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MUSIQUE - Ces chanteurs français qui filent à l'anglaise


Cocoon, AaRON et Yodélice : pour leur nouvel album, ces trois artistes et duos français ont une nouvelle fois choisi l'anglais pour chanter leurs compositions. Mais pourquoi ces artistes échangent-ils la langue de Molière contre celle de Shakespeare ? Explications

Il y a comme une rafale de vent sur la Manche. Un courant marin qui emporte chaque jour de talentueux chanteurs français vers les rivages britanniques. Et rares sont ceux qui résistent à cette vague anglaise. Cocoon, AaRON et Yodélice font partie de ces naufragés de la chanson française. Ils sont Français, viennent de sortir leur nouvel album et ont une nouvelle fois choisi l'anglais pour les textes de leurs chansons. Le français, ils le parlent, mais ils ne le chantent pas. Et ils sont de plus en plus nombreux dans ce cas. Yaël Naïm, Émilie Simon, Sébastien Tellier, ou plus récemment Yelle, Revolver, Pony Pony Run Run... Ces dernières années, on ne compte plus les chanteurs français bien décidés à marcher sur les pas des Daft Punk, icônes de la chanson en anglais made in France.

Mais d'où vient donc ce désamour de la langue française en musique ? Chacun avance son explication. Pour le duo auvergnat Cocoon, le choix de l'anglais s'est fait "naturellement". "On ne s'est jamais posé la question s'il fallait chanter dans une langue ou dans une autre, avance Morgane Imbeaud, la voix féminine du duo interrogée par RFI. C'est venu tout naturellement, on a un véritable amour de cette langue et de la culture anglo-saxonne".

Dans un style sobre et épuré, le duo auvergnat Cocoon a donc opté pour la langue de Shakespeare pour susurrer ses douces mélodies entraînantes. Après un premier album écoulé à plus de 150.000 exemplaires, ils reviennent avec Comets, premier single de leur second opus Where the oceans end.



L'anglais comme réflex "naturel", une vague explication également avancée par le duo AaRON, qui vient de sortir son nouvel album Birds in the storm. "J'écris en anglais parce que mon père est américain, c'est assez naturel chez moi", explique dans le magazine Waxx Simon Buret, le chanteur du duo. Mais l'artiste avance également une toute autre raison : "l'anglais, c'est aussi plus évident à faire sonner." La véritable explication serait donc là : l'anglais, une langue plus appropriée pour fredonner des mélodies ? Pour en avoir une idée, voici le dernier clip d'AaRON, Seeds of gold, issu de leur nouvel album Birds in the storm :



"Le français, ça groove un peu comme du pâté !"

Le français ne serait donc pas la langue idéale pour chanter. Mais il s'agit avant tout d'une affaire de style. Pour le chanteur Yodélice, alias Maxim Nucci, sacré révélation de l'année 2010 aux Victoires de la musique, la langue de Molière n'est pas l'idéal pour coller à sa musique. Au risque de choquer les plus francophiles d'entre nous, le jeune compositeur se lance dans une explication très personnelle : "Le français est une langue certes très sexy dans le parler, mais qui groove un peu comme du pâté ! lance-t-il au micro du site Ados.fr. Du coup, c'est très difficile de faire de la musique afro-américaine, soul, rythm and blues. En France, c'est une musique qui n'existe pas, il n'y a pas d'équivalent culturel."

Yodélice nous offre donc un nouvel album tout en anglais Cardioid, avec pour premier extrait More than meets the eye (avec la présence de Marion Cotillard dans le clip) :


Le pavé est lancé : si le français convient pour certains styles, il sonnerait faux lorsqu'on le chante sur une musique anglo-saxonne. Les jeunes artistes nourris et inspirés d'une culture musicale anglaise ou américaine se tournent donc naturellement vers l'anglais pour composer leurs propres titres. Et lorsque l'on sait que les nouveaux courants musicaux émergent le plus souvent des États-Unis ou d'Angleterre, on ne peut donc s'étonner de voir nos chérubins se détourner du français, et d'entendre l'anglais se démocratiser sur les ondes des radios françaises. Mais nos petits frenchies ont aussi une autre raison, moins avouable c'est vrai, d'abandonner leur langue maternelle.

La folie des grandeurs

Le rêve américain, c'est aussi l'une des raisons qui poussent nos artistes tricolores à troquer leur langue musicale. Car pour espérer vendre un album outre-Atlantique, mieux vaut oublier le français. En son temps, Édith Piaf avait déjà dû traduire son titre phare L'hymne à l'amour en Hymn to love pour conquérir le c?ur des Américains. "Le français, il faut être clair, ça te permet d'aller en Belgique, en Suisse et au Canada, justifie Marc Daumail, le chanteur de Cocoon, dans les Inrocks. Nous, on assume l'ambition d'aller dans le monde entier, même si on peut le percevoir comme de l'arrivisme ? perception qui n'existe d'ailleurs qu'en France. Il y a un complexe vis-à-vis de ça." Aujourd'hui, face à la chute des ventes de disques en France, la carrière à l'américaine ne fait plus seulement rêver les artistes. Les producteurs aussi s'éprennent à imaginer leurs poulains en tête des hits US. "Depuis la crise, les maisons de disques se sont rendues compte qu'il fallait s'ouvrir au marché international, explique à Europe1 Timothée Barrière, journaliste spécialiste de la musique au Nouvel Obs. Elles ont donc signé plusieurs groupes français qui chantent en anglais". L'objectif est donc ouvertement assumé : on chante en anglais pour se vendre en dehors des frontières françaises. Et les chiffres des ventes vont dans ce sens : le DJ français le plus coté à l'international, David Guetta, ou encore le groupe Phoenix, qui fait salles combles aux États-Unis, ont réalisé 60% de leurs ventes à l'étranger en 2009. Et pas un mot de français sur leurs disques...

Le français en perte de notoriété
Il faudra donc s'y faire, en musique, la langue française ne fait plus le poids. Mais le problème ne se limite pas à la sphère musicale. La multiplication des disques français à la sauce anglaise n'est qu'une facette d'un problème linguistique bien plus étendu : celui d'une perte d'influence de la langue française, et ce, dans tous les domaines. "Comme la défense de la francophonie se perd un peu, l'effort d'adaptation ne se fait plus", et les jeunes artistes sont aujourd'hui "décomplexés" de chanter en anglais, explique Timothée Barrière. Reste toutefois un problème majeur pour ces artistes bilingues : continuer à être diffusés en radio en France. Car chanter sur des sonorités à la mode ne suffit pas. Pour espérer une large diffusion dans l'Hexagone, il faut aussi chanter en français ! Les radios doivent en effet diffuser un minimum de 40% de chansons francophones sur leurs ondes pour répondre aux quotas imposés par la législation. Une sorte d'ultime rempart français face à l'envahisseur anglais...
Frédéric GUITTON (www.lepetitjournal.com) mardi 15 février 2011