Se défaire de nos idées reçues sur le Paléolithique, telle est l’ambition du documentaire ARTE, Dames et Princes de la Préhistoire. Diffusé à l’occasion des Journées Européennes de l’Archéologie, ce film signé Pauline Coste revient sur la découverte de la Dame du Cavillon, un squelette de femme datant d’il y a 24 000 ans. Révélé au grand jour par l’archéologue Émile Rivière, en 1872, son corps était demeuré caché au cœur des grottes des Balzi Rossi pendant des millénaires.
Depuis 150 ans, la sépulture de la Dame du Cavillon est l’objet d’enquêtes, de théories et de nombreux questionnements. Chaque nouvelle avancée scientifique, amène les chercheurs à remettre en question leur perception de la Préhistoire, et surtout à mettre en lumière la complexité de ses peuples longtemps réduits au fantasme du « bon sauvage ».
L’homme préhistorique : le mythe du bon sauvage brisé par la science
Sa peau était sombre et ses yeux clairs. Robuste et richement parée, ses restes furent d’abord pris pour ceux d’un homme par Émile Rivière. « Ce squelette était couché sur le côté gauche » écrit-il dans le récit de sa découverte (1887), « à sept mètres environ de l’entrée, près de la paroi latérale droite. Son attitude était celle du repos, celle d’un homme qu’une mort subite et sans aucune agonie violente aurait surpris pendant le sommeil. »
Pour l’archéologue, l’idée même d’une sépulture est inimaginable. Au XIXème siècle, on pense encore, en effet, que les hommes préhistoriques n’enterrent pas leurs morts, car cela impliquerait « automatiquement, une croyance en l’au-delà et donc une religion […] or, le bon sauvage n’est pas religieux » explique l’anthropologue Dominique Henry-Gambier.
De l’Homme de Manton à la Dame du Cavillon
Au cours des années 1990, un couple de chercheurs français, les de Lumley, ravivent l’intérêt scientifique de celle que l’on appelle encore, l’Homme de Manton. La paléontologue Marie-Antoinette de Lumney, travaillant alors au Musée de l’Homme, s’aperçoit que le bassin du squelette n’a « rien de masculin. C’était un bassin large avec une échancrure sciatique très ouverte, comme sur le bassin féminin ».
Ainsi, trompé par sa carrure costaude et par la richesse des décorations qui l’entouraient, notamment au niveau du crâne, les fouilleurs avaient conclu qu’il s’agissait d’un chef, or un chef pouvait-il être autre chose qu’un homme ?
Finalement, une étude anatomique approfondie confirma que l’homme de Manton était en fait bien une femme, malgré l’apparente robustesse de son squelette. Son nom fut ainsi changé, et elle devint la Dame du Cavillon, du nom de la grotte où elle avait été découverte par Émile Rivière.
Vers la fin d’une vision simiesque des peuples préhistoriques
La découverte de la Dame du Cavillon en Italie, s’inscrit dans le cadre de la mise en lumière d’autres lieux d’inhumation à travers l’Europe occidentale, datant de la période Gravettienne et qui viennent nourrir notre compréhension de cette époque, tout en nous interrogeant sur notre vision du Paléolithique.
Ces individus retrouvés un peu partout en Europe étaient-ils autant dépourvu de sens civilisationnel que nous le pensions ? Vivaient-ils dans des sociétés aussi égalitariennes que notre humanisme intéressé voulait bien l'admettre ? Mais au fait, qui étaient ces hommes et ces femmes, ces enfants, enterrés avec tant de soin et d’affection ? Princes, chefs, victimes sacrificielles ou chamanes, la frontière entre études scientifiques, hypothèses et fiction, s’amincit devant le champ infini des possibilités. Pour autant, elle nous ramène inlassablement vers la compréhension de notre propre humanité, en tant que femmes et hommes modernes du XXIème siècle.