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Télétravail en Italie pour une entreprise étrangère : une question fiscale cruciale

Les conditions de travail flexibles soulèvent des questions complexes en termes de fiscalité internationale. Ce qu’il y a à savoir pour éviter le piège de d’établissement stable dissimulé en Italie.

un homme travaille debout avec son ordinateur en télétravailun homme travaille debout avec son ordinateur en télétravail
Photo de Jacky Chiu sur Unsplash
Écrit par Bureau Plattner
Publié le 15 avril 2024, mis à jour le 16 mai 2024

Avec l'essor du télétravail propulsé par la pandémie de COVID-19, les frontières entre les lieux de travail domestiques et internationaux sont devenues floues, le travail pouvant être exercé depuis chez soi, y compris pour des entreprises étrangères. Ces conditions de travail flexibles soulèvent des questions complexes en termes de fiscalité internationale et de notion d'établissement stable (ci-après, ES). Ces questions sont d’autant plus cruciales qu’elles peuvent avoir des implications fiscales significatives pour les entreprises qui emploient des travailleurs à distance dans des juridictions étrangères.

Perspective de l'OCDE

Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la notion d'établissement stable doit être adaptée à l'ère du numérique et du télétravail, étant précisé que cette notion fait traditionnellement référence à :
o    un siège de direction,
o    une succursale,
o    un bureau,
o    une usine,
o    un atelier et
o    une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles.

D'après le commentaire de l'OCDE sur l'article 5 de son modèle de convention fiscale, un "bureau à domicile" ne constitue pas nécessairement un établissement stable à moins que les activités réalisées ne soient ni sporadiques ni accessoires mais régulières et substantielles, faisant partie intégrante des activités principales de l'entreprise. Cette position est formalisée dans les documents publiés par l'OCDE en avril 2020 et janvier 2021, qui précisent que les changements de lieu de travail dus à la pandémie COVID-19 sont considérés comme temporaires et ne devraient pas créer de nouveaux établissements stables.

Plus précisément, trois critères sont pris en considération pour identifier un cas d'établissement stable dissimulé pour un employeur non-résident ayant des travailleurs opérant dans un Etat contractant :
o    Le domicile du travailleur est "à la disposition" de la société étrangère ;
o    Le caractère continu de son utilisation ("habituelle") ;
o    L'exercice d'activités qui ne sont pas préparatoires ou auxiliaires.
S’agissant du premier critère, le domicile est considéré comme étant à la disposition de l'entreprise dans la mesure où cette dernière a exigé de l'employé qu'il l'utilise pour son travail, par exemple en ne lui fournissant pas de bureau. Au contraire, si le travail à distance a été expressément sollicité par le salarié, le domicile de ce dernier ne peut être considéré comme étant "à la disposition" de l'entreprise étrangère.

Concernant la nature continue de l’utilisation du domicile, il est certain que la présence en Italie pour travailler à son domicile pendant plus de 183 jours dans l'année représente une situation de stabilité de l'activité professionnelle. A l’inverse, si le travailleur exerce son activité depuis son domicile en Italie pendant de courtes périodes, le critère de stabilité temporelle n’est pas rempli.
L’établissement stable est enfin constitué par l’exercice de fonctions, lesquelles font partie de l'activité principale de l'entreprise et qui ne sont pas simplement de nature auxiliaire. A titre d’exemple, peut constituer un établissement stable le domicile d'une personne à partir duquel cette dernière exerce des activités de conseil pour la société étrangère, qui elle-même exerce des activités de conseil.

Perspective de l'administration fiscale italienne

En principe en Italie les entreprises non-résidentes en Italie ne sont redevables que des revenus obtenus sur le territoire national. A cet égard, est considéré comme produit sur le territoire italien le revenu généré par l’entreprise disposant en Italie d’un établissement stable. En droit italien, la définition d'un établissement stable est encadrée par l'article 162 du Code des Impôts sur le Revenu, lequel énumère les diverses formes que peut prendre un ES, incluant des bureaux, des ateliers, et même des sites d'extraction de ressources naturelles. L'administration fiscale italienne (Agenzia delle Entrate) via sa circulaire n° 33/2020 et sa décision n° 596 du 16 septembre 2021, a souligné la possibilité que le télétravail puisse constituer un établissement stable dissimulé, en particulier lorsque l'employé effectue des tâches qui sont centrales pour l'entreprise étrangère de manière régulière.

Cette interprétation stricte vise à assurer que les entreprises étrangères respectent les obligations fiscales italiennes, notamment en cas d'absence de convention fiscale applicable, ou selon les stipulations des conventions si elles existent.

Ainsi, les critères retenus par l’administration fiscale italienne pour caractériser l’existence d’un établissement stable sont synthétisés aux termes de la circulaire n° 25/E du 18 août 2023 comme suit :
1.    L’existence d’une installation à la disposition de l'entreprise ou du professionnel ;
2.    La fixité spatiale et temporelle de l'installation ;
3.    L’exercice de l'activité commerciale ou professionnelle en tout ou en partie au moyen de l'installation fixe.

L’administration fiscale italienne a précisé que ces conditions sont également réputées remplies dans le cas d'une personne physique qui exerce une activité professionnelle ou indépendante à distance sur le territoire national, citant l’exemple suivant : « si un architecte qui dispose d'un studio professionnel dans l'État Z décide de passer une partie de l'année en Italie où il continue à élaborer des projets qu'il envoie ensuite par courrier électronique à des clients avec lesquels il passe des appels vidéo, l'existence d'une installation fixe doit être évaluée ». 

Dans l’hypothèse où, ces critères étant réunis, la présence en Italie d’un l'établissement stable dissimulé est avérée, l’employeur non-résident sera contraint à payer des impôts et des pénalités auprès de l’administration fiscale italienne, conformément au principe de territorialité de la loi fiscale.
Une telle situation pourra également causer des conséquences négatives indirectes sur l’employé lui-même, celui-ci pouvant par exemple subir la cessation de son travail à distance.

Conclusion
L'évolution des normes de travail et l'augmentation du télétravail international posent des défis uniques en matière de fiscalité internationale. Tandis que l'OCDE propose une approche cherchant à éviter une imposition excessive et inadaptée, l'Italie a, quant à elle, adopté une posture plus rigoureuse pour protéger sa base fiscale. Les entreprises opérant avec des employés à distance en Italie doivent donc être conscientes des interprétations légales actuelles et des risques de non-conformité, ce qui nécessite souvent une navigation prudente et informée à travers les conseils d'experts en fiscalité internationale.

Compte tenu de ces éléments, les employeurs non-résidents doivent être particulièrement vigilants lorsqu’ils emploient des travailleurs en télétravail en Italie, dès lors qu’ils s’exposent à des risques souvent ignorés.

Si l’ouverture d’un établissement stable en Italie entraîne de facto l'imposition des revenus provenant de l'activité exercée par le ou les salariés, l’emploi d’une personne en télétravail en Italie peut provoquer des conséquences identiques dans le cas où la qualification d’établissement stable est retenue.
Les entreprises doivent donc soigneusement évaluer les différentes possibilités pour s’établir sur le territoire italien. Le choix d’employer en télétravail un travailleur résidant en Italie est loin d’être toujours le choix gagnant et peut s’avérer lourd de conséquences.
Il peut être, selon les cas, plus judicieux, d’opérer en Italie directement à travers un établissement stable ou bien par l'intermédiaire d'un bureau de représentation. Si ce choix relève naturellement de la discrétion des entreprises, l’on ne peut qu’encourager celles-ci à s’entourer de professionnels spécialisés sur ces questions.

Pour en savoir plus, les experts répondront à vos questions le 24 avril 2024 lors d’un webinaire organisé par Bureau Plattner. Inscription : https://lnkd.in/dpiYEi9M
 

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Publié le 15 avril 2024, mis à jour le 16 mai 2024

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