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Chez Vous, Sans Moi : Marc Levy Au-Delà des Murs

Marc Levy confinementMarc Levy confinement
L’écrivain Marc Levy
Écrit par JC Agid
Publié le 29 avril 2020, mis à jour le 29 avril 2020

On trouve au coin de la 10ème rue dans le West Village une petite librairie comme il en existait tant autrefois. Les livres d’hier et d’aujourd’hui se pressent les uns les autres sur les étagères et dégagent ce parfum si particulier des vieux parquets qui craquent et des pages qui vivent. Non loin, en suivant dans la rue les consonnes et les voyelles qui sont autant de particules dans l’air, on peut apercevoir, en haut d’une petite maison de Greenwich, la fenêtre ouverte du romancier et conteur d’histoires français le plus lu dans le monde.

D’ordinaire, une conversation avec Marc Levy a lieu autour d’un bon déjeuner en terrasse du café italien Sant Ambroeus, mais Sant Ambroeus est fermé, tout comme la librairie Three Lives & Company.

Nous aurions pu aussi diner chez lui autour d’un plat qu’il a préparé. Mais Marc Levy est reclus, dans son repaire, parmi ses livres, ses écrans d’ordinateurs et des machines à écrire. Entouré de ses personnages, il assemble les lettres de l’alphabet et continue à créer des histoires, comme celle qu’il vient de publier dans Des Mots Par La Fenêtre.

 

Marc Lévy

Illustration par ©️ Marion Naufal

 

Merci de ne pas m’inviter chez vous Marc ! Que voit-on de votre bureau, par la fenêtre ?

Les toits du village et la frondaison des arbres. Mon bureau est un petit espace en verre et en fer perché sur le toit d’une vieille maison, j’ai la chance de bénéficier de deux vues. L’une donne sur West 4th Street, une petite rue du West Village. De l’autre, on peut voir une cascade de toits jusqu’à la 7e avenue et plus au loin les gratte-ciels.

 

Vous passez beaucoup de temps à regarder par la fenêtre ?

C’est une des occupations essentielles de la vie d’un écrivain. On n’a pas attendu le confinement pour le faire. Cela dit, je regarde beaucoup moins souvent par la fenêtre, car il ne s’y passe plus grand-chose.

 

Sauf lorsque d’une de ses fenêtres, une femme décide de jeter « une bassine de mots » par-dessus son balcon, le point de départ de la nouvelle que vous publiez dans un ouvrage collectif disponible en ligne, Des Mots Par la Fenêtre. Était-il difficile d’écrire ce texte dans les circonstances inédites que nous vivons ?

Contrairement à ce que l’on peut imaginer, l’écriture est affectée par ce confinement. L’imaginaire a besoin de vie, de mouvement. L’esprit, en ce moment est occupé par les drames qui se déroulent autour de nous, par un quotidien qui me bouleverse. Pour autant, l’idée de cette courte nouvelle m’est venue spontanément, l’image suscitée par cette idée de jeter des mots par la fenêtre m’a fait rire.

 

Cette femme se débarrasse, comme l’évoque en trompe-l’œil le titre de votre nouvelle, de tous « ses maux », et cela au moment même où un homme passe devant chez elle et les reçoit sur la tête. Il s’arrête et l’interpelle.

Alors pour être honnête, le jeu de mots avec maux n’avait pas encore envahi les réseaux sociaux avant que je m’attèle à l’écriture. J’avais envie d’une rencontre entre quelqu’un qui se défait surtout des mots dont elle ne veut plus, des mots usés, des mots dont elle est lasse, des mots mensonges ; mais un homme trouve tous ces mots jetés et pense qu’avec eux, il y a plein de choses magnifiques à reconstruire. De nouvelles phrases, de nouvelles promesses, bref, des lendemains.

 

Ce livre, publié par Éditis, est vendu au profit de la Fondation des Hôpitaux de Paris. Votre respect pour le personnel soignant transcende la reconnaissance actuelle que nous avons d’eux.

Qu’avons-nous comme capital de plus important dans une vie que la Vie ?
À 7 ans, je rêvais d’être médecin, fasciné déjà par la plus belle et incroyable des machines : le corps humain. Je n’ai pas pu le devenir, car j’étais mauvais élève en maths. À défaut, je suis entré à la Croix Rouge à 18 ans. J’y ai passé sept ans au sein d’une unité de désincarcération routière. Nous étions au contact quotidien des urgentistes, des infirmières, des personnels soignants, des régulateurs, sans oublier l’homme ou la femme d’entretien qui passait la serpillère sur les carrelages ensanglantés d’un bloc opératoire, le stérilisait, et dont la célérité permettait de le libérer pour y sauver une autre vie. J’ai eu la chance de côtoyer très jeune, ces héros anonymes qui endurent ce que peu de personnes pourraient supporter, je les ai toujours admirés et n’ai eu de cesse que de leur rendre hommage dans presque tous mes livres. On m’a souvent interrogé sur la notoriété, depuis 20 ans ma réponse est la même : ‘la notoriété est une illusion ; le plus grand homme du monde est tout petit dans les bras de l’infirmière qui le soigne.’  

 

Marc Lévy

Marc Levy sur le tournage de Où es-tu? | 2008 | ©️ M. Courtois

 

Vous êtes l’auteur français le plus prolifique, vous êtes aussi un New-Yorkais d’adoption.

J’ai une tendresse pour cette ville qui a une capacité de résilience et une force à se réinventer incroyables.

 

C’est une ville qui se transforme en permanence.

Le New York que j’ai connu dans les années 1980, 1990 et 2000 était beaucoup plus vibrant que le New York d’aujourd’hui. J’étais peut-être moi aussi plus vibrant à 30 et 40 ans qu’à 50… mais il y avait quand même un New York un peu plus fou, un peu plus dangereux, un peu plus folklo et bigarré.

 

New York est aujourd’hui inédite, assoupie, triste et tourmentée. Elle se découvre, effrayée par sa dévastation. Pensez-vous qu’elle saura se relever ?

J’ai connu New York en période de quasi-banqueroute à trois reprises. Dans les années 80, bien avant leur gentrification, la pauvreté régnait dans de nombreux quartiers, les rues étaient défoncées, ses infrastructures vétustes. New York draine une énergie, une envie de vivre sans pareilles, des capitaux phénoménaux aussi, qui l’ont radicalement transformée. New York a survécu aux attentats du 11 septembre, à la crise de 2008, cette ville est un phœnix, mais devant l’ampleur de la récession à laquelle elle devra faire face, combien d’années seront nécessaires à sa résurrection, ça je n’en sais rien.

 

Marc Lévy

Illustration ©️Pauline Leveque 

 

C’est un défi unique dans son histoire !

La ville est confrontée à une situation sans précédent : d’un côté, une gentrification de la ville, un nombre de chantiers arrêtés impressionnant, des promoteurs immobiliers qui bénéficient de milliards d’abattements fiscaux et de l’autre, un métro en dépôt de bilan et des infrastructures exsangues. Est-ce qu’il naitra enfin de cette situation l'impérieuse volonté de gérer cette ville normalement ?
La ville est surendettée. Comment va-t-elle être capable d’absorber l’arrêt brutal de son économie qui reposait sur le mouvement permanent, la consommation effrénée, l’afflux des touristes attirés par les nombreuses activités qu’elle offrait, les théâtres, les restaurants, les expositions, les congrès ? Par l’investissement étranger notamment, alors que les étrangers sont aujourd’hui stigmatisés par l’administration Trump, ça, je n’en sais rien.

 

Marc Lévy

 

Votre affection pour cette ville est fréquemment décrite dans vos romans. Exemple, la comédie romantique Une Fille Comme Elle dont la traduction anglaise, A Woman Like Her, est publiée le 12 mai. Il y a au cœur de cette histoire ce vieil ascenseur new-yorkais dans un immeuble de la 5e avenue, près de Washington Square, que seul un liftier peut faire fonctionner, un vestige du passé, un contraste étourdissant avec le nouveau quartier d’Hudson Yards, l’oculus de Calatrava et cette tour d’appartements, droite et carrée, le plus haut gratte-ciel d’habitations à Manhattan, 432 Park Avenue. Surtout, une histoire dans laquelle une personne est le témoin silencieux de toutes les interactions entre les habitants de l’immeuble, les visiteurs, les livreurs et autres plombiers.

360 communautés et ethnies cohabitent à New York et forgent son identité. Le New-Yorkais n’est pas exclusivement américain, il est Français, Italien, Porto Ricain, Chinois, Indien, Pakistanais, Espagnol, Sud-Américain… bref, il est de tous les pays du monde et souvent se définit comme New-Yorkais avant tout. New York, est la ville de toutes les immigrations, de tous les possibles, une ville qui cogne, que l’on aime passionnément ou déteste, qui vous porte ou vous détruit, elle est le symbole même de ce rêve américain (avant que l’administration Trump et l’horrible Stephen Miller—conseiller du Président Américain, NDLR—s’engagent à détruire ce rêve fédérateur de cette nation). Quel drôle de paradoxe pour nous, irréductibles Gaulois installés ici d’être devenus des irréductibles new-yorkais, à l’instar de plein d’autres communautés.

 

Ce n’est donc pas un hasard si le livre que vous conseillez en ce moment est justement une histoire new-yorkaise ? Nuit d’été à Brooklyn écrit par Colombe Schneck.

Août 1991, à Crown Heights, un quartier résidentiel de Brooklyn, un juif renverse accidentellement deux enfants noirs qui jouent de l’autre côté de la rue. L’un d’eux est tué sur le coup. Ce quartier où cohabitent difficilement les deux communautés se retrouve très vite à feu et à sang, les rues résonnent aux cris de « morts aux juifs » et « vive les nazis », les magasins sont pillés et les voitures brûlent. Pendant que la réaction policière tarde à venir, Rabbins, révérends, mères de famille, journalistes et simples citoyens s’affrontent, cherchant la faute et la violence dans le regard de l’autre.
Esther, l’héroïne, vient de terminer ses études de journaliste, elle en stage de trois mois à New York et rencontre un professeur de littérature, spécialiste de Flaubert, marié, père de Lizzie, 15 ans. Esther devient sa maîtresse. Il est noir, elle est blanche, juive, parisienne, beaucoup plus jeune que lui. L’histoire d’amour entre Esther et Frederick ne survivra pas aux événements qui les opposent. La vie qui les entoure est plus forte qu’eux. Ce livre est le récit de la quête d’Esther pour répondre à la question posée un jour par son amant : pourquoi ne pouvons-nous pas nous aimer les uns les autres ?
Le roman, écrit d’une plume alerte et qui touche toujours juste, que tire Colombe Schneck de ces événements bien réels transporte autant qu’il questionne sur les thèmes malheureusement actuels du racisme et de l’antisémitisme, mais toujours en nous parlant la langue universelle de l’amour et de l’espoir.

 

Où passez-vous la plupart de votre temps en ce moment ?


Dans mon bureau.

 

À quoi ressemble-t-il ?

Murs en briques rouges, un vieux parquet à lattes larges, et deux verrières à l’ouest et à l’Est. Je lui trouve un petit côté atelier. Des étagères en métal ancrées dans la brique, où reposent quelques photos et objets, des maquettes d’avions et ma collection de vieilles machines à écrire. Et une vieille malle-cabine transformée en petit bureau d’appoint, pour les visiteurs. C’est un lieu simple, mais c’est mon antre. Il me manque dès que je m’en éloigne.

 

Marc Lévy

Illustration by ©️ Marion Naufal 

 

Si c’est un temps à jeter des mots par la fenêtre, devrions-nous, nous aussi, prendre le temps d’écrire et de décrire ce que l’on ressent ?

Chacun a son mode d’expression. Pour certains, la guitare, le piano, le pinceau, la sculpture… Pour d’autres les fourneaux. Il y a une quantité d’activités qui ont un pouvoir libératoire, car on ne pense pas pendant qu’on les fait.

Lorsque je cuisine ou jardine — j’adore les deux — je ne pense à rien, c’est jubilatoire.

Mais quand j’écris, forcément, je cogite. Je pense à mes personnages, à ce qu’ils font, à ce qu’ils disent, à la façon de délier le fil du récit, au choix des mots.

 

Mais ne devrait-on pas mettre à profit ces journées de confinés ?

Je discutais avec un copain libraire ce matin qui me disait, ‘tu vois, finalement on aura passé deux mois dans notre maison ; maintenant le dé-confinement s’annonce et je me dis que plus tard, on regrettera de ne pas avoir assez profité de ce moment-là.’

C’est un point de vue, mais je lui ai suggéré de ne pas culpabiliser ; il y a quand même un certain sens à ne pas ‘profiter’ d’un moment de mort et de souffrances. Moi j’en suis incapable, j’ai même du mal à me concentrer sur une lecture.

 

Vous êtes un passionné de recettes. Passez-vous beaucoup de temps à cuisiner ?

En ce moment, je passe mon temps à essayer d’écrire.

 

Un roman ?

Oui et je travaille aussi sur deux séries.

 

Vous êtes écrivain, donc un expert de l’imaginaire… si la réalité a rattrapé de la plus violente des manières la fiction, est-ce que cela vous inspire déjà des personnages, des dialogues, des romances qui se superposeraient à ce livre ouvert que nous vivons ?

C’est trop tôt pour cela et mes personnages n’ont jamais été immobiles et contemplatifs. Il fait déjà que nous sortions de cette période, nous adaptions au mode de vie qui lui succédera, comprendre ce qu’il en découlera. Est-ce que cette situation inspirera nombre d’auteurs et attirera autant de lecteurs ? On aurait pu penser que personne n’aurait eu envie de revivre au cinéma où dans une lecture les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et pourtant, on ne compte plus les films réalisés sur cette période. Est-ce que la situation que nous vivons nourrira abondamment la littérature et le cinéma, des témoignages à la fiction, c’est très probable.

 

Il y a chez vous une collection d’ouvrages de Romain Gary, un écrivain et réalisateur dont nous partageons la même passion.

Gary était perméable au monde qui l’entourait, à ses joies comme à ses douleurs, qui l’affectaient au plus profond de son être. C’est l’écrivain qui m’a fait aimer, lire, donner le rêve d’écrire un jour, c’est l’écrivain dont je relis les pages à chaque moment de doute, c’est le plus vieil ami que je n’ai jamais rencontré.

 

Qu’aurait-il pu penser de ce qui passe aujourd’hui, lui qui avait vécu tant d’autres tragédies, dont celle de la Seconde Guerre mondiale ?

L’œuvre de Gary est centrée sur une thématique : l’humanité tout entière contenue dans un seul être humain et le rapport que cet être humain entretient avec les autres. Lisez Clair de Femme, Chien Blanc, La Promesse de l’Aube et Au-delà de Cette Limite, Votre Ticket n’est plus valable….

 

Lequel de ses ouvrages aurait-il écrit aujourd’hui ? Je pense notamment à son dernier roman, Les Cerfs-Volants, au pouvoir de l’imaginaire pour se confronter au réel, à cet idéal de fraternité entre les hommes et les femmes, à la façon même dont l’adversité nous révèle dans ce que nous avons de plus beau ou de monstrueux.

Peut-être La vie devant soi, une histoire d’amour immense, immense comme la vie, c’est tout ce que je nous souhaite…

 

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Pour acheter A Woman Like Her (disponible à partir du 12 Mai)

A propos de Marc Lévy

Pour retrouver cet article en version anglaise

 

 

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