparelli, avant de faire son entrée, en 1946, chez Christian Dior, en tant que premier tailleur. « Quand Dior ouvrait le matin à 07h30, j’étais devant la porte. À l’époque, personne ne connaissait Dior ». Là-bas, il participera à la conception de la fameuse « Veste Bar, » qui devint le symbole de la « Révolution du New Look ». Pierre Cardin demeura trois ans chez le célèbre couturier, avant de fonder sa propre maison de couture en 1950.
« Quand quelque chose me manque, je l’invente. Ce qui m’intéresse, c’est de créer, de rendre plus beau »
Guidé par son instinct d’entrepreneur toujours en quête d’innovation, il présenta son premier défilé Haute-Couture en 1953, avant d’ouvrir, peu de temps après, plusieurs magasins dans la capitale française. En 1959, il choisit de démocratiser l’accès à la mode, en lançant une collection dédiée au prêt-à-porter féminin, au Printemps. Cette initiative fait polémique, mais bien moins que sa décision de faire défiler des jeunes étudiants de sexe masculin, dans les salons du Crillon, en 1958. À l’époque le métier de mannequin homme n’existe pas, il l’invente donc et se fait pionnier en la matière. Délaissant quelque peu la Haute-Couture au profit du prêt-à-porter, il se « rapproche de la rue » tout en s’attirant les reproches de ses pairs, parmi lesquels Yves Saint Laurent qui déclarera à son sujet : « dans trois mois, Cardin, on n’en entendra plus parler ! » L’avenir lui donna tort puisque Pierre Cardin devint une figure artistique incontournable des années 60. On lui retiendra notamment ses pièces aux courbes futuristes, parmi lesquelles on compte sa « robe cosmos » (1967) et sa combinaison unisexe « Cosmocorps » (1968).
« Dans mes boutiques, on vend de tout, du chocolat aux meubles !»
Homme d’affaires ambitieux et avisé, l’habilleur de la jet-set diversifia ses activités commerciales, tandis qu’en France, sa maison de couture se trouvait en perte de vitesse. Devenu propriétaire du restaurant Maxim's en 1981, puis magnat de l’immobilier en acquérant le Palais des Bulles, en 1991, le château du marquis de Sade dans le Luberon, en 2001, ainsi que le palais de Casanova à Venise, le designer se retrouva à la tête de diverses franchises dans plus d’une centaine de pays et progressivement à la tête d’un empire colossal qui se compte aujourd’hui en centaine de millions d’euros.
En 1992, Pierre Cardin devint le premier couturier à être élu membre de l’Académie des beaux-arts. Collectionnant honneurs et médailles, le couturier français n’a pourtant jamais renoncé à son identité italienne, au point d’affirmer qu’il se sentait « plus italien que français. » En 2012, il reçut même le Prix du Lion de Vénétie de la main de Clodovaldo Ruffato, Président du Conseil régional de Vénétie à l’époque. « C’est une grande émotion [...] je suis né ici et je ne l’ai pas oublié, je me sens vénète. »
« J’ai eu une carrière fulgurante et très enrichissante, j’ai traversé le monde entier, je n’ai rien à regretter »
Pierre Cardin, c’est 70 ans d’histoire de la mode. Son travail amorça les émancipations des corps féminins et masculins. S’affranchissant des codes bourgeois, il embrassa le monde et ses mutations, sans jamais regarder en arrière. Ses défilés mythiques sur la place Rouge de Moscou, dans la Cité interdite de Beijing, dans le désert de Gobi, ou le long de la Grande Muraille de Chine, entrèrent dans l’Histoire. Dans le documentaire que lui consacrèrent P. David Ebersole et Todd Hughes, on y voit un homme âgé à la démarche chancelante, et qui pourtant, malgré le passage du temps n’avait rien perdu de sa superbe. Jusqu’à sa mort, sa soif de créativité ne l’aura pas quitté, et c’est sans aucun doute qu’il mérite sa place au panthéon de la mode française.