"Que pensent les Français et les Espagnols du projet européen ?" C'est à cette question qu'a voulu répondre l'enquête réalisée par l'association d'amitié franco-espagnole Diálogo et l'Institut Royal Elcano, pour laquelle 1.000 personnes françaises et 1.000 autres espagnoles ont été interrogées, entre février et mars de cette année.
L'objectif a été de rechercher les similitudes et les différences entre les opinions publiques des deux pays, concernant l'Union européenne. L'Espagne et la France maintiennent une coopération étroite dans plusieurs domaines, un bon rapport économique, une influence mutuelle et des intérêts communs dans les relations internationales. Les résultats de cette étude ont permis de connaître le degré de proximité des deux populations quant à la question européenne.
L'étude a été présentée mardi 10 avril à la Résidence de France, en présence notamment d'Yves Saint Geours, Ambassadeur de France en Espagne et de José María Segovia, Président de Diálogo. Emilio Lamo de Espinosa, Président du Real Instituto Elcano et Pierre Lequiller, membre du Conseil d'Administration de la Fondation Schuman et Conseiller régional d'Île de France, ont commenté au cours d'une tribune modérée par la journaliste Elena Ochoa les résultats de l'étude. Le Président de l'Institut El Cano a souligné à cette occasion la collaboration fructifère qui existe entre l'Institut Royal Elcano et Diálogo, qui concluent avec cette enquête la troisième enquête en commun, après un premier travail portant sur la vision qu'ont les Espagnols des Français et un second opus sur les visions mutuelles des deux populations. Ce troisième volet transcende donc la simple relation bilatérale, pour se concentrer sur la vision de l'Europe, "à un moment stratégique", selon l'Ambassadeur de France en Espagne. Yves Saint Geours a évoqué lors de son allocution la relance du projet européen voulue par le Président de la République française Emmanuel Macron. "Il faut rapprocher le projet européen de la citoyenneté européenne", a-t-il déclaré, "et à cet égard cette étude permet de mieux comprendre quelles sont les attentes des populations de nos deux pays". "Il y a maintenant 35 ans, Diálogo naissait avec une ambition très centrée sur la question bilatérale", a appuyé le Président de Diálogo. "Nous sommes désormais conscients que c'est la relation bilatérale incarnée dans l'UE dont il faut prendre soin". Après la présentation, un débat a été animé dans l'après-midi dans l'amphithéâtre de l'Institut français.
Il faut rapprocher le projet européen de la citoyenneté européenne
L'étude permet de souligner une position qui, tout en restant globalement pro-européenne, diffère entre les deux pays, qui n'ont pas le même parcours ni la même histoire au sein de l'Union, ni la même conscience identitaire. Emilio Lamo de Espinosa a évoqué la forte identité nationale qui caractérise la France, couplée, contrairement aux clichés véhiculés en Espagne, à une forte aptitude à l'auto-critique, qui s'exprime en tous cas par une certaine méfiance à l'heure de transférer des compétences vers l'UE. "Les Français considèrent la globalisation comme une menace, tant à l'échelle culturelle qu'économique", a encore décrypté le sociologue. "Ils voient en l'UE un moyen, un outil, pour amplifier la projection de la France dans ce monde globalisé qui les effraie". Au contraire, les Espagnols dont l'entrée dans l'ère démocratique a peu ou prou coincudé avec l'intégration au projet européen, font preuve d'une confiance moindre envers leurs propres institutions -et donc plus élevées envers celles de l'Europe. "Pour les Espagnols, l'UE constitue une solution à des questions liées à la liberté, la démocratie, le travail, la prospérité et le bien-être", a-t-il analysé. Si la crise économique et les mesures d'austerité imposées par l'UE ont passablement affecté cette vision, il n'en reste pas moins pour le Président de l'Institut Elcano que l'Espagne conserve une vision plus naïve et enthousiaste du projet européen, face à un regard "sur le retour" côté français.
Sur une échelle de 1 à 10, jusqu'à quel point vous sentez vous européen ?
Concernant l'étude à proprement parler, Français et Espagnols ont tout d'abord été interrogés sur des sujets tels que l'identité européenne, la confiance dans les institutions, la sortie de l'euro, et les succès de l'Union. Il ressort nettement de ces résultats le fait que les Espagnols sont plus optimistes et enthousiastes que les Français sur l'Union européenne. Lorsque l'on demande à aux Espagnols "sur une échelle de 1 à 10, jusqu'à quel point vous sentez vous européen ?", la note moyenne est de 7,2 contre 5,8 chez les Français. Cependant, ceux qui sont contre l'Union européenne sont en minorité dans les deux pays, bien que plus nombreux en France (28%) qu'en Espagne (15%). Inversement, les pro-européens sont plus nombreux en Espagne (60%) qu'en France (40%). Selon l'étude, cette tendance est peut-être due au fait que "l'immense majorité des Français ont atteint l'âge adulte dans une France déjà intégrée au processus européen, ils ne peuvent donc pas comparer, comme les Espagnols, la situation de leur pays avant et après l'entrée dans l'UE".
En ce qui concerne la confiance dans les institutions européennes, elle est très importante chez les Espagnols qui leur font même plus confiance qu'en leurs propres institutions. C'est l'inverse chez les Français qui ont une meilleure opinion de leur propre gouvernement et parlement que ceux européens. Pour ce qui est de sortir de l'euro ou non, dans les deux pays le non l'emporte haut la main, mais encore plus chez les Espagnols (76%) que chez les Français (64%). Les avis divergent lorsqu'il s'agit de nommer les principales réussites de l'Union européenne. Pour la France, un pays qui a été impliqué au cours des siècles dans des guerres contre d'autres Etats européens, l'apport principal de l'UE est la paix. Pour les Espagnols, le principal succès de l'UE est la possibilité de vivre et travailler dans d'autres états, la liberté de mouvement et la monnaie unique. Enfin, l'euroscepticisme est plus politiquement plus marqué à droite en France et à gauche en Espagne.
Photo Diálogo
Objectifs, futur et défis
En ce qui concerne les avis des Français et des Espagnols concernant les objectifs de l'Union européenne, les principales différences résident dans l'économie. Alors que la France est plus préoccupée par les effets de la mondialisation et voit l'Union européenne comme un instrument pour être plus compétitif dans une économie mondialisée, les Espagnols, qui se voient encore comme les bénéficiaires de l'aide -malgré le fait que l'Espagne soit devenue contributeur net au budget communautaire- veulent que l'UE soit, en premier lieu, un grand distributeur de richesses, capable de rendre plus égales les conditions de vie entre les différents Etats membres
Pour ce qui est du futur de l'Union européenne et des défis qui l'attendent, il y a des divergences d'opinion: la France est moins optimiste (38%) que l'Espagne (58%) sur le futur de l'UE. Mais les différences augmentent lorsque l'on parle des principaux défis ou problèmes qu'affronte l'Union européenne. Dans le cas de la France, ce sont l'arrivée de migrants et le terrorisme qui ressortent le plus. En Espagne, les options se divisent plus, c'est le chômage qui préoccupe le plus les Espagnols, suivi par le terrorisme, le futur des pensions et les mouvements séparatistes.
Les Français et les Espagnols ont des visions différentes en ce qui concerne la possibilité d'aller vers une "communautarisation" accrue des politiques économiques et sociales. La majorité des Espagnols, dans leur confiance dans l'UE, sont en faveur de l'européanisation de la politique fiscale et de l'assurance chômage, alors que les Français sont clairement contre ces deux points. Concernant les normes bancaires, la majorité d'Espagnols et de Français sont pour qu'elles soient européennes, mais le pourcentage est bien plus élevé en Espagne.
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La différence entre les deux pays sur la question d'un meilleur investissement des Etats européens dans la Défense est aussi très marquée. Seulement 35% des Espagnols contre 60% des Français pensent que les Etats européens devraient dédier plus de budget à la Défense. De plus, ce sujet divise moins en France qu'en Espagne : en France, la gauche aussi approuve l'augmentation du budget militaire alors qu'en Espagne, seule la droite maintient cette opinion.
La France comme l'Espagne considèrent que l'Allemagne doit être leur principal allié au sein de l'Union européenne : c'est vrai pour avec une grande majorité dans le cas français (70%), dans la moitié des cas pour l'Espagne (54%). La France et l'Espagne se rejoingnent dans une situation inégale concernant la préférence mutuelle comme alliés au sein de l'UE : alors que pour les Espagnols, la France doit être le deuxième allié le plus important après l'Allemagne (les autres pays sont à peine mentionnés), pour les Français ce second rôle se divise en parts semblables entre l'Espagne, l'Italie et la Belgique.
Une grande partie des Espagnols ont choisi la France comme principal allié, tout en sachant que l'Allemagne est plus influente. Selon l'étude cela est "peut-être lié au fait qu'ils voient l'Allemagne comme un possible adversaire (qui impose des politiques restrictives par exemple) et cherchent une alliance avec d'autres Etats qui peuvent contester l'influence germanique".