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Olivier Cassegrain : le bon sens commerçant au service de Longchamp

Après trois heures de discussion, dans son bureau où une brosse à dents côtoie un cheval sculpté en verre, il lâche : « La Joconde est à proprement parler inestimable, c’est fascinant… elle n’a jamais été vendue. » Cette réflexion résume bien le personnage. Olivier Cassegrain, à la tête du marché nord-américain de Longchamp, est un homme qui interroge tout. Curieux, passionné, atypique. Vraiment.

Longchamp dévoile sa boutique phare de SoHo réinventée lors d'une célébration VIP. Longchamp, New York, mardi 20 mai 2025. Crédit : Matt Borkowski / BFA 2025Longchamp dévoile sa boutique phare de SoHo réinventée lors d'une célébration VIP. Longchamp, New York, mardi 20 mai 2025. Crédit : Matt Borkowski / BFA 2025
Longchamp dévoile sa boutique phare de SoHo réinventée lors d'une célébration VIP. Longchamp, New York, mardi 20 mai 2025. Crédit : Matt Borkowski / BFA 2025
Écrit par Stéphanie Mathis
Publié le 22 octobre 2025, mis à jour le 30 novembre 2025

 

Le non conventionnel en boussole

Héritier de la marque iconique du sac Pliage avec son frère Jean et sa sœur Sophie, Olivier Cassegrain pilote depuis New York, depuis plus de 25 ans, le développement d’une maison française de luxe… sans en suivre les codes classiques.

À la tête aujourd’hui de 35 points de vente (17 boutiques en propre, 18 concessions), et supervisant directement une trentaine de personnes, il aime faire ce que les autres ne font pas. Tester. Repenser, toujours. Faire différemment, avec l’ambition de mieux. À commencer par le flagship de Soho, justement, récemment rénové après 20 ans d’existence. Il le connaît par cœur, « inside out », a suivi de près, chaque jour, le chantier. Un lieu emblématique, qui a gardé ses éléments d’origine : le parquet, la teinte Vert Lumière, et surtout l’escalier monumental de 20 tonnes - le même que celui du Vessel à Hudson Yards. Une icône que des étudiants en architecture viennent croquer sur place. Il ne cache pas sa satisfaction.

 

Longchamp dévoile sa boutique phare de SoHo réinventée lors d'une célébration VIP. Longchamp, New York, le mardi 20 mai 2025. Crédit : Peter Zwolinski/BFA 2025
Longchamp dévoile sa boutique phare de SoHo réinventée lors d'une célébration VIP. Longchamp, New York, le mardi 20 mai 2025. Crédit : Peter Zwolinski/BFA 2025

 

Un Français à New York

Il s’est installé à New York à la toute fin des années 90. « Tout a changé ici », souffle-t-il, en repensant au 11 septembre, à la crise des subprimes, au Covid. Des crises qu’on n’imagine jamais mais qu’il faut affronter. Il le fait avec flegme — l’un des traits caractéristiques de James Bond, son héros de fiction favori, sur lequel il ne tarit pas. Et combativité : « J’ai l’impression de pouvoir tester plus de choses ici. »

 

Olivier Miller-Cassegrain, Jean Cassegrain, Natalia Dyer, Sophie Delafontaine, Thomas Heatherwick
Olivier Miller-Cassegrain, Jean Cassegrain, Natalia Dyer, Sophie Delafontaine, Thomas Heatherwick. Longchamp, New York, mardi 20 mai 2025. Crédit : Matt Borkowski / BFA 2025

 

À Paris pèsent selon lui « un poids, un héritage ». À New York, au contraire, tout reste à inventer : « Comme Longchamp est plus jeune ici, les gens ont moins d’idées préconçues. » Cette liberté d’action, il l’a transformée en terrain d’expérimentation. Un service de formation dédié ? Il l’a créé. Le ship-from-store (NA : l’expédition des commandes e-commerce directement depuis un magasin physique) ? Mis en place dès 2006. On sent chez lui une fierté quand il nous dit être copié par les autres pays. Instinctif, il résume le tout par une phrase très claire : « Je sens ce sur quoi il faut aller. »

 

Un hôte avant tout

Chez Olivier Cassegrain, l’expérience client n’est pas un concept, c’est une obsession. Elle doit être vécue, ressentie, à chaque instant, que ce soit en boutique ou en ligne. À travers des détails que beaucoup oublient, mais qui n’en sont pas. Et qu’il traque sans relâche.

Illustration avec RISE (pour Reinvent In Site Experience) : un concept de boutique pensé comme un appartement parisien - avec moulures, bibliothèques, canapés, lumière douce - mais aussi une attention extrême portée au « logiciel de l’accueil ». En amont, il est allé visiter chacune des boutiques de son périmètre. Et là, surprise : « À aucun moment, on ne m’a offert d’eau ou de café. » Pour lui, c’est un signal. Alors il retourne sur le terrain, explique lui-même ce qu’il attend. Et met en place un compte en comptabilité dédié aux boissons : eau, champagne et café. « Je contrôle la hausse des dépenses. C’est plus drôle à suivre que le nombre de sacs vendus ! », lance-t-il, rieur.

Le client doit se sentir accueilli, même s’il n’achète pas. « Quand vous recevez des amis chez vous, vous leur proposez un café, non ? », demande-t-il, faussement étonné, en vous fixant. L’accueil, c’est un jeu. Il faut que ça devienne un réflexe.

 

Amrit Tietz, Mona Matsuoka vêtues de Longchamp
Amrit Tietz, Mona Matsuoka vêtues de Longchamp. Longchamp, New York, mardi 20 mai 2025. Crédit : Madison Voelkel / BFA 2025

 

Contre les scripts, pour l’authenticité

« Si c’est scripté, ça se voit. » Le terme même de selling ceremony le fait tiquer. Pour lui, l’expérience doit être sincère, fluide, naturelle. Le client, lui, n’arrive jamais avec un script. Alors pourquoi le staff en aurait un ?

Il préfère les gestes gratuits : plier le manteau du client, lui libérer les mains de ses sacs de shopping, lui proposer un fauteuil. « Ce sont ces attentions qui changent tout. » Et pour s’assurer qu’elles soient bien mises en place, il mise sur les visites mystères. Pas des audits froids, mais des retours vécus, détaillés, rédigés. « Je veux qu’on me décrive ce qu’on a ressenti. Par paragraphes. »

Chaque manager doit aussi lui faire des comptes rendus d’interactions avec les clients. L’objectif ? Savoir si l’équipe « se prend au jeu ».

 

Le e-commerce, nouvelle frontière de l’hospitalité

Et cette expérience, il veut aussi la traduire en ligne. Aux États-Unis, le site Longchamp est déjà le premier site marchand de la marque dans le monde, avec 30 à 35 % du chiffre d’affaires. Son dernier test ? Pour la fête des mères, il a envoyé à 100 clients triés sur le volet une bouteille de Pommery avec une commande. Pas simple en logistique. Et déjà, il pense à la suite : « Le champagne, c’est convenu. Par quoi pourrait-on le remplacer ? Une pâtisserie ? » Toujours cette même question : que peut-on mieux faire ? Son mantra.

 

Victoria Brito. Longchamp, New York, mardi 20 mai 2025. Crédit : Madison Voelkel / BFA 2025
Victoria Brito. Longchamp, New York, mardi 20 mai 2025. Crédit : Madison Voelkel / BFA 2025

 

Le sens du collectif comme ligne de conduite

Cette remise en question permanente, il l’applique en premier à lui-même. Il se définit comme un leader « à l’écoute ». Il marque une pause. « Rien n’est toujours tout blanc ni tout noir. Il faut écouter ce qui se passe. » D’ailleurs, il préfère les guidelines aux rules. Des indications plutôt que des directives. Pour rester souple. Fidèle, peut-être, à son signe astrologique : Poissons. Il pense collectif avant tout. Quand il constitue une équipe, il observe, jauge, complète. « Je prends en compte qui il y a déjà dans la boutique, quelles personnalités sont déjà là et quelle personne va s’adapter le mieux. » Ce qu’il cherche à composer, c’est un tout. « Quel est l’élément qui me manque ? Comment cette équipe peut-elle représenter l’ensemble de mes clients ? » Et de conclure, presque comme une évidence : « Il n’y a pas de traits de caractère individuels négatifs en soi. »

 

« Il y a de la place pour tout le monde dans la Maison. »

 

Une entreprise familiale qui le reste

Olivier Cassegrain n’a pas hérité de son poste. Il a d’abord fait ses armes ailleurs. Diplômé de l’école hôtelière de Glion, il est d’abord responsable de nuit au Crillon. Un poste qu’il qualifie de « très formateur ». Puis, contre l’avis de ses parents, il postule à Bora Bora, dans un resort de luxe. « Je me souviens de mon père qui me demande : "Combien ça t’a coûté d’envoyer ce CV par la poste ?" » Il rit encore. L’audace paie, il y passe six mois. « Pas aussi glamour que ça en a l’air », précise-t-il. Mais il en garde un profond respect pour l’hospitalité : « C’est très complémentaire au luxe. »

La transmission familiale, chez les Cassegrain, se fait toujours naturellement. Chacun son périmètre. Ses neveux viennent de rejoindre l’aventure, et il l’assure avec conviction : « Il y a de la place pour tout le monde dans la Maison. »

Il pense souvent à ses parents qui leur ont mis l’entreprise entre les mains, actifs jusqu’au bout. « 125 ans de cotisations à eux deux », glisse-t-il avec tendresse. Il aimerait transmettre à ses enfants ce même goût de l’effort. « Ils seraient contents de voir ce que nous sommes devenus. »

 

« Tout est fait en ce moment pour nous diviser, mais on ne peut pas être plus proche, culturellement parlant, que les Américains. »

 

Un homme en mouvement, jamais dans le passé

Son secret, au fond, est simple : il ne regarde jamais en arrière. Toujours tourné vers l’après, le mieux, le possible. Les chiffres lui donnent raison : la croissance de son business est à deux chiffres. Confiant. « Tout est fait en ce moment pour nous diviser, mais on ne peut pas être plus proche, culturellement parlant, que les Américains. » Conscient surtout que rien n’est jamais acquis. Pas même quand ça marche. Surtout pas quand ça marche.

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