Les écoles privées de New York ont réouvert leurs portes, le système public new-yorkais fera de même le 21 septembre, après 6 mois de fermeture physique. Il aura fallu, en plus d’un aplatissement de la courbe du nombre de cas positifs au Covid-19, la mise en place minutieuse d’un protocole de sécurité, pour que les élèves puissent enfin retrouver enseignants, camarades et surtout, une vie scolaire et sociale qui leur a fait défaut durant de trop longues semaines. Tant dans le privé que dans le public, les parents ont eu le choix entre un retour à l’école en présentiel, un enseignement à distance ou parfois, un savant mélange des deux, pouvant vite virer à un véritable casse-tête pour l’organisation des parents.
©️FASNY
Un été studieux pour les écoles et le DOE
« L’été aura été studieux » nous confirme, avec le sourire, Cathy Joly, directrice des admissions de la French American Academy du New Jersey. En effet, tant dans le système privé que public, les écoles ont du se plier tant à une organisation de rentrée bien particulière, en respectant un protocole exigeant, qu’à une mise aux normes, notamment des systèmes de ventilation et d’aération. « Nous avons mis en place un système qui permet de renouveler l’air une dizaine de fois par heure » précise Cathy Joly. Dans le public, le DOE ( Department of Education ) a d’emblée précisé que parmi les protocoles de sécurité, était inscrite l’obligation de garder l’ensemble des fenêtres, de chaque bâtiment scolaire, ouvertes, et ce, jusqu’à nouvel ordre.
« Pour reprendre en présentiel, cela a impliqué une grosse organisation. Nous avons modifié certaines procédures et renforcé les mesures sanitaires afin de garantir un environnement le plus sain possible » explique Marine Jolain, à la tête de la communication de Tessa International School. Et de rajouter « ce sont des mesures quelque peu drastiques mais qui ont su se prouver efficaces durant le summer camp, où l’un de nos campeurs a été testé positif. Il s'est avéré qu'aucun autre élève ou staff n'a été infecté. Cela nous a vraiment permis de réaliser l'importance de suivre ces mesures sérieusement. »
Du côté de The École, « nous avons créé un "Back Onsite Committee" cet été, composé de parents, professeurs et staff, afin de mettre en place notre protocole pour être de retour dans nos campus » explique Jean-Yves Vesseau, le directeur. Et de rajouter « vu que nous avons un ratio professeurs / élèves très favorable, et que nous avons doublé la surface de notre bâtiment principal l'an passé, nous pouvons accueillir tous les élèves, tous les jours, et toute la journée. Nous avons créé des petites cohortes, des sous-groupes de nos classes, avec en moyenne neuf élèves par cohorte. Et avec notre architecte, nous nous sommes assurés que chaque classe avait assez d'espace pour accueillir la cohorte, le professeur et, pour les petites classes, une aire de jeu et un coin bibliothèque, tout en respectant la distanciation sociale de 6 feet et permettant la circulation au sein de la pièce. »
Dans le système public, où la rentrée, initialement prévue le 10 septembre, a été reportée à onze jours plus tard, la tâche est immense. Avec pas moins de 1,700 écoles sur l’ensemble des cinq boroughs et 1.1 million d’élèves, il aura fallu inspecter chaque pièce de presque 2,000 bâtiments et s’assurer qu’ils étaient en mesure d’accueillir, dans une sécurité optimale, élèves et personnel. Mais comment s’assurer de cette sécurité alors que deux enseignants de deux écoles publiques de Brooklyn ont été, au lendemain de la rentrée des professeurs, le 8 septembre dernier, testés positif au Covid-19 ?
Prise de température à l’entrée, port du masque obligatoire, distanciation sociale, organisation spécifique pour accéder aux cours de récréation, aux sanitaires, aux classes, sachant que la majorité des élèves, tant dans le privé que dans le public, passeront les mois à venir assis à leur bureau, quasiment toute la journée, tout en sachant que n’importe quelle école de la ville peut être emmenée à fermer ses portes du jour au lendemain. Les parents ont eu à se prononcer cet été sur leur choix : école à la maison ou en présentiel. Un choix parfois cornélien pour un emploi du temps souvent acrobatique.
©️French American Academy
Techniquement, comment ça se passe ?
Du public au privé, la proposition d’enseignement en présentiel ou à distance varie . Dans le public, envoyer son enfant à l’école repose sur un planning très particulier qui peut vite devenir un casse-tête pour les parents puisque l’enseignement se fait de manière disparate à l’école, puis à la maison.
« Mon fils va à l’école deux jours par semaine, deux semaines d’affilée, puis une fois par semaine, la semaine suivante. Et ainsi de suite... » explique Victoire, une maman de la PS84. Ce qui peut d’ailleurs être rédhibitoire pour certains parents. C’est le cas de Kay, maman d’un élève de Lafayette Academy qui a choisi l’enseignement à distance pour son fils qui fait son entrée en 6e grade « c’est trop compliqué pour moi de gérer un jour par-ci, un jour par-là, je suis capable de l'envoyer à l'école le mauvais jour et inversement. »
Dans certaines écoles privées, l’offre est plus fluide, et sans doute plus adaptée aux besoins des élèves, mais aussi au planning des parents.
« Cette année, nous avons rouvert en présentiel, en limitant les classes à dix élèves. Nous proposons également une option en ligne pour les familles ne se sentant pas encore à l'aise d'envoyer leurs enfants à l'école. Les technicités de cette option varient selon la classe d'âge, mais cela consiste globalement à un suivi du cours avec une caméra branchée en continu afin de favoriser la socialisation des élèves en remote learning. Ils ont la possibilité d'apprendre, d’interagir, et même de manger en même temps que leurs camarades de classe. Il y a aussi plusieurs "one on one" avec le professeur au cours de la semaine. Des fiches d'exercices leurs sont envoyées quotidiennement. Ces élèves ont la possibilité de revenir en présentiel si la capacité de la classe le permet, ou si la situation et les restrictions s'améliorent » relate Marine Jolain.
Du côté de la French American Academy, de The École, de FASNY ou du Lyceum Kennedy, le planning est aussi très fluide : c’est cinq jours d’école par semaine. Cathy Joly confie que « la vie est presque normale à l’école ».
Dans d’autres écoles privées, le planning peut s’avérer aussi compliqué que dans le public. Brigitte, maman de jumelles dans une école privé monolingue explique « l’une de mes filles a classe trois jours par semaine, une semaine sur deux. L’autre semaine, elle a classe deux jours par semaine ». Une bonne organisation s’impose !
©️ The École
Alors, présentiel ou à distance ?
« Ce choix d'offrir des cours en présentiel avec une option de remote learning ne nous est pas apparue comme une évidence dès le début. Cela a été une longue série de discussions avec nos familles, et d'enquêtes auprès de notre communauté. Nous avons partagé début juillet un sondage sur les attentes des familles vis-à-vis de l'éducation de leurs enfants en temps de crise sanitaire » explique Marine Jolain. Et de préciser « à ce moment-là, 55,6 % des sondés étaient prêts à remettre leurs enfants en présentiel, 20,4 % ne l'étaient pas, et 24 % attendaient de voir comment la situation allait évoluer. Nous avons eu beaucoup de demandes d'inscriptions à la fin du mois d'août. Je pense que beaucoup de parents étaient incertains et ont attendu la dernière minute pour prendre une décision. »
De son côté, Steve Megal, directeur des admissions au Lyceum Kennedy précise « nous proposons l’option en présentiel et l’option en ligne. À ce jour, la majorité de nos élèves assistent aux cours en présentiel ».
Même son de cloche du côté de la French American Academy où Cathy Joly confirme qu’en moyenne, seul un enfant par classe suit l’école à distance.
À The École, « nous avons ouvert nos portes le 1er septembre. Une très large majorité de nos élèves est onsite : 96 % » précise Jean-Yves Vesseau. Et pour les 4 % d’élèves qui suivent l’école à distance « nous offrons aussi à nos élèves qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas être onsite, la possibilité de se connecter à la classe à distance via de nouveaux outils technologiques tels qu’ordinateurs portables, smart TV, cameras et microphones... L'élève à distance, en fonction de la phase d'apprentissage, peut interagir avec ses camarades, peut parler, écouter et voir le professeur, suivre le cours sur le tableau ou recevoir sur son ordinateur ce qui est projeté sur l'écran de la smart TV. Il peut interagir aussi via cet écran. Le professeur fait donc un enseignement simultané onsite et à distance. »
À FASNY, Elizabeth Ryan, directrice de la communication, explique que « deux semaines après la rentrée, tout se passe vraiment très bien ! Tant les élèves, l’équipe enseignante que l’équipe administrative sont ravis d’être de retour et tout le monde suit le protocole mis en place afin d’assurer toute la sécurité possible. » À FASNY aussi, les parents ont largement choisi un retour physique à l’école pour leurs enfants. « La majorité de nos familles ont choisi un retour sur le campus, soit à plein temps soit en hybride, selon l’âge de l’élève. Toutefois, nous sommes ravis de proposer un programme d’enseignement à distance complet et rigoureux aux familles qui ont privilégié ce choix. »
Bénédicte, une maman française installée aux États-Unis depuis 12 ans, confie avoir choisi l’option présentielle pour son fils qui a fait son entrée en 4e grade à la French American Academy. « Je suis ravie que mon enfant retrouve ses copains et apprenne dans un environnement autre que sa chambre ». Et de rajouter « je suis vraiment pour le présentiel, ils apprennent beaucoup mieux en groupe. Le Covid peut être un frein, mais il y a tellement de mesures de sécurité qui sont mises en place comme la prise de température à l’entrée, le lavage régulier des mains, le port du masque, la distanciation sociale. Les enfants en ont conscience, ils se sont habitués et ils y sont très attentifs ».
Stéphane, papa d’un garçon qui fait son entrée en 8e grade dans le public, confie que lui aussi, a fait le choix de renvoyer son enfant à l’école. « L’emploi du temps est très particulier, certes, mais il me parait vraiment important que les élèves se retrouvent. Ils ont été hors de l’école beaucoup trop longtemps et psychologiquement, je pense que c’est quelque chose de très négatif pour eux ».
Alexandra, installée à Brooklyn et maman d’une fille qui entre en 11e grade et d’un garçon qui entre en 6e grade, détaille « l'école nous propose l'éducation à distance ou seulement un jour par semaine en présentiel. J'ai choisi cette option ! Les deux iront ensemble le même jour. J'ai préféré cette option surtout pour mon fils, ma grande se gère toute seule. Avec une nouvelle école et de nouveaux copains, j'ai vraiment envie qu'il y soit physiquement, même qu'une fois par semaine, afin de créer des liens. »
Pour Brigitte, maman de deux filles de 12 ans, l’école en présentiel était inévitable « mes filles ont absolument voulu retourner à l’école, même si l’école à la maison, au printemps, s’était très bien passée ». Pour cette maman, le récit d’une de ses filles sur le retour à l’école reste amusant. « Tu te rends compte maman, la prof ne peut pas s’approcher de nous. Pour distribuer les cahiers, elle est obligée de nous les lancer ».
D’autres parents, ont tout de même fait le choix d’un enseignement à distance. Jennifer, maman d’une fille qui entre en 5e grade à la PS 84 explique son choix. « Pour ma part, j’ai choisi, en accord avec ma fille, le remote learning pour plusieurs raisons. La première étant évidente à mes yeux, le port du masque pendant plusieurs heures n’est ni confortable ni cool pour eux, la frustration de ne pouvoir retrouver les amis de manière normale et le fait d’attraper le virus, et de pouvoir contaminer d’autres personnes, me stresserait plus que tout. Il y a aussi le fait que nous habitons loin de l’école, et que le métro est hors de question pour une longue durée quotidiennement. Ma fille étant d’accord avec cette décision, c’est bien plus facile ! »
En effet, le respect des consignes de sécurité peut un être frein pour certains parents, mais surtout pour certains élèves. C’est ce qu’explique Kay « mon fils a déjà assez de difficultés à suivre les instructions qu'on lui donne, donc des instructions scolaires plus des instructions sanitaires, ça fait beaucoup d'instructions dans une journée, et au final, il ne va pas apprendre grand-chose... »
Laurène, maman d’un petit garçon qui aurait du faire son entrée à la maternelle publique cette année a décidé de ne pas l’envoyer à l’école, mais pour d’autres motifs. « Nos choix d’écoles n’ont pas été acceptés et nous sommes sur liste d’attente. Le DOE nous a proposé une autre école, mais bien trop loin de chez nous, ce qui nous aurait obligé à prendre le métro ou la voiture. Nous avons donc décliné. Par contre, notre fils est retourné à la crèche avec sa petite sœur de deux ans et je les sens très en sécurité. »
Quel que soit le choix des parents, le système public propose que très peu de jours par semaine d’enseignement en présentiel en comparaison avec la majorité des écoles privées. Avec près des 80 % des élèves issus de milieux économiquement désavantagés, le risque de décrochage scolaire est présenté comme un dommage collatéral de la pandémie. À voir quelles mesures le DOE sera capable de mettre en place pour récupérer ces élèves du système public, tristement pénalisés et écartés de la scolarité.
Article par Rachel Brunet, directrice et rédactrice en chef du Petit Journal New York
©️ Tessa International School