Édition internationale

La poussée de l’extrême droite et des violences anti-immigrés en Espagne

Sous ses allures de rempart démocratique, l’Espagne connaît une vague de radicalisation politique. L’extrême droite, jadis marginale, s’impose désormais comme une force centrale, tandis que les actes de violence à l’encontre des migrants se multiplient. Une mutation rapide, alimentée par les tensions économiques, la désinformation et le jeu trouble de certains acteurs politiques.

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@Public domain, Wikimedia Commons
Écrit par Lisa Taleb
Publié le 22 octobre 2025

Depuis que Vox a fait irruption comme troisième force politique lors des élections de 2023, le paysage espagnol bascule. Porté par un discours nationaliste, anti-indépendantiste et surtout ouvertement hostile à l’immigration, ce parti voit sa progression validée par les dernières études : en 2025, il atteint 19 % des intentions de vote selon le CIS, et prend un poids décisif dans les coalitions régionales et municipales. Cette percée de Vox n’est pas un accident, mais la conséquence d’années de crispations autour de l’unité nationale, de la gestion de la crise catalane et du rejet du « consensus pro-européen » de la Transition démocratique.

En toile de fond, la droite traditionnelle du Parti Populaire épouse de plus en plus les thèmes et parfois les thèses de Vox afin de rallier les électeurs inquiets du « laxisme » présumé sur l’immigration ou du risque de « fragmentation » de la nation espagnole. Des politologues soulignent que cette stratégie rouvre dangereusement les plaies de la Guerre civile, chaque camp dénonçant tour à tour la « liquidation de l’ordre constitutionnel » ou l’imminence d’une nouvelle dictature.

 

Quand l’extrême droite efface les digues en Espagne

L’année 2024 a représenté un tournant, battant le record d’arrivées irrégulières (plus de 64.000 migrants recensés, principalement en provenance d’Afrique), attisant la peur de « l’invasion » et la crispation identitaire dans le débat public. Ce contexte nourrit un repli national, alors que la présence d’une population étrangère (près de 15 % en 2025) est désormais vécue comme un défi existentiel par une frange croissante de citoyens : près d’un tiers des Espagnols estime que l’immigration est une menace pour l’identité, d’après les récents sondages Statista et CIS.

La stratégie politique de Vox s’ajuste à ce diagnostic. Le parti attise la défiance envers les institutions, remettant en cause la légitimité électorale du gouvernement, et va jusqu’à brandir la menace d’un « novembre national » de mobilisation, à la rhétorique parfois explicitement violente. Plusieurs rassemblements en novembre 2023 et lors de l’investiture du socialiste Pedro Sánchez ont débouché sur des affrontements directs avec les forces de l’ordre, aggravant le climat de tension et d’insécurité subjective dans tout le pays.

Les violences physiques, quant à elles, ne sont plus le fait de petites bandes isolées : en juillet 2025 à Torre Pacheco, des groupes d’ultradroite ont organisé des actions de « chasse à l’étranger », mobilisant plusieurs centaines de personnes contre des quartiers à forte population marocaine. Ces événements, largement relayés et parfois exagérés par les réseaux sociaux, sont symptomatiques de la diffusion, en dehors des milieux marginaux, d’un ressentiment attisé par la désinformation et la manipulation des faits divers.

 

Démocratie sous pression et résistances citoyennes

La question migratoire cristallise les tensions. L’Espagne est l’un des rares pays à voir autant d’arrivées par voie maritime, un fait inédit depuis la crise migratoire européenne de 2015. Mais au-delà des chiffres, ce sont parfois plus de 10.000 morts recensés aux frontières ces deux dernières années, rappelant la tragédie humanitaire qui se joue aux marges du continent. Les associations tirent la sonnette d’alarme : les discours de haine en ligne et dans l’espace public progressent à grande vitesse, tandis que le gouvernement tente tant bien que mal d’imposer une législation contre les discours xénophobes, et que l’Église et les ONG multiplient les campagnes pour défendre les droits des migrants. 

Face à la surenchère et à la normalisation de certaines idées, la gauche espagnole est souvent apparue désarmée, peinant à renouveler ses références et à réenchanter un projet de société convaincant pour les classes populaires, souvent les plus exposées à la précarité et à la concurrence pour l’emploi ou le logement. De nombreux analystes préviennent : à force d’être caricaturée comme « illégitime » ou « complice d’une dictature cachée », toute majorité démocratiquement élue risque d’être délégitimée, alimentant une spirale dangereuse qui va bien au-delà des frontières espagnoles, à l’heure où l’Europe elle-même semble hésiter sur le sens à donner à la démocratie libérale.

 

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