A l’occasion de l’ouverture de son steakhouse La Tête d’Or, son 10ème restaurant à New York, Daniel Boulud, l’enfant de Lyon, consacré meilleur restaurateur au monde par Les Grandes Tables du Monde en 2021, revient sur son parcours, les rencontres qui l’ont façonné, et son amour du Bon. Entretien avec un conquérant passionné, passionnant.
Il me reçoit dans sa « skybox », au-dessus des cuisines de Daniel, son restaurant gastronomique doublement étoilé, en plein coeur de Manhattan. La posture est professionnelle ; l’oeil, vif ; le débit, clair : il a l’habitude de l’exercice.
De la France aux Etats-Unis, un heureux hasard
Ce qui frappe, quand on rencontre Daniel, c’est ce sourire omniprésent sur son visage. Presque enfantin. D’ailleurs, Daniel rit souvent, et surtout quand il me raconte ses road trip de jeunesse à travers les Etats-Unis, alors qu’il est chef privé : « C’était un peu mon sabbatical. » Là, ils côtoient ceux qui plantent leurs tentes au camping. « Je passais mes soirées à jouer au Bingo avec eux » s’amuse-t-il encore. De ce pays, il tombe amoureux.
Celui qui s’installe à New York à 27 ans en témoigne : « Je me suis toujours bien senti à l’étranger. » Indépendant, débrouillard. « Il y a une telle histoire et culture françaises dans la restauration ici ». Les States lui donnent la liberté d’affirmer son identité.
Daniel Boulud : une vie d’amour (du produit), et d’engagement (sans faille)
D’où il vient, Daniel Boulud ne l’oublie pas. Il grandit dans une ferme de la région lyonnaise où ses parents lui donnent le goût, et le respect immodéré du produit : « Ils étaient fiers de ce qu’ils faisaient ».
Un enfant passionné : « Je n’ai jamais pensé que je ferais autre chose de ma vie que de la cuisine. » Un talent repéré très vite, et formé chez les meilleurs ; Michel Guérard, Georges Blanc, Paul Bocuse, Jean-Louis Palladin rencontré au Watergate de Washington, seront des tremplins. Daniel noue des liens forts avec chacun d’entre eux, il monte toujours plus haut. « Je voulais que mon investissement soit récompensé ». C’est la grande époque de La Caravelle, La Grenouille, Lutèce à New York, les happy few viennent y goûter le plus fin de l’esprit français. Daniel est subjugué par La Côte Basque : « Le soir, on faisait six services, c’était très agité ». Il fera sienne cette efficacité. Demandé, il connait le succès au Plaza Athénée avec le Polo Lounge, mais apprécie peu d’être commandé : « Je voulais être chef. » Sirio Maccioni le choisit à la tête de son Cirque : c’est la gloire. Daniel réinvente les grands classiques de cette institution ; il est acclamé : « On a tout gagné ensemble ».
L’empire Boulud
Daniel alors se lance, seul. Un investisseur le finance sur sa force de persuasion. « Il ne connaissait rien à la restauration, et n’avait jamais goûté à la mienne ». Le luxe, dit-il avec gourmandise à son sujet, de se payer le « Michael Jordan de la cuisine ». Ensuite, tout va très vite, les ouvertures s’enchaînent : Daniel, Bar Boulud, Café Boulud, Le Gratin, Le Pavillon, Joji, Joji Box, Epicerie Boulud, Blue Box Café à New York…Mais aussi au-delà : Toronto, Montréal, Dubai, Singapour, les Bahamas…Daniel est un chef reconnu, il est aussi un entrepreneur star.
Aujourd’hui, l’heure est à la Tête d’Or. Son dernier restaurant à deux pas du Flatiron. Un nom qui rend hommage à sa ville natale, évidemment. « Si j’avais été londonien, il se serait appelé Hyde Park » blague-t-il. Et un acronyme, déjà : « LTD pour les Américains ! ». Pourquoi un steakhouse ? « Parce que j’adore le steak ! » Le produit, toujours. D’excellence ; issu des meilleures races, tracé. Un positionnement qui se veut un combo parfait de référence classique, et de vraie technique ! Surtout, Daniel veut que chacun, « le financier comme le musicien », s’y sente comme chez lui. « Tout commence dès le gate », le majestueux portail d’entrée. Daniel a un oeil partout.
La clé de sa longévité ? Être resté fidèle à qui il est
Il pourrait parler des heures tant son parcours est épique, on pourrait l’écouter plus encore. On le sent touché et attendri quand il évoque ses parents. « Ils sont venus 12 ou 13 fois aux Etats-Unis, ils ont vu mon succès ». Daniel est un homme heureux. « J’ai une famille formidable, en France comme aux Etats-Unis » ; trois enfants, deux petits-enfants. Une famille élargie à laquelle il associe évidemment ses équipes. Son travail, l’histoire d’une vie.
Transmettre aujourd’hui est l’une de ses priorités. Il accompagne les jeunes. « Je suis les carrières ». Transmettre, et partager. Les plaisirs simples de la vie sont les plus grands ; à sa table, il ne voudrait inviter que des copains , « un qui amène du bon vin, un qui fait rigoler, un qui peut chanter, un qui fait la cuisine…et un qui paie l’addition ! » Concluant, dans un éclat de rire : « C’est un message que je fais passer ! »
Il me raccompagne alors qu’il est attendu depuis une demi-heure pour la préparation d’un déjeuner. Dernières confidences. L’homme n’est pas sensible à la flatterie mais heureux des honneurs ; il me tend une base ball card, jeu célébrissime du Nouveau Continent, sur laquelle il figure. Le seul chef à y avoir jamais eu sa place. « Garde-la » m’enjoint-il. Comme un gri-gri, pour me rappeler d’une vie de tous les possibles.