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PORTRAIT - Constantin de Slizewicz, un reporter ivre de Chine

Constantin de Slizewicz est un jeune reporter tombé amoureux de la Chine à la fin des années 90. Il s'installe à Kunming en 2000, capitale du Yunnan, d'où il rayonne à travers le pays, réalisant de nombreux photoreportages pour la presse française et chinoise ainsi que des documentaires télévisés. Dans son dernier livre, Ivre de Chine, il continue à explorer la Chine Profonde et à mêler rencontres bouleversantes avec anecdotes historiques sur les explorateurs qui ont traversé avant lui ces régions. Il nous a présenté son projet, Mission Liotard, ayant pour vocation d'aider les minorités locales des alpes Yunnanaises et du Tibet. En voici un avant-goût

Constantin de Sliszewicz

Ce tintin des temps modernes, épris de liberté et de grands espaces, cherche à découvrir chez les minorités qu'il rencontre d'autres manières d'appréhender la vie. Il ne cache pas son rejet des modèles communistes chinois et capitalistes occidentaux.

lepetitjournal.com : De vos longues traversées, ce n'est pas la beauté des paysages que l'on retient mais avant tout les rencontres avec des personnages souvent hauts en couleur et les amitiés que vous avez nouées. Quels sont les traits de personnalité des Chinois qui vous ont à ce point aimanté à ce pays ?
Constantin de Slizewicz : Je ne connaissais presque rien de la Chine avant mes 19 ans et rien ne me prédestinait à aller dans ce pays. En 1997, la découverte de Pékin, la grande impératrice qui n'avait pas encore été massacrée par les bistouris des bureaucrates, fut un véritable choc. Les Pékinois que j'ai rencontrés brûlaient d'une fièvre tel les Espagnols après la mort de Franco, un état d'esprit chargé de folie qui concordait parfaitement avec mes origines slaves et que je ne retrouvais peu ou plus dans les milieux que je côtoyais en France : folie gauloise, insouciance polonaise et caractère bretteur à la d'Artagnan qui correspondaient aussi à mes aspirations de jeunesse. J'ai décidé d'y retourner un an dès l'année suivante et ai notamment retrouvé chez les Dong de la province de Guizhou ce mélange explosif entre alcool local, joie paysanne et cette envie de vivre au jour le jour.

Dans votre dernier livre Ivre de Chine, vous êtes particulièrement attristé par la transformation radicale de Pékin en 10 ans. Avec les Jeux Olympiques, Pékin s'est extraordinairement modernisé mais au détriment de tout un pan de la population et de quartiers historiques. Nombreux hutongs ont été totalement rasés. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les quartiers populaires ont été rasés pour créer des lieux de divertissement ou des centres économiques et ces classes populaires ont été envoyées manu militari dans des faubourgs éloignés de Pékin. C'est le même phénomène que dans les capitales occidentales avec les centres ville qui s'embourgeoisent et qui perdent de leur mixité et de leur animation mais à une vitesse démultipliée du fait du système ultra totalitaire en Chine. Dans de nombreux quartiers on entend désormais les feuilles voler dès 8h le soir ?

Vous opposez une Chine réelle et historique qui est pour vous celle du Yunnan où coexistent encore de nombreuses minorités à la Chine des grandes villes. Comment imaginez-vous le futur pour cette province du Yunnan, de plus en plus rattrapée par le tourisme et la mondialisation ?

Le Yunnan a choisi aujourd'hui l'option du tourisme de masse mais les visiteurs chinois en premier lieu se rendent tous dans les mêmes lieux, à Lijiang notamment. Je veux rester optimiste et croire aux retombées positives du tourisme pour les différentes minorités de cette province où la géographie permet de protéger certains endroits accessibles seulement aux plus courageux. De plus, la période est encline aux questionnements et le gouvernement chinois peut voir son intérêt dans un tourisme plus précautionneux et respectueux de la diversité.

Femmes Mosuo dans leur village (Photo : Constantin de Slizewicz)

Comment survivent les minorités du Yunnan et avez-vous trouvé chez certaines d'entre elles l'idéal que vous cherchez ?
On recense 26 minorités dans le Yunnan parmi les 56 établies par le gouvernement Chinois. J'ai donc eu l'occasion d'en rencontrer beaucoup lors de mes reportages et explorations. Chacune à sa façon et avec plus ou moins de réussite, tente de préserver son identité.
Les Bai, par exemple, sont un peuple d'agriculteurs et commerçants qui se sont accommodés de la présence des Han en réussissant à préserver leurs traditions. Plus au Nord, on retrouve des peuples de pasteurs ou de guerriers comme les Yi (dans la région des montagnes fraiches dans le Sichuan), peuple violent et esclavagiste jusqu'à ce que le pouvoir communiste réussisse à les inféoder dans les années 1950 en donnant du pouvoir à leurs chefs. Leur hostilité mêlée à une farouche volonté d'autonomie leur a permis de conserver leur culture. Les peuples tibétains du Yunnan et du Sichuan comme les Mosuo ou les Pumi tentent difficilement de garder leur identité grâce à leurs liens avec la religion bouddhiste. En revanche, les Wa et les Loutse ont subi de plein fouet l'ouverture économique et l'influence Han et tombent souvent dans les dérives d'un alcoolisme incontrôlé et désespéré.
Personnellement, c'est chez les peuples tibétains, notamment chez les Mosuo, que j'ai trouvé mes véritables cousins : un état d'esprit qui repose sur le mythe (à l'opposé de l'esprit rationnel et cartésien de nos civilisations modernes), une force spirituelle et un rapport très fort à la terre.

Pouvez-nous en dire plus sur les Mosuo qui vivent à la frontière du Yunnan et du Sichuan autour du lac Lugu ?
C'est un peuple de 30.000 âmes où la famille n'existe pas. Les enfants vivent chez leur mère. Les foyers qui peuvent compter jusque 20 personnes fonctionnent en matrilignées. Les mères sont les piliers de la société. Seule l'ascendance féminine est prise en compte et la transmission du nom comme des biens est exclusivement féminine. Il n'y a ni père ni mari et ce sont les oncles qui jouent auprès des mères le rôle de l'éducation masculine. Les enfants ont pour eux beaucoup plus d'affection que pour les géniteurs qui ne sont connus que pour éviter inceste et consanguinité. Aujourd'hui sous l'influence de l'Etat et des médias, de plus en plus de Mosuo vivent en couples même s'ils ne se marient toujours pas.

Vous êtes fascinés par les destins des missionnaires venus pendant un siècle depuis 1850 essayer d'évangéliser la région tibétaine. Pourriez-vous nous expliquer en quoi leur mission prosélyte vous parait plus acceptable que l'impérialisme capitaliste ou communiste que vous décriez tant ?
Je n'ai pas particulièrement d'affinité avec les missions d'évangélisation, et encore moins avec tous les systèmes coercitifs. Mais à la différence des conquistadors ou des croisés, ces missionnaires sont arrivés souvent seuls, sans fonds ni armées et avec l'intention de passer leur vie dans les régions les plus reculées où ils pouvaient être tués ou chassés à tout moment. C'est bien leur volonté d'évangélisation qui les a guidés mais leurs armes consistaient dans leur courage, leur sincérité, leur foi et leur conviction. Comme le dit André Guibaut, athée convaincu en compagnie de son équipier géographe Louis Liotard, dans son livre Missions perdues au Tibet : "On peut approuver, ou ne pas approuver, l'idée d'aller évangéliser au bout du monde des gens qui ne vous ont pas attendus pour vivre, aimer, cultiver leur terre, faire éclore des chefs-d'?uvre, pratiquer comme les autres hommes le bien et le mal ; il n'en reste pas moins que l'aventure qu'elle a engendrée constitue une épopée, avec ses grandeurs, ses tares, mais surtout sa masse immense de sacrifices."

La caravane Liotard, une autre façon de voyager (Photo : Constantin de Slizewicz)

Racontez-nous en quelques mots le projet de la Mission Liotard ? Qui était cet homme ? Pourquoi avoir choisi Shangrila ? Et quels sont les projets phares de cette vaste mission ?
La Mission Liotard, basée à Shangrila, dans la province du Yunnan en Chine, à la frontière avec le Tibet, a pour but de promouvoir le développement des peuples résidant au Yunnan et de favoriser une économie mettant en valeur les terres locales, soucieuse des ressources naturelles, respectueuse des cultures, des croyances, et favorisant la croissance intégrale de l'homme et de tous les hommes, sans distinction d'ethnies ou de religions, la vocation de la mission étant d'étendre peu à peu son action le long de la chaîne himalayenne.
Pour cela, six axes de développement sont en train de naître : Les centres Liotard : petites maisons d'hôtes également destinées aux volontaires impliquées dans la mission. La ferme Liotard permettra de développer des produits agricoles : charcuteries, fromages et de transmettre aux locaux des savoir-faire leur permettant de développer des économies locales, les produits étant commercialisés par le comptoir Liotard, magasin basé au c?ur de la vieille ville de Shangrila. La Caravane Liotard est un mode de voyage dont l'esprit est de faire renaître la tradition de la mulâtrie utilisant mules et chevaux telle qu'elle était pratiquée comme mode de portage sur l'ancienne Route du Thé liant le Yunnan au Tibet et à l'Inde, et tout en utilisant une intendance de qualité. Les Actions Liotard sont des aides financières spécifiques qui ont pour but de développer des cultures locales ou des actions économiques ponctuelles (sauvegarde d'un instrument de musique, aide à l'implantation de l'association Enfants du Mékong) et L'Aventure Liotard veut mettre en place une expédition annuelle réunissant des spécialistes : cinéastes, photographes, écrivains, peintres, ethnologues, architectes, dans un but d'explorer des vallées et régions mal ou peu connues et de les faire connaître ensuite par le biais de divers réalisations et publications.

Les derniers livres de Constantin de Slizewicz: Peuples Oubliés du Tibet (2007), Les Canonnières du Yang-Tse-Kiang (2008) et Ivre de Chine (2010).

Eric Ollivier (www.lepetitjournal.com/shanghai.html), mardi 30 mars 2011

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