C'est l'un des 18 Conseillers pour les Affaires sociales que la France possède à travers le monde, au sein de son réseau d'ambassades et dans les instances internationales. Arrivé en janvier 2015 à Madrid, Jean-François Renucci a derrière lui un parcours peu ordinaire au sein d'une Chancellerie.
Ex Secrétaire général de la CFDT en charge de l'énergie et de la chimie, ce Corse de 57 ans sait marier franc-parler et diplomatie, au sein d'un poste s'articulant autour des fonctions d’information, de représentation, de communication et d'actions concrètes, permettant de faire connaître les positions de la France dans les domaines de l'emploi et de la santé, mais aussi de faire remonter les réalités espagnoles en la matière. "Aux côtés des grandes priorités d'une ambassade -le rayonnement économique, la Défense, la Culture- la question sociale est incontournable", estime-t-il. "On ne peut pas considérer la construction européenne sans prendre en compte les questions sanitaires et sociales. Cela suppose de mon point de vue une meilleure prise en compte de la société civile dans la définition des politiques publiques, et une meilleure prise en compte des salariés au sein des entreprises".
Ils ne sont donc qu'une petite vingtaine de par le monde à faire le lien sur les questions sanitaires et sociales entre la France et l'international, et à l'instar de ses homologues en poste dans les autres ambassades du continent (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Suède), s'il a pour priorité d'informer le gouvernement français des évolutions à venir en matière de politiques publiques au sud des Pyrénées, Jean-François Renucci participe aussi et surtout à élaborer un benchmarking européen sur une multitude de thématiques transversales, liées notamment à la transposition des directives de l'UE. "Des kilos de rapports" donc, sur des sujets aussi variés que l'extension des bidonvilles autour des grandes métropoles, la filière du sang, ou encore la promotion du sport dans l'entreprise, pour citer quelques exemples récents sur lesquels, à la demande des cabinets ministériels (Santé et Travail, dont il dépend), de la Cours des comptes, de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) ou du think tank gouvernemental France Stratégie, il a été amené à se pencher.
Priorité à l’information
"Les benchmarkings que nous participons à élaborer permettent d'alimenter les réformes des politiques publiques françaises, servent à construire des argumentaires pour les politiques établies ou encore corriger et améliorer des situations données. C'est aussi une façon de favoriser le partage d'expérience et de s'inspirer des bonnes pratiques, comme dans le cas de l'Espagne, concernant les politiques de handicap et d'inclusion, qui ont valu en février dernier le déplacement à Madrid de la Secrétaire d'Etat Sophie Cluzel" explique Jean-François Renucci. "Ils sont majoritairement liés à la transposition des directives européennes et à la coordination de la réflexion des pays au sein de l'UE", complète-t-il.
Sujets bilatéraux
"Les problématiques des retraites vont être brûlantes et devraient faire l'objet de beaucoup d'échanges", déclare Jean-François Renucci à propos des spécificités de son poste en Espagne. Si le Président de la République français a décidé de réformer l'ensemble du système, "il est inéluctable qu'en Espagne cela bouge" analyse-t-il, évoquant notamment la hausse de la durée de vie dans la pays, couplée à la faiblesse du taux de natalité. "Chaque pays a son modèle : nous n'avons pas de leçon à donner", décrypte-t-il quant à son rôle en la matière : "Nous avons un simple statut d'observateur".
Autre thématique qui devrait concentrer l'attention du Conseiller pour les Affaires sociales : le travail illégal. "Il y a une grande volonté de la part de nos deux pays de lutter contre ce fléau", commente-t-il. "C'est d'autant plus important qu'en France comme en Espagne, deux grands pays agricoles, entre 5 et 10.000 saisonniers traversent annuellement les frontières, dans un sens comme dans l'autre, pour se faire embaucher sur les exploitations agricoles. C'est un vrai sujet commun, qui doit passer par une coopération accrue entre les Directions générales du travail de chaque pays, l'établissement de systèmes de contrôle communs et imposent des mesures pour que les travailleurs soient bien salariés, cotisent à la Sécurité sociale et soient embauchés dans des conditions dignes", ajoute-t-il.
Dans le cadre de l'Union, de nombreux sujets sont sur la table, qui sont l'objet aussi de coopération plus poussée dans le cadre bilatéral. C'est le cas notamment des questions relatives à l'autisme (l'Espagne s'intéresse ainsi au Master "Autisme et autres troubles neuro-développementaux" mis en place par l'Université Jean Jaurès de Toulouse), de l'école inclusive, de la lutte contre les épidémies et de la gestion des crises sanitaires, ou encore de la numérisation des données sociales et sanitaires des citoyens européens, de leur partage entre pays et de leur protection.
La question de la place des femmes dans la gouvernance des entreprise, et de façon plus générale de la responsabilité sociale des entreprises, constitue enfin un autre dossier sur lequel l'Ambassade est amenée à intervenir de façon régulière : parce que c'est désormais une priorité du Gouvernement français, on l'a vu notamment avec l'initiative #JamaisSansElles, mais aussi parce que la loi des quotas française au sein des conseils d'administration des entreprises représente une source d'inspiration pour de nombreux lobbys espagnols qui œuvrent dans ce sens. Avec plus de 2.000 entreprises françaises installées dans le pays et plus de 300.000 emplois à la clé, la question sociale au sein des entreprises est, pour les instances françaises, cruciale.
Représentation, communication, action
"La France a tout intérêt à mettre en avant ses bonnes pratiques et la responsabilité sociale de ses entreprises", estime à cet égard Jean-François Renucci, "pour en faire un objet de construction de politiques sociales coordonnées et les mettre en avant au niveau européen". Et d'illustrer : "Si aujourd'hui est coordonné au niveau européen le détachement des travailleurs, ou demain le congé paternité, par exemple, tout le monde a et aura à y gagner". Si le Conseiller pour les Affaires sociales se doit d'informer ses homologues espagnols, s'ils le sollicitent, sur les sujets qui relèvent de sa compétence, la communication, via l'organisation d'un programme d'action permettant de valoriser ou de mettre en lumière certaines facettes des spécificités françaises, fait aussi partie des attributs du poste. En collaboration avec certaines associations françaises, l'Ambassade a ainsi participé à l'organisation de plusieurs colloques et manifestations qui s'inscrivent dans l'agenda social français. C'est par exemple le cas des conférences de l'association Mujeres Avenir, co-organisées avec l'Ambassade, la dernière en date portant sur la présence des femmes dans l'univers diplomatique. C'est aussi le cas de la récente enquête publiée conjointement par l'association Diálogo et l'Institut Royal Elcano, liée à la vision de l'Europe qu'ont les Français et les Espagnols, ou d'initiatives menées à bien avec l'association des descendants des exilés espagnols, FFREEE.
"Nous avons aussi souhaité notamment mettre l'accent sur la question gitane, sur laquelle il y a une véritable réflexion actuellement en France et où l'Espagne peut s'avérer être une fructueuse source d'inspiration", révèle encore Jean-François Renucci. "En mai, nous allons, en collaboration avec l'Institut français et en collaboration avec la magistrate de liaison, revenir sur la prise en charge et le traitement des victimes du terrorisme et des attentats, avec un focus franco-espagnol et européen".
"Le poste de Conseiller pour les Affaires sociales est au cœur de la construction des politiques sociales européennes", se réjouit l'intéressé. "Aux côtés des grandes priorités d'une ambassade -le rayonnement économique, la Défense, la Culture- la question sociale est incontournable", estime-t-il. "On ne peut pas considérer la construction européenne sans prendre en compte les questions sanitaires et sociales. Cela suppose de mon point de vue une meilleure prise en compte de la société civile dans la définition des politiques publiques, et une meilleure prise en compte des salariés au sein des entreprises". Et d'insister : "Si l'on veut projeter un futur européen plus dynamique, cela doit passer par l'inclusion d'un agenda sanitaire et social. Les questions de la démographie et celle de la dépendance constitueront des enjeux majeurs pour les pays européens du futur". Ce sont 25 années d'engagement en faveur des droits des travailleurs qui semblent, avec ces derniers mots revendiquer leur raison d'être : "C'est la mécanique de construction d'un volet social européen qui permettra un mieux vivre ensemble. J'espère pouvoir, en toute humilité, contribuer à promouvoir des projections solidaires".