Les premières décisions judiciaires appliquant la loi 'seul un oui est un oui' ont conduit à la réduction de peine, voire la libération de délinquants sexuels, 500 en quatre mois (1.200 jusqu'en juin 2023). Explication.
L'entrée en vigueur le 7 octobre dernier de la loi 10/2022 sur la garantie intégrale de la liberté sexuelle, plus connue sous le nom de loi "solo si es si" (seul un oui est un oui) promue par le ministère de l'Égalité dirigé par Irene Montero, a entraîné une explosion des cas de délinquants sexuels qui ont profité du nouveau texte pour réduire leur peine. Mais pourquoi une loi dont l'objectif était précisément de protéger la femme provoque le contraire?
Son origine : La manada, un viol collectif
La loi est une conséquence de l'indignation populaire provoquée par l'affaire très médiatisée de "la manada", au cours de laquelle les juges avaient condamné pour simple abus sexuel un groupe d'hommes qui avait violé une jeune femme pendant les fêtes de Pamplune en 2016, en invoquant l'absence de violence ou d'intimidation. La Cour suprême avait ensuite fini par porter les peines de 9 à 15 ans de prison pour viol.
Il faut dire que l'affaire avait suscité des manifestations dans tout le pays et des demandes de la part d'une partie de la société espagnole pour réformer les lois afin de protéger les femmes contre les agressions sexuelles et punir plus sévèrement les auteurs de ces actes. C'est ainsi que l'actuel gouvernement s'est mis au travail pour faire la nouvelle loi, qui implique des changements importants dans le traitement des crimes sexuels et la prise en charge des victimes.
Le consentement, concept central de la loi
Le "solo sí es sí" (seul un oui est un oui) fait référence au principe le plus important et aussi le plus controversé de cette loi: le consentement, qui doit être absolument hors de doute, avant toute interaction sexuelle. La nouvelle loi élimine ainsi la distinction actuelle entre abus sexuel et agression sexuelle.
Elle unifie donc tous les comportements portant atteinte à la liberté sexuelle comme "agression". En général, ce qui était auparavant des "abus" (les infractions sexuelles les moins graves) est désormais assorti de peines plus lourdes. En revanche, les anciennes "agressions" (les infractions sexuelles les plus graves, impliquant intimidation et violence) peuvent désormais faire l'objet de peines légèrement moins lourdes qu'auparavant.
En définitive, en plaçant le consentement au centre de l'initiative, la loi a eu pour effet que les comportements les plus dangereux (impliquant la violence) n'étaient plus aussi punissables qu'auparavant.
Réduction de peine de délinquants sexuels
Cette refonte des comportements a toutefois eu pour conséquence que certains condamnés pour des délits contre la liberté sexuelle ont obtenu des réductions automatiques de leur peine en vertu de la nouvelle loi. Cela est dû au fait que l'éventail des peines est désormais plus large, avec des peines minimales moins élevées dans certains cas, ce dont ont profité les avocats de certains condamnés, qui ont le droit de faire adapter leur peine à la nouvelle loi si celle-ci leur est plus favorable.
Et c'est bien là que le bât blesse. Le code pénal stipule que la loi est rétroactive lorsqu'elle bénéficie l'accusé. C'est ce qui, en latin, se résume par la phrase "In dubio, pro reo" (dans le doute, en faveur de l'accusé"). Les juges appliquent donc ce concept. Le problème vient maintenant de la fameuse fourchette des peines. Si l'on prend comme exemple un délinquant sexuel qui aurait été condamné à la peine minimum pour un viol (avant le 7 octobre 2022, 12 ans), avec la révision, le juge prend désormais la peine minimum -7 ans- de la nouvelle fourchette (de 7 à 15 ans pour un viol).
Le Conseil général de la magistrature (CGPJ), entre autres, avait averti en 2021 que la future loi "pouvait avoir un effet disproportionné sur les victimes" car elle "présentait de graves lacunes en matière de technique juridique qui entraîneraient une réduction des peines pour de nombreux violeurs et délinquants sexuels".
Des centaines de révision partout en Espagne
La faille dans la loi du ‘seul un oui est un oui’ ouvre ainsi la voie à la remise en liberté d’agresseurs sexuels dans toute l'Espagne. Il n'existe pas de chiffres officiels sur le nombre de demandes de révision, mais en un peu plus de quatre mois, depuis le 7 octobre, 500 délinquants sexuels ont déjà pu en profiter (1.200 jusqu'en juin 2023).
La révision des condamnations touche tous les types d'affaires. Certains font référence à des crimes d'abus sexuels - sans violence ni intimidation - et d'autres à des agressions sexuelles, dont la plus grave, le viol. Les victimes sont des mineurs et des adultes, ainsi que des hommes et des femmes. Le comble revient précisément à l'affaire bien connue de la "manada", qui est, comme on l'a vu, 'a l'origine de la loi. L'un des avocats a ainsi demandé la révision de la peine de son client.
Mais d'autres affaires le sont moins, comme la libération immédiate d'un professeur d'anglais d'une école de San Sebastián de los Reyes qui avait été condamné à six ans et neuf mois de prison pour plusieurs délits d'abus sexuels sur ses élèves, à qui il offrait de la drogue et de l'argent en échange de rapports sexuels. Il a été libéré le jour même de l'entrée en vigueur de la loi. C'est ce qu'a décidé le juge, suite à la demande de son avocat, puisque la nouvelle législation prévoit la possibilité d'un consentement par des mineurs âgés de 16 à 17 ans, comme l'étaient les victimes… La nouvelle peine était de 15 mois de prison, que le condamné avait déjà purgé lorsque la loi est entrée en vigueur.
Un autre tribunal de Madrid a également ordonné la libération immédiate d'un homme condamné à huit ans et neuf mois de prison pour viol sur une fillette de 12 ans. La nouvelle loi exigeait que sa peine soit réduite de deux ans, soit plus que ce qu'il lui restait à purger.
Un imbroglio pour la Justice
Face à ce scandale, les juges -pourtant une majorité sont des femmes et progressistes- se font traités de "machistes". Le Procureur général a même déclaré que les juges ne devraient pas agir de la sorte et que, si la condamnation (12 ans dans l'exemple du violeur) rentre dans la fourchette, le juge devrait maintenir la peine. Un imbroglio de la loi "oui, c'est oui" que doit résoudre au plus vite la justice espagnole ou le gouvernement, en changeant la loi. En attendant, tous les jugements futurs se feront désormais en appliquant cette loi.