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Quand Leah Pisar anticipait le risque de déraillement de Donald Trump

Leah Pisar TrumpLeah Pisar Trump
Leah Pisar
Écrit par Rachel Brunet
Publié le 7 janvier 2021, mis à jour le 7 janvier 2021

Le 10 juin dernier, notre édition publiait une interview exclusive de Leah Pisar — ancienne conseillère du président Clinton, écrivaine et présidente du Projet Aladin — menée par JC Agid dans dans le cadre de sa série «  Chez Vous, Sans Moi » proposée dans nos colonnes. Nous étions alors en plein mouvement Black Lives Matter, trois semaines après le meurtre de George Floyd. Nous étions aussi à cinq mois de l’élection présidentielle américaine. JC Agid avait alors interrogé Leah Pisar sur la montée de la violence aux États-Unis mais aussi sur les possibles réactions de Donald Trump en cas de défaite face à Joe Biden. Aujourd’hui, au lendemain des violences historiques qui se sont emparées du Capitole et qui ont rappelé au monde entier combien la démocratie pouvait être fragile, nous avons décidé de revenir sur le point de vue de Leah Pisar mais aussi sur son regard visionnaire quant aux conséquences que connaîtrait l’Amérique si Donald Trump était battu. Elle parlait alors — à raison — de la capacité de Trump à générer une urgence nationale...

« Difficile encore de savoir si Donald Trump a réussi à profiter d’une situation politique violente, reflet de cette Amérique divisée qu’il ne cherche nullement à réconcilier ou s’il est allé trop loin, if he crossed the line diraient les Américains », écrivait JC Agid. De son côté, Leah Pisar expliquait que l’élection présidentielle du 3 novembre 2020 était un combat entre « deux visions de l’Amérique », dont « l’âme de ce pays et l’équilibre mondial » étaient les enjeux.

Trump battu, incapable de reconnaître sa défaite. Dès le premier débat présidentiel, face au désormais président élu Joe Biden, il avait appelé les Poud Boys — groupuscule d’extrême droite — à se tenir prêts. Son message a été entendu par ses militants, il a coûté la vie à quatre citoyens, ce 6 janvier 2021 et a montré que le 45e président des États-Unis était capable de faire vaciller la démocratie de la première puissance économique mondiale. Donald Trump est devenu le président du chaos.

Retour avant l’été dernier avec Leah Pisar et JC Agid

 

Leah Pisar

Illustration par Marion Naufal

 

Jean-Christian Agid : Nous avons assisté il y a quelques jours encore, à New York et dans beaucoup de villes américaines, à des scènes de pillage d’une rare violence. Donald Trump a alors menacé de faire intervenir l’armée et s’est présenté comme le représentant de l’ordre et du droit, Law and Order. Comment interpréter sa réaction ?  

Leah Pisar : Au lieu de calmer les choses, d’essayer de rassembler les Américains, de les réconcilier, ce qui devrait être le désir normal d’un Chef de l’État, Trump veut mettre le feu à la poudrière et fomenter la discorde et ce, avec pour objectif principal de consolider son pouvoir. A un groupe qui manifestait dans le calme derrière la Maison Blanche, Trump a réagi avec des gaz lacrymogènes et des grenades aveuglantes pour se frayer un chemin vers l’église St John sur H Street. Devant les caméras, il brandit une Bible, sans même l’ouvrir, exploite la religion et tente ainsi de communiquer avec sa base électorale conservatrice. Il menace aussi et joue sur l’insécurité, vieille méthode souvent employée par les démagogues et les fascistes.

 

Mais les casseurs, les pilleurs ? Ils sont bien réels.

Bien sûr. Des pilleurs organisés se sont joints à la foule des manifestants, et les forces de l’ordre n’ont put les intercepter à temps. Sans laisser le soin aux polices locales de faire leur travail, Trump s’est dit prêt à jouer les shérifs et à invoquer l’Insurrection Act de 1807 qui autorise très exceptionnellement le déploiement de l’armée dans le pays. Le Ministre de la Défense et le Chef d’Etat-Major ont indiqué qu’ils n’étaient pas prêts à soutenir cette démarche, en effet contraire aux principes mêmes d’une loi de 1878 qui encadre de manière très stricte l’usage de l’armée sur le territoire national. Aujourd’hui, des conservateurs historiques—l’ancien Président Georges Bush, l’ex-candidat à la Maison Blanche Mitt Romney et Colin Powell—ont indiqué qu’ils ne soutiendraient pas Trump en Novembre.

 

Trump se serait donc davantage isolé qu’il n’aurait rassemblé autour de sa candidature à un second terme. A-t-il voulu agir de façon désespérée ou opportuniste ?

Les deux. Il y a fort à parier que ce soit un calcul politique des plus cyniques qui doit être analysé à travers le prisme de l’élection du 3 Novembre prochain. Trump est opportuniste. S’il n’a probablement pas lu Machiavel, il met en œuvre la devise de Charles Quint, ‘diviser pour mieux régner’. Il veut encourager le chaos. Pour le moment, sa stratégie agressive ne paye pas. Les sondages les plus récents le placent en mauvaise posture, 41% d’opinions favorables pour lui contre 55% pour Biden d’après CNN. Trump paye une gestion terrible de la crise sanitaire, un chômage rampant et une économie en chute libre. Mais c’est surtout sa réaction à la mort de George Floyd, et au soulèvement national qui a suivi, qui choque la nation.

 

Existe-t-il un risque de déraillement constitutionnel et politique, spécialement si la réélection de Donald Trump n’est pas assurée ?

Il y a un très gros risque de déraillement et on en voit déjà les signes. Jared Kushner a évoqué récemment—remarque volontaire ou non—la possibilité de déplacer la date de l'élection, ce qui est très compliqué à faire et franchement inouï. Même en pleine guerre cela ne s'est jamais produit. Donald Trump s'en prend également au système postal américain. Est-ce parce qu’il rêve de nuire à un de ses ennemis favoris, Jeff Bezos, en limitant la portée d'Amazon ? Peut-être, mais il y a probablement aussi une motivation électorale. Quand on ne peut pas voter en personne aux États-Unis, on le fait par correspondance. Si Trump arrivait à paralyser le système postal, cela empêcherait des millions d’Américains de voter. Trump sait qu‘une participation accrue a tendance, historiquement, à favoriser les Démocrates, car cela indique que les minorités sont mobilisées. Trump dira – et dit déjà - que les votes postaux ne sont pas fiables, alors que lui-même a voté par correspondance lors de la dernière élection en Floride.

 

Et s’il n’arrive pas à assurer sa réélection ?

Si Trump n’arrive pas à avoir un impact sur le résultat en amont, il essaiera en aval, donc il pourrait contester les résultats de l’élection. Il pourrait engager des procédures et ira, si nécessaire, jusqu’à la Cour Suprême— où la majorité des juges sont à tendance conservatrice. Il dispose peut-être même de droits secrets qu’il pourrait invoquer en cas de crise très grave et que nous ne connaissons même pas. Sans parler de sa capacité à générer une urgence nationale, une conflagration nucléaire – même un cinéaste imaginatif ne saurait concevoir tous les scénarios.

Malgré tout, ne succombons pas au pessimisme. Cela n’est pas constructif. Le peuple américain dispose d’une voix, et elle se fait entendre de plus en plus fort. Les causes de cette prise de conscience—le décès de George Floyd—sont tragiques, mais enfin on sent une énergie et une mobilisation qui pourront peut-être porter le pays en avant. Car, comme l’a dit Martin Luther King Jr., dans une phrase souvent reprise par Barack Obama, “Let us realize the arc of the moral universe is long, but it bends toward justice” : « L’arc de l’univers moral est long, mais il penche vers la justice. »

 

Interview réalisée par JC Agid

Pour retrouver l’interview dans son intégralité

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