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Eric Kircher: "Un manageur doit avoir un point de vue sur la société"

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Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 24 avril 2018

Il a fondé deux clubs APM (Association progrès du management) à Madrid, en 2012 et en 2016, qui regroupent une grosse trentaine d'entrepreneurs francophones, désireux de partager, d'apprendre et de se former. Tout sauf un hasard : à 56 ans, Eric Kircher, né à Bougie, en Algérie, avec au compteur 12 ans d'Afrique noire, 13 ans d'expatriation en Espagne, 8 ans à la tête de sa propre structure et toute une carrière dans le conseil et la formation commerciale et managériale, dispose d'un regard lucide sur les défis managériaux qu'affronte l'entreprise de demain.

 

Au service d'un réseau qui compte près de 7.000 adhérents dans le monde, il joue un rôle d'animateur, pour les deux communautés créées dans la capitale espagnole. Dans le cadre de ces 2 clubs APM, il aime à dire qu'il est "un chauffeur de salle". "Je m'efforce d'établir, à l'occasion de chaque rencontre, les conditions idoines d'un moment privilégié entre les adhérents eux-mêmes mais aussi avec les experts... Plus sérieusement ils vous diront que je les fais bosser... Mais eux aussi me font bosser", sourit-il. A la tête de son entreprise, Lead Your Market, il réfléchit aux outils ad hoc pour rendre les équipes commerciales plus efficaces, transformer les cultures, pousser les manageurs à toujours s'impliquer d'avantage, et mesurer les progrès obtenus dans les résultats. Et s'il préfère éviter la collusion des genres entre ses deux activités, comme il l'annonce d'emblée, il n'en reste pas moins impossible de prendre la mesure de l'homme -entrepreneur, formateur et humaniste- sans faire la somme de ses deux facettes complémentaires.

 

Pour être membre de l'APM à Madrid, il faut avant tout être savoir-faire preuve d'humanisme et de modestie, c'est un des critères de recrutement du club

 

Créée dans les années 80 par Pierre Bellon, alors vice-président de la patronale française et fondateur de Sodexo, l'APM a une claire vocation pédagogique, pour des manageurs voués à projeter leur entreprise dans le futur, de la meilleure façon qui soit. Avec quatre thèmes de prédilection -développement du dirigeant, techniques d'entreprise, management, environnement d'entreprise- l'association propose 10 rencontres annuelles autour d'un expert de haut vol, qui vient, sur des sujets extrêmement éclectiques, partager, au cours d'un moment de grande proximité, ses savoirs et opinions qui bien souvent transcendent le strict univers de l'entreprise. "Un bon manageur doit non seulement avoir une expertise métier et des compétences de direction, il doit aussi disposer d'un point de vue sur la société dans laquelle il vit et ce vers quoi elle évolue. Il doit avoir une vision de son entreprise et savoir planifier le futur de celle-ci pour les 10 années à venir", estime Eric Kircher. Le trombinoscope qui réunit les noms des 32 dirigeants qui font actuellement partie des deux clubs madrilènes -tous à la tête de grands groupes internationaux, majoritairement d'origine française, présents en Espagne- pourrait constituer le meilleur témoignage du succès de l'APM, mais confidentialité oblige, le fascicule ne peut être distribué qu'au sein du club. Surtout Eric Kircher porte son orgueil vers un autre type de succès : "Pour être membre de l'APM à Madrid, il faut avant tout être savoir-faire preuve d'humanisme et de modestie, c'est un des critères de recrutement du club", avance-t-il, "et j'ai la chance d'être entouré de manageurs sensibles à cette approche".

 

Le grand besoin actuel -la grande demande de nos adhérents à l'APM- c'est l'apprentissage des parcours menant à l'entreprise libérée ou libérante

 

Pour un expert en efficacité commerciale la posture peut paraître inattendue. Ex DG Espagne de Mercuri International -poids lourd de la formation commerciale à l'échelle mondiale- Eric Kircher a fondé sa propre structure, Lead Your Market, en 2009, lors du retrait du pays de la multinationale. C'est à dire en pleine crise économique, tandis que les entreprises se trouvaient soudain confrontées à un marché "qui résistait, qui n'achètait plus". Jugeant que l'opportunité était bien là il s'est décidé à développer ses propres outils, mêlant consulting et formation, afin d'offrir des solutions originales à forte valeur ajoutée, avec un seul objectif : augmenter les rendements commerciaux. Son discours sur les compétences commerciales est de fait complètement décomplexé : "Certes, l'empathie, l'écoute et la capacité à proposer l'offre la plus adaptée au besoin du client sont essentiels, mais on occulte trop souvent l'importance de la capacité d'influence du vendeur", défend-il. "Un bon commercial doit savoir aider son interlocuteur à prendre la "bonne" décision d'achat, celle dans l’intérêt des deux parties, en levant les barrière rationnelles et irrationnelles qu’il va naturellement, consciemment ou inconsciemment dresser. Il doit 's’autoriser' à influencer l'acheteur, pour que ce dernier se donne l'autorisation d'acheter et se sente en conformité avec ses besoins -voire ses envies- et en conformité avec les besoins de son organisation en BtoB". On peut difficilement dire les choses de façon plus prosaïque, mais on peut aussi concevoir l'entreprise en soi, avec ses évidentes fins commerciales, comme un univers propice à l'épanouissement de ses employés. "Le grand besoin actuel -la grande demande de nos adhérents à l'APM- c'est l'apprentissage des parcours menant à l'entreprise libérée ou libérante", analyse Eric Kircher. Et d'expliquer : "Tandis que les manageurs devront de plus en plus se concentrer sur la stratégie, ils devront parallèlement savoir déléguer sa mise en œuvre aux collaborateurs de l'entreprise". On peut reprendre de cette vision plusieurs conséquences, déclinées par Eric Kircher, à l'instar de la disparition possible à termes du management intermédiaire, "qui perd sa raison d'être". On retiendra que "plus on monte dans la hiérarchie de l'entreprise, plus l'on doit savoir acquérir de nouvelles compétences et en abandonner des anciennes". Et oui, être un bon manager, ce serait donc bien savoir faire preuve de modestie. Ce serait savoir se détacher et transmettre -tout en se maintenant au cœur des équipes qui sont en contact direct avec la clientèle... Bref, tout un programme.

 

Il ne suffit pas d'acheter 2-3 jours de formation par ci par là, ni de se mettre sur un MOOC pour acquérir des compétences

 

Le développement de l'APM à l'international, avec aujourd'hui plus de 350 clubs dans une vingtaine de pays -dont deux à Madrid, deux à Barcelone et un au Portugal- a correspondu au début des années 2000 à un mouvement naturel pour l'association, qui avec un leadership incontestable dans l'Hexagone, a fait le choix de suivre ses dirigeants hors des frontières et de les accompagner tout au long de leurs souvent nombreuses expatriations. "Le taux de fidélisation est très élevé", confirme Eric Kircher. Or, si le seuil de rentabilité d'un club est de 14 membres, la limite s'inscrit autour d'une vingtaine d'adhérents. D'où la naissance, l'an dernier, d'un second club à Madrid, qui compte aujourd'hui -mouvements d'expatriation et départs oblige- 13 membres. Conséquence : l'APM Madrid "recrute" en permanence. "En fait nous cherchons la ou les personnes qui ont le profil adéquat. Le moteur, c'est l'échange, personne n'est là pour donner des leçons. Il faut savoir écouter, partager, être curieux", décline l'intéressé, "il faut avoir envie de s'émerveiller". La cotisation est généralement être prise en charge par le budget formation des entreprises et l'investissement ne peut être pris à la légère, de la part de quelqu'un qui critique "la banalité affligeante" de la formation professionnelle contemporaine. "On n'a pas encore compris tous les rouages, tout ce qu'on peut tirer d'une formation pour bien en tirer profit", juge-t-il, avec un regard porté sur l'Espagne et "son faible niveau de maturité" en la matière. "Il ne suffit pas d'acheter 2-3 jours de formation par ci par là, ni de se mettre sur un MOOC pour acquérir des compétences", fustige-t-il, "il y a tout un travail de suivi à mettre en place et d’investissement temps des manageurs pour poursuivre l’enseignement". Avec Lead Your Market, il s'attèle aujourd'hui à l'introduction en Espagne de produits digitaux "qui assurent cette continuité" et permettent de poursuivre la formation, à distance. "Il y a des outils aujourd'hui qui, grâce au smartphone, permettent d'épicer la formation", évoque-t-il.

 

Je n'appréhende pas la culture française comme un Français : il a fallu que j'apprenne ce qu'était la culture française

 

"Je fais un métier très lié au comportement humain", résume cet expat au parcours hors norme. Né en Algérie, grandi aux quatre coins de l'Afrique noire, il a fait ses études à Marseille et débarqué à Madrid en 2004. "Je n'appréhende pas la culture française comme un Français : il a fallu que j'apprenne ce qu'était la culture française", s'amuse-t-il. Ce qui ne l'empêche pas d'apprécier "la complémentarité" entre Français et Espagnols : "On est faits pour collaborer ensemble", considère-t-il.

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