Arthur Soucemarianadin est depuis trois ans Conseiller pour les relations universitaires et scientifiques à l’Ambassade de France en Espagne. Il décrypte un projet essentiel, sur lequel les équipes impliquées travaillent depuis plusieurs années, qui devrait bouleverser la façon de concevoir les cursus universitaires mixtes entre la France et l'Espagne : l'Université franco-espagnole.
lepetitjournal.com : Quelles sont vos missions au sein du SCAC ?
Arthur Soucemarianadin : Le travail de nos équipes consiste à animer et promouvoir les relations universitaires et scientifiques entre les établissements de nos deux pays. Notre objectif est de rendre la France plus attractive non seulement d’un point de vue académique mais également d’un point de vue culturel à travers les débats d’idées . C'est une tâche protéiforme, qui inclut près de 200 écoles supérieures et un peu plus de 70 universités côté français, ainsi que des grands organismes de recherche tels que le CNRS, l'INSERM ou le CEA, que nous nous efforçons à mettre en rapport avec leurs équivalents et homologues espagnols, en essayant de promouvoir la mise en place de projets communs. Notre mission consiste aussi, dans ce cadre bilatéral, à créer du lien entre l'enseignement supérieur et la recherche, afin de permettre la poursuite des cursus universitaires vers la recherche et l’innovation, tout en priorisant certains domaines jugés stratégiques par la France et l'Espagne, comme les énergies renouvelables, l'eau, l'alimentation, les nouvelles technologies appliquées aux questions de santé et de vieillissement, ou le travail sur les grands instruments européens, à l'instar des accélérateurs de particules de Grenoble ou de Barcelone. Nous avons ainsi participé au renforcement de la collaboration franco-espagnole avec la prochaine création (1er semestre 2018) d'une Unité Mixte Internationale entre le CNRS et le CSIC notamment, et à travers l'Institut d'astrophysique des Canaries, impliquant les observatoires de Grenoble, Paris, Toulouse et Nice, pour un programme pouvant bénéficier d'importants fonds européens et facilitant le travail in situ de scientifiques français.
Quels sont les outils qui permettent de porter votre action ?
A la fin du programme Picasso en 2010, qui permettait de soutenir près de 200 missions entre la France et l'Espagne, nous avons dû rebâtir les échanges bilatéraux à partir de différentes initiatives complémentaires. Deux programmes ont ainsi constitué des vecteurs efficaces en la matière, le Master conjoint et le programme Mérimée, tout en restant sur des volumes largement inférieurs à ce que nous avions connu auparavant. Le Master conjoint, à l'image de ce qui se fait par exemple entre la Sorbonne et l'université Complutense sur les Études françaises et hispaniques et qui concerne une vingtaine d'étudiants chaque année, permet l'attribution d'un diplôme conjoint, portant les sceaux des établissements des deux pays. Dans ce cas, la coordination entre universités, la mise en place de procédures communes, constituent un premier pas à une échelle disons isolée, vers l'étape suivante, qui devrait se concrétiser très prochainement, et que nous appelons l'Université franco-espagnole. Concernant le programme Mérimée, il permet de former des jeunes doctorants au niveau de la recherche et passe là encore par des accords entre écoles doctorales françaises et espagnoles.
Au final, d'un programme qui permettait une multitude de missions sur des périodes courtes, nous sommes passés à un modèle qui exige un niveau de coopération plus élevé, promouvant des formations communes, des parcours dans plusieurs pays et des diplômes conjoints, reconnus par l'Union européenne. Notre objectif étant de permettre l'émergence d'équipes qui se distinguent au niveau mondial, il faut savoir que le terreau universitaire et la dimension binationale sont autant d'éléments qui favorisent non seulement l'excellence de nos chercheurs, mais aussi la projection et l'impact de leurs travaux et de leurs publications, dans les langues et les zones d'influence des deux pays.
Pouvez-vous en dire un peu plus sur l'Université franco-espagnole ?
Il s'agit en fait d'une université "sans murs", créée à partir des établissements français et espagnols et des relations existantes entre eux. L'idée est de coordonner ce qui a déjà été mis en place, de façon à amplifier le volume des échanges et de disposer d'une vue globale de l'ensemble des relations et des cursus proposés, en utilisant aussi comme modèle les deux précédents dont nous pouvons nous inspirer, l'université franco-allemande et l'université franco-italienne -qui ont pour autant chacune leurs spécificités.
Fin février 2017 à Malaga a ainsi été signé un accord entre les Conférences des universités françaises et espagnoles, qui réunissent les présidents des universités et les dirigeants de grandes écoles, permettant d'impulser un mouvement beaucoup plus englobant que ce qui existait jusque là. Ce que nous escomptons à travers ce modèle, c'est la mise en place dès mars 2018 d'une structure franco-espagnole, dont les établissements français et espagnols feront partie, qui devienne le récipiendaire des financements publics, issus des deux Etats, et des fonds privés qui permette de répondre de la façon la plus efficace qui soit aux appels à projets émis par la France et l'Espagne, pour des programmes binationaux. A ces fins, un Comité des Conférences a déjà été mis en place en novembre dernier, avec six représentants de chaque pays, ainsi qu'un comité institutionnel, qui ont pour objectif de définir dès à présent les besoins d'un point de vue opérationnel, notamment la création d'un site web en mesure de renseigner les étudiants et doctorants sur les différentes possibilités.
L'Université franco-espagnole va permettre de massifier les échanges entre la France et l'Espagne, en s'appuyant sur la possibilité de proposer des cours en présentiel ou à distance. Dès la première année, c'est à dire à partir dès septembre 2018, notre objectif est de générer une vingtaine de projets de formation et une vingtaine de projets de recherche qui viendraient se greffer à l'existant. A terme, nous espérons aussi pouvoir mesurer de façon très concrète les retombées économiques de ce qui est fait comme échanges académiques au niveau bilatéral et ainsi entrainer d'autres partenaires institutionnels et privés dans l'aventure, pour la constitution d’universités européennes appelées dans ses vœux par le Président Macron.