Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Conflit armé interne en Équateur : récit d’une semaine sans précédent

Dans l’après-midi du mardi 9 janvier 2024, le président équatorien Daniel Noboa a annoncé l’entrée en vigueur du décret exécutif N°111, reconnaissant l’existence d’un état de “conflit armé interne” en Équateur, peu de temps après l’irruption sur un plateau télé de treize hommes armés dans la ville côtière de Guayaquil. Le président avait déjà déclaré la veille l’état d’urgence et l’instauration d’un couvre-feu entre 23h et 5h, à la suite de l’évasion d’Adolfo Macías alias “Fito”, chef du gang narcotrafiquant des Choneros.

L'armée mobilisée dans le conflit armé interne en ÉquateurL'armée mobilisée dans le conflit armé interne en Équateur
Écrit par Ida Gourlaouen
Publié le 17 janvier 2024, mis à jour le 30 janvier 2024

 

État de conflit armé interne en Équateur : qu’est-ce que ça implique ? 

Concrètement, ce décret se traduit par l’ouverture d’une “guerre” par le gouvernement et les forces de l’ordre contre les bandes criminelles liées au trafic de drogue. Vingt-deux groupes criminels ont été identifiés comme des ennemis internes par le pouvoir : Choneros (en référence à la ville de Chone, dans l’ouest du pays), Lobos (Loups), Águilas (Aigles), Tiburones (Requins), Tiguerones (Tigres)… 

Le décret a ainsi octroyé des pouvoirs exceptionnels à l’armée et la police, notamment autorisées à entrer dans les maisons, les institutions publiques et les commerces sans décision préalable de justice. Les forces de l’ordre ont également été massivement déployées dans les rues et les prisons tout au long de la semaine.

Aldrin Gómez, avocat spécialisé en politiques publiques, explique à Revista Vistazo :

“Une fois l'état de conflit armé interne déclaré, les forces armées ont tout pouvoir pour neutraliser l'ennemi qui ne veut pas se soumettre et toutes les institutions de l'État ont l'obligation de soutenir les actions des forces de l'ordre.”

Si le président précédent, Guillermo Lasso, avait déjà plusieurs fois décrété l’état d’urgence au cours de son mandat (mai 2021 - novembre 2023), ces mesures n’avaient pas eu de véritable effet sur le trafic de drogue. Selon plusieurs civils équatoriens, c'est aujourd’hui la première fois qu’un tel niveau de violences a été atteint depuis le début de la crise sécuritaire et l’augmentation de la criminalité ces dernières années. Dans la soirée du dimanche 14 janvier, le bilan officiel de la semaine s’élevait à 19 morts du fait du conflit, parmi lesquels des civils, des gardiens de prison, des policiers et des prisonniers.

Retour sur une semaine d’agitations. 

 

Panique et incertitude face aux violences en Equateur

Un vent de panique a donc soufflé sur tout le pays dans la journée du mardi 9 janvier. À Quito, les routes se sont remplies bien plus tôt que d’habitude dans l’après-midi, donnant à la capitale un air d’exode, entre bouchons inédits et foules de passants pressés de rentrer. Sous le coup de l’incertitude, de nombreuses tiendas (boutiques) et commerces en tous genres ont fermé, de même que plusieurs ambassades. 

Dans la panique, des conducteurs de bus ont également fait descendre leurs passagers au milieu de nulle part sur la route entre Cayambe et Quito notamment, par crainte d’une descente d’hommes armés - comme cela arrive parfois sur certains trajets en transport en commun à l’occasion de vols en bande organisée. 

Dans le quartier de Tiwinza, situé au nord de Quito et marqué par une forte insécurité, des coups de feu ont été tirés - comme dans d’autres quartiers réputés pour les faits de violence qui y ont régulièrement cours. Des explosions d’engins ont également été rapportées dans tout le pays, y compris dans des villes amazoniennes où l’insécurité est pourtant bien moindre voire inexistante comparé à d’autres régions. 

Sur la côte, où l’insécurité est la plus forte, à Puerto López notamment, les habitant·es ont vu débarquer des SUV  aux vitres teintées et sans plaque d’immatriculation, charriant leur lot de narcotrafiquants venus s’abriter des représailles gouvernementales - ils savent qu’ils y bénéficient de l’impunité grâce à la corruption de la police. 

À la suite du mouvement de panique ayant eu cours dans la journée du mardi, les gens ont été invités à rester chez eux et à travailler en distanciel le reste de la semaine dans les grandes villes. De même, les cours dans de nombreuses écoles et universités ont eu lieu à distance. Des faits de violences comme des explosions ont continué à avoir cours les jours suivants, mais de manière plus localisée ; les actions fortes de la police et de l’armée ayant quant à elles principalement lieu dans les prisons afin de libérer les otages. 

 

L'armée exerce des contrôles dans les rues

 

Après le déluge, l’accalmie à Quito ? 

Dimanche 14 janvier, une semaine après le début des événements, plus de 200 fonctionnaires de l’administration pénitentiaire pris en otage dans des prisons par des mutins ont été libérés. La police et le gouvernement équatoriens ont mené toute la semaine une campagne de communication félicitant les forces de l’ordre au travers de diverses vidéos publiées sur les réseaux : des militaires y sont représentés en train de tenir en joue des détenus torse nu ou en sous-vêtements plaqués au sol, ou encore forcés à chanter l’hymne national. 

À Tabacundo, ville de 6000 habitants à une heure et quelques au nord de Quito, Célia, jeune française en service civique auprès d’agriculteurs équatoriens, raconte que dans les jours qui ont suivi la journée du mardi, les gens ont continué à vivre normalement, à sortir et faire leurs courses. Elle souligne cependant que la station-service où elle se rend habituellement a arrêté de vendre l’essence en bidons afin d’éviter qu’elle ne serve à fabriquer des engins explosifs. 

Plusieurs expatrié·e·s français·es ont témoigné sur leur ressenti et le sentiment d’instabilité résultant de la situation. Mathilde, travaillant à Quito, raconte :

“Je réalise davantage à quel point les cartels sont puissants, et comme la situation est instable dans le sens où tu as l’impression que tu vis normalement mais du jour au lendemain il peut se passer quelque chose de grave.”

Tout en désirant rester en Équateur, elle a également pris conscience de la possibilité d’être rapatriée si jamais la situation venait à s’empirer. 

D’autres racontent l’impression de revivre une espèce de confinement plus souple, essentiellement marqué par l’impossibilité de sortir en soirée et par le report de certains voyages. Plusieurs, en tout cas, relativisent la situation : en dehors de certaines mesures comme le couvre-feu, le télétravail et une certaine vigilance, le cours de la vie quotidienne n’a pas tant changé.

Célia, quant à elle, explique qu’elle ressent avant tout de la peine et de l’empathie pour les Équatoriens qui subissent cette situation allant en s’empirant, et met en perspective la responsabilité des pays occidentaux dans les faits de violence liés au trafic de drogue en Amérique latine en général : de fait, la demande en drogue vient pour une grande part d’Amérique du Nord et de l’Europe. 

 

L’impact de la situation de crise sur le tourisme

La vague de violences qui a frappé le pays ces derniers jours a d’ores et déjà impacté le secteur du tourisme : la semaine passée, les hôtels de la capitale ont enregistré plus de 80% d’annulations dans leurs réservations (source : El Universo). Fort de ce constat, le ministère du Tourisme a lancé une campagne pour inviter influenceurs ou créateurs de contenu à valoriser les aspects attractifs du pays. 

 

Le hashtag "Esto es Ecuador" sur Instagram

 

Sur les réseaux sociaux comme Instagram fleurissent depuis des publications accompagnées des hashtags “Esto es Ecuador” (“Ceci est l’Équateur”) ou “Esto también es Ecuador” (“L’Équateur, c’est aussi ça”) : on peut y voir des paysages époustouflants ou des moments de convivialité entre ami·e·s. 

Laura, Française expatriée en Équateur depuis un an, veut aussi nuancer :

“Les événements récents dans le pays m’attristent énormément mais n’ont pas impacté la vision que j’ai de l’Équateur. C’est un pays riche en paysages et en culture. L’expérience que j’en ai eue m’a beaucoup marquée.”

 

 

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions