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Capsule linguistique franco-italienne : Le sucre et le massepain

une pile de morceaux de sucreune pile de morceaux de sucre
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 26 janvier 2022, mis à jour le 29 janvier 2022

Voici deux mots issus de l’italien, qui comme d’autres, adorent se travestir en mille et une choses. Surprenante échappée étymologique, historique et un brin humoristique, sur les traces du sucre et du massepain.


On l'aura compris, les dictionnaires n'hébergent pas toujours des créatures sages et confinées.  On en trouve quelquefois de bien inattendues ; tiens, sucre et massepain par exemple, deux petits mots de tous les jours et de toutes les tables. Tous deux sont issus de l'italien. Enfin, pas exactement, pas directement. Tous deux disent quelque chose qui se mange. Oui, mais pas toujours et pas partout. Malgré leur air tout à fait domestique et plan-plan, sucre et massepain sont aussi de prodigieux transformistes qui ont joué tous les rôles, gravier, boîte à secrets ou petit cochon rose.  

Le mot sucre descend d'un drôle de zucchero italien (étrange aussi par l'accent tonique sur sa première syllabe) qui, si nous prêtons l'oreille, peut se deviner de loin dans saccharine, saccarina, le plus vieux de nos édulcorants artificiels. Remontons le temps et nous voyons que l'ancêtre de sucre est un sarkara indien qui signifiait gravier et sable. Le mot fut remarqué puis remanié par les Arabes en sukkar et, passant des petits cailloux aux petits cristaux, désigna cette fois-ci le sucre. Lorsque les Arabes introduisirent la culture de la canne à sucre en Sicile, il se transforma en zucchero. Avant d'aboutir chez nous, en dernier ricochet, sous la forme de sucre. Fin du voyage.

Un susucre contre un biscottino

Un sucre ou deux ? C'est une question que personne ne pose en Italie. Non qu'on y soit plus pingre ou discourtois. Seulement voilà, en Italie, il n'y a pas de sucre... en morceaux (zolletta) mais du sucre... en sachet (in bustina). Pas de morceau ? Pas de canard, car il serait quelque peu risqué de plonger un sachet de sucre dans le café ou dans le rhum. Pas de morceau ? Pas de médisance sous cape non plus, car comment casser du sucre sur le dos de quelqu'un si ce sucre, c'est de la poudre ? Et l'Italien gentil ne promet pas de susucre à son chien ni le patron condescendant à ses employés mais un biscottino, petit biscuit, récompense plus appétissante, c'est vrai, qu'une simple bustina. Comme quoi, un détail de pas grand-chose peut avoir son effet domino.

En Sicile, le premier massepain

C'est encore en Sicile que l'on goûta le premier massepain, marzapane, européen. L'arabe marzaban désignait des boîtes utilisées pour conserver les documents importants (le vieux et presque oublié aprire i marzapani - ouvrir les massepains - signifiait, justement, révéler les secrets), les pierres précieuses, les épices. Et aussi, souvent, la pâte d'amande, c'est dire la valeur réservée à cet aliment. Le récipient donnant parfois son nom à ce qu'il contient, marzapane finit par ne dire que pâte d'amande. Le temps de remonter la Péninsule et de franchir nos Alpes et voici le massepain, tout prêt, tout succulent, sur nos étals et dans nos assiettes.

La différence entre pâte d'amande (pasta di mandorla) et massepain? Aucune, sinon que la première sert à fourrer des pâtisseries, le deuxième à les décorer. Mais voilà, histoire de corser le jeu, l'italien engage un troisième mot pour désigner les petits sujets confectionnés en pâte d'amande. On parle de frutta Martorana, fruits de Martorana, du mot Martorana qui, dans le dictionnaire, ne veut rien dire du tout. Ho ho, il y a de quoi laisser le linguiste pantois ! Martorana est en fait le nom d'une des plus belles églises de Palerme, celui de la famille qui fonda son couvent. Un jour de Toussaint, on annonça à ses Bénédictines la visite inopinée d'un évêque (ou d'un roi, c'est oublié). Oui mais novembre avait totalement dépouillé leurs luxuriants vergers. L'ego se faisant plus gros que la logique des saisons, elles concoctèrent un assortiment de fruits en massepain plus flamboyants que nature et en décorèrent leur jardin de toute urgence. Bon, bien sûr, il y eut des poires, il y eut des cerises et des grenades, des figues de barbarie et des mini-pastèques et des mini-bananes, bref la production de toute une année au même moment en plein automne. L'illustre visiteur ricana-t-il ou, beaucoup trop alléché, s'en empara-t-il goulûment ? Rien ne le dit, mais le succès de cette gourmandise qui fit le tour du monde, se déclinant jusque sous la forme de cochonnets, grenouillettes, Schtroumpfs et Schtroumpfettes, donne la réponse.

Que le sucre soit le cousin du gravier par l'étymologie, que les petits cochons roses des pâtissiers aient un (lourd ?) passé de boîte à secrets, montre bien que les mots adorent se travestir en mille et une choses. Des champions. Mais oui. Mais non. Plus. De véritables artistes de music-hall.

 

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