À l’occasion des élections législatives partielles dans la 5ᵉ circonscription des Français de l’étranger, lepetitjournal.com donne la parole à Johan Chermette-Wagner, candidat Place publique. Entre engagement européen, défense des services publics à l’étranger et volonté de proposer une alternative face à la montée des extrêmes, il revient sur son parcours, ses priorités et son message aux électeurs. Rencontre.


Pourquoi avez-vous souhaité vous présenter à cette élection partielle ?
Je vois depuis plusieurs années mon pays se diviser, se replier, se résigner. Les effets de la politique menée par Emmanuel Macron depuis 2017 ont creusé les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres, atteignant le niveau de la fin des années 1970 (!), en parallèle d’une forte augmentation de la pauvreté. Sa politique a des répercussions sur notre éducation, nos bourses scolaires, nos services consulaires, en plus de conduire des milliers de nos concitoyens à choisir un vote de protestation les tournant vers une extrême-droite qui ne fait qu’attiser les peurs. Je ne peux m’y résigner.
La dissolution provoquée par Emmanuel Macron en juin 2024 m’a conduit, par conviction autant que par inquiétude, à organiser une protestation pacifique contre la montée de l’extrême-droite devant le Consulat général de notre pays. Fondateur de Place publique Péninsule Ibérique, je suis fier de porter des valeurs humanistes, européennes, écologistes, qui sont celles de Place publique et de sa co-présidence.
Me présenter devant les Françaises et les Français de la circonscription a été une évidence pour moi. Entre austérité et radicalisme, je reste convaincu que Place Publique est une alternative crédible d'apaisement et de rassemblement qui peut contribuer à un renouveau démocratique. Nous avons besoin d’une force politique ouverte au dialogue, qui ne recule pas devant ses convictions, mais sait entendre celles des autres. Je suis fier de pouvoir incarner ce nouvel horizon pour notre pays, et notre circonscription.
Quel est votre lien personnel ou professionnel avec la 5ᵉ circonscription des Français de l’étranger ?
Je suis originaire de Thuir, un village à quelques kilomètres de Perpignan. Ma famille a des origines franco-espagnoles, alsaciennes et lyonnaises. Ma grand-mère maternelle, qui a fui la guerre civile espagnole pour se réfugier en France, est l’une des personnes ayant façonné ce rapport à la France et l’Espagne, et donc à cette circonscription. Mon histoire familiale a construit mon rapport à la démocratie, à la paix et à l’Europe.
Grandir à Perpignan, c’est grandir avec ce lien qui traverse le monde entre le local et le global : une identité catalane qui traverse nos frontières et s’additionne avec les identités nationales. J’ai pu, comme beaucoup de transfrontaliers, être au contact permanent avec le Portugal, Andorre et l’Espagne, pays vers lequel j’ai naturellement orienté mon parcours, à Madrid pendant deux ans, puis en Amérique latine où j’ai travaillé pour une Fondation de lutte contre la traite des êtres humains et les violences sexuelles envers les femmes en Équateur.
Après plusieurs années passées à l’étranger, au Maroc, en Italie ou encore en Belgique, c’est tout naturellement dans cette “seconde maison” que j’ai souhaité me réinstaller pour retrouver famille, amis, et surtout cette “proximité lointaine” que je ressens en habitant dans la Péninsule, comme des milliers de Françaises et de Français.
En quoi votre parcours reflète-t-il les préoccupations des Français établis hors de France ?
Mon parcours est celui d’un Français ou d’une Française établie hors de France. Comme nous tous, j’ai vécu la nécessité de m’intégrer, la complexité de comprendre une administration nouvelle dont on n’a pas les codes, les problèmes de renouvellement de passeport ou de carte d’identité, la mauvaise compréhension de mes droits locaux du travail, le sentiment d’éloignement ou encore les problèmes d’homologation de mes diplômes.
En Équateur, en Italie, en Belgique et pendant sept ans en Espagne, je n’étais pas un “expatrié”, mais un “résident” avec tout ce que cela implique. Comme beaucoup d’entre nous, je me suis parfois senti incompris lorsque je rentrais en France, car beaucoup nous voient comme des privilégiés, ce qui est souvent loin d’être le cas. C’est donc d’abord pour changer cette image, montrer cette diversité, défendre nos intérêts et préserver nos droits que je m’engage aujourd’hui.
Comment, en habitant loin de chez nous, garder un lien fiable et serein avec le pays qui nous a vus naître et grandir ? Une première réponse a été d’intégrer une structure française, l’Agence Française de Développement (AFD)t, puis le Fonds d’Innovation pour le Développement présidé par Esther Duflo, afin de travailler pour mon pays sur des sujets auxquels je tiens : l’adaptation aux changements climatiques, l’appui aux sociétés civiles et la lutte contre les inégalités femmes-hommes. La seconde a bien sûr été, comme pour tous nos compatriotes, de trouver, dans la communauté française et francophone, des amitiés solides permettant, grâce aux tissus riches et immenses des associations, des Instituts Français, de nos Consulats, de garder un lien formel et informel entre concitoyens. Ce sont toutes ces expériences qui m’ont permis de constater « l’unité diverse » des Françaises et Français établis hors de France.
Quels sont, selon vous, les principaux défis qui attendent les Français de cette circonscription ?
Il y a trois défis majeurs.
Le premier, qui revient énormément, est le souhait de conserver dans la 5ème circonscription les « faiseurs de lien » : nos Consulats, Instituts français, nos associations, notre réseau d’éducation, tous menacés par la situation budgétaire et l’instabilité politique dans laquelle se trouve notre pays. La perte du contact humain avec nos administrations consulaires est synonyme de perte de lien social selon moi. Je ne pense pas que le « tout dématérialisé » soit une solution pour tout ; elle doit être un complément, essentiel, au service de nos concitoyennes et concitoyens éloignés. Penser le lien avec la France, c’est penser un lien humain et il faut le défendre.
Le second défi, c’est celui de notre éducation. Notre réseau d’éducation à l’étranger est face à un sérieux problème du fait, entre autres, du manque d’indépendance budgétaire de son Agence d’enseignement français à l’étranger (AEFE). L’inquiétude est grande et je la partage. Depuis le début de ma campagne, j’entends la colère monter de partout, face au statu quo ou au manque de réponses crédibles. Il faut que l’AEFE puisse avoir un statut lui permettant d’attirer de nouvelles recettes qui devront assurer une baisse des frais de scolarité et un accès aux bourses scolaires plus important. Le manque de transparence et de communication sur les critères d’attribution des bourses, la baisse du nombre de professeurs détachés, la précarisation des professeurs de droits locaux, la baisse (de 20% en un an !) et les retards de versement des aides AESH sont autant de sujets qui doivent être écoutés et réglés, car il y a des vies derrière chacun de ces problèmes et retards. Ces problématiques doivent être portées en priorité, en lien et dialogue permanent avec les organisations syndicales, les associations de parents d’élèves et les élus consulaires qui sont des piliers fondamentaux de notre lien social. Des discussions ont commencé, mais mon inquiétude est qu’elles soient mises à mal par cette inlassable instabilité gouvernementale et ce bal de ministres qui ne permet pas un dialogue serein.
Le troisième défi majeur, c’est celui de nos mobilités dans le contexte grave du réchauffement climatique dont nous avons été témoins cet été dans notre circonscription, au Portugal et en Espagne : il y a aujourd’hui, et je n’ai pas peur de le dire, un véritable blocage en ce qui concerne nos capacités ferroviaires entre la France et l’Espagne et des problèmes persistants avec les liaisons entre Monaco et notre pays. Comment expliquer, en 2025, qu’il y ait plus de 30 liaisons aériennes par jour entre Paris et Barcelone, mais deux trains uniquement au coût près de 2,3 fois plus cher que l’avion ? Comment se fait-il qu’il n’y ait, pour se rendre en Espagne depuis la France par l’ouest, aucune liaison qui permette de relier directement Paris à San Sebastian ou même à Madrid ? Même combat qu’en métropole, nous devons investir dans les transports ferroviaires et dans l’Europe du rail. C’est un enjeu environnemental et de décarbonation. Mon rôle en tant que député sera de faire en sorte qu’on n’oublie pas ce sujet d’avenir qui est pour moi majeur, de maintenir les canaux de dialogue ouverts entre compagnies ferroviaires et d’être un lien entre les administrations sur un sujet pouvant avoir des répercussions positives concrètes.
Quels seraient vos chantiers prioritaires si vous êtes élu député ?
Dans la droite ligne de votre question précédente, mes deux chantiers prioritaires seront de m’assurer que le dialogue autour de la situation de l’AEFE soit poursuivi et maintenu, et que la solution débouche sur un accord autour du changement de son statut pour donner à l’agence davantage de marges de manoeuvre budgétaires. D’autres opérateurs publics, comme l’AFD, même si les missions et mandats sont très différents, le font. Indépendance budgétaire d’un opérateur public ne veut pas dire plus de dettes. Bien au contraire, c’est plus d’impact social, en baissant les frais de scolarité et en maintenant les bourses scolaires. Il faut renverser les schémas préconçus pour une solution durable.
Mon second chantier sera de défendre un budget national qui ne nous oublie pas en tant que Français de l’Étranger et agents diplomatiques. Nous sommes tous conscients de la nécessité de faire des économies ; mais je refuserai que cela se fasse au détriment de notre sécurité, tant sur les plans administratifs que sociaux.
Le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères (MEAE) subit des baisses répétées de ses budgets, ce qui a des conséquences directes sur nos services consulaires et nos ambassades qui ont la lourde tâche de nous représenter et de nous protéger face à des enjeux toujours plus importants. Je défendrai le renforcement de nos Consulats en agents et le maintien de guichets, essentiels pour notre lien social; le rétablissement des fonctions administratives aux Consulats considérés uniquement “d’influence”; et je me battrai pour l’accélération des démarches en ligne pour nos concitoyennes et concitoyens éloignés. Un État fort, c’est un État qui protège, qui fait le lien et qui rassemble.
Comment voyez-vous le rôle d’un député des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale ?
Devenir député, c’est servir la Nation. La Nation, ce sont les Françaises et les Français dans leur diversité culturelle, géographique, et sociale. Mon programme et mes engagements sont évidemment faits pour défendre les Français de la 5ème circonscription, en nous donnant notre juste place dans le débat public national. Mes propositions doivent permettre de porter, au sein de l’Assemblée, la voix de l’ensemble de nos compatriotes du Portugal, de Monaco, d’Andorre et d’Espagne.
Tout ce que nous défendons au niveau local est intimement lié avec nos problématiques nationales. Sans un budget plus juste fiscalement, tel que nous le défendons à Place publique, qui favorise une politique de relance et non d’austérité, qui protège nos politiques publiques en faveur du climat et le pouvoir d’achat de nos classes moyennes et populaires ; sans un budget qui garantisse notre service public et ses missions, alors tout ce que je cite plus haut est impossible. Le cœur du débat est là. La place de notre pays en Europe, notre avenir, celui de nos enfants, de leur éducation dépendra des orientations que prendront les décisions budgétaires du prochain gouvernement.
Comment jugez-vous le mandat du député sortant ?
Je ne veux pas ajouter de la polémique à l’instabilité. Je suis nouveau en politique, j’aimerais faire les choses sans entrer dans la polémique permanente. Je peux toutefois faire une remarque sur ce que j’observe de la situation : depuis 2017, nous faisons face à deux partielles, en plus d’une dissolution. Cinq élections en neuf ans, et ce depuis que la droite - la République en Marche, Renaissance et affiliés - ont ce siège de député, après une âpre bataille avec un ancien Premier Ministre, ne sachant pas de quel côté des Pyrénées s’installer. Pour être honnête, tout cela me paraît hors-sol et peu responsable. J’imagine autre chose pour l’avenir de notre pays et de notre circonscription.
Je pense que nous méritons mieux que ça. Je respecte mes prédécesseurs pour certains de leurs combats; je respecte aussi mes adversaires actuels, qu’ils soient de gauche, comme moi, ou de droite, à l'opposé de mes idées. Néanmoins je ne transigerai jamais ni sur mes valeurs européennes, sociales, écologistes et démocratiques, ni sur mon tempérament enclin à l’apaisement. Les problèmes et les menaces sont grands, je préfère me consacrer à savoir comment nous pouvons les surmonter.
Un mot sur vos suppléants et vos équipes ?
Si j’en suis là c’est bien grâce à mon équipe, et aussi à un conjoint et une famille qui me soutiennent chaque jour dans cette aventure, nouvelle et pleine de belles surprises. Je suis extrêmement fier d’être accompagné dans cette nouvelle page par ma suppléante Aurélie Salvaire, coach professionnelle et coach de campagne, dont le parcours professionnel en tant que Française à l’étranger est particulièrement inspirant. Entrepreneure, elle a lancé depuis son arrivée à Barcelone il y a 15 ans de nombreux projets qui lui ont permis de se frotter aux complexités de l’entreprenariat, de rencontrer de nombreuses personnes qu’elle a accompagné.
J’ai aussi la chance d’avoir une équipe soudée, dynamique et orientée dans une vision d’avenir positif et, par ailleurs, fins connaisseurs de notre circonscription : mon directeur de campagne, Adrien Labaune, a un lien très fort avec le Portugal et l’Alentejo; mon responsable de communication, Nicolas Galand, avec Valencia où il a vécu de nombreuses années; ou encore ma responsable presse, Julia Blancheton, qui réside à Barcelone. Le tout sans compter sur l’appui indéfectible de notre co-représentante Place publique Péninsule Ibérique, Ariane Fert, scénariste, transfrontalière, aux liens importants avec ma région natale, les Pyrénées-Orientales. Nous sommes, toutes et tous, pleinement motivés pour faire gagner une gauche différente qui incarne des idées fortes et un futur souhaitable.
Quel message souhaitez-vous adresser aux électeurs avant le scrutin ?
Ne pas perdre espoir et continuer à se mobiliser. Nous existons parce que nous sommes libres. Il faut que nous continuions à nous élever face aux reculs démocratiques, aux discriminations et à la perte de nos droits, à réclamer de la décence et de la responsabilité à nos représentantes et représentants politiques.
Je sais trop bien, pour la ressentir moi-même quotidiennement, la fatigue démocratique qui guette notre pays. Je vois, dans les échanges que j’ai autour de moi le rejet qu’inspirent les petites manœuvres politiciennes qui confinent au mauvais vaudeville depuis plusieurs années.
Je sens, grandement, la colère et la résignation de celles et ceux qui votaient, mais ne votent plus, ou qui se tournent vers l’extrême droite et ses réponses faciles à des problèmes complexes. Je souhaite aujourd’hui porter avec Place Publique, aux côtés d’Aurore Lalucq et de Raphaël Glucksmann, de ses sympathisantes et sympathisants, une vision du « faire politique » qui soit neuve, européenne, transparente. Qui nous permette de nous rappeler que ce qui fait le lien entre nous toutes et tous, c’est notre pays, et sa capacité à nous permettre d’exister collectivement.
Ne soyons pas grossier : l’Etat n’est pas la réponse à tout, mais il est une ceinture de sécurité pour celles et ceux d’entre nous, retraités, jeunes actifs, familles, entrepreneurs, ou étudiants. J’ai envie de partager cet espoir d’une société apaisée et dynamique contre celles et ceux, trop nombreux, qui souhaitent nous diviser.
Allez voter !
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