Sa première acquisition, Philippe Labaune s’en rappelle comme si c’était hier : « Un jour, je me trouve à Paris et je vois un dessin de Moebius poinçonné dans une galerie ». Une « toute petite illustration de rien du tout », qui lance chez ce Français qui travaille alors dans la finance une vocation de collectionneur. « Ce dessin que je me souvenais avoir vu publié, je pouvais maintenant acheter l’original pour 80 euros. J’ai trouvé ça formidable ».
Comme bon nombre d’enfants français, Philippe Labaune grandit dans une maison remplie de bandes dessinées. Biberonné aux Aventures de Tintin, à celles d’Astérix, de Spirou et Fantasio et des Schtroumpfs, il découvre à l’adolescence qu’une BD alternative se développe en France, à laquelle il s’initie en dévorant les numéros de Métal Hurlant, Fluide Glacial ou L’Écho des Savanes. « Je suis devenu beaucoup plus rock’n’roll, tout en retournant à mes Tintin de temps en temps ! », s’amuse-t-il aujourd’hui.
« Moebius m’appelait l’Américain »
Arrivé à New York dans les années 1990 pour suivre ses études, Philippe Labaune profite de chaque voyage en France ou en Belgique pour découvrir de nouvelles expos et agrandir sa collection, jusqu’à devenir, à une époque, l’un des plus grands collectionneurs de BD au monde. « A travers ma collection, j’ai pu rencontrer plein d’artistes, qui me connaissaient aussi. Moebius m’appelait l’Américain ! ». Il assiste à l’essor de la bande dessinée en Europe et se réjouit de l’ouverture à Paris, Bruxelles ou Barcelone de galeries dédiées à cet art.
Dans le pays des comics, en revanche, le constat est tout autre. « En Europe, la bande dessinée est considérée comme le neuvième art. Un art populaire, mais légitime. Ici, aux États-Unis, elle est perçue comme un sous-art », déplore le bédéphile, qui souligne qu’aux États-Unis, « rien ne se fait en galerie ». L’essentiel des ventes a lieu sur Internet et le marché reste peu accessible au collectionneur moyen. « Il y a un noyau de collectionneurs américains avec beaucoup d’argent, qui maintiennent le marché à un prix pas possible ».
L’idée lui vient alors, comme une évidence, de faire de sa passion un métier. Après vingt-cinq ans dans la finance new-yorkaise, il vend en 2019 ses parts de la boîte dont il est devenu l’un des partners. Philippe Labaune monte alors sa toute première exposition, qui présente la bande dessinée des années 1950 à nos jours à travers 50 artistes. « J’ai fait venir aux États-Unis deux planches originales de Tintin qui n’étaient pas à vendre. Ça n’avait jamais été fait ».
« Quelqu’un qui sait dessiner, pour moi, c’est un orfèvre, un artisan. Je suis là pour présenter un art populaire, et je veux qu’il reste accessible ».
« Le métier de galeriste, c’est un marathon »
Pour se faire la main, il loue une galerie et présente cette première exposition sous la forme d’un pop-up. « Une grosse erreur », évalue aujourd’hui le Français. « Le métier de galeriste, c’est un marathon. C’est entretenir des relations, parler aux gens, connaître leurs goûts ». Nous sommes, en outre, en mars 2020. La pandémie de Covid-19 s’abat sur New York et l’exposition, qui a connu un vrai succès, se clôture au moment même où la ville entre en confinement.
Les promesses de vente tombent à l’eau les unes après les autres. Philippe Labaune y voit le signe qu’il est temps pour lui de retourner dans la finance. Alors qu’il met à jour son profil LinkedIn, un représentant de George Lucas le contacte pour acquérir une partie des œuvres présentées : « Ils étaient en train de construire The Lucas Museum of Narrative Art, et ils ont acheté l’exposition ». Philippe Labaune ferme son LinkedIn, et reprend le chemin de son rêve. Dans le contexte singulier de la pandémie, il déniche une galerie à Chelsea, face à la prestigieuse Gagosian Gallery, et l’achète à un prix très avantageux.
En avril 2021, la Philippe Labaune Gallery présente sa première exposition, un hommage à Akira réunissant les œuvres de vingt-cinq artistes, pour la plupart européens. Trois ans et une vingtaine d’expositions plus tard, Philippe Labaune reste le seul galeriste aux États-Unis à présenter uniquement des auteurs de bande dessinée, et est plus que jamais passionné par son métier : « J’aime parler aux gens, leur montrer des planches, les emmener derrière. J’ai grandi dans un magasin, j’adore ce côté commerçant ».
Infos pratiques :
Philippe Labaune Gallery, 534 W 24th Street
Expositions à venir :
Mike Mignola – Du 20 septembre au 26 octobre
Emiliano Ponzi – Du 1er novembre au 15 décembre