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PROF AU LYCEE FRANÇAIS DE MADRID - Julien Cassan : "Ce n’est pas parce qu’un élève est en short qu’il n’apprend pas"

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 10 février 2016, mis à jour le 10 février 2016

Julien Cassan s'est toujours imaginé en globe-trotter déambulant aux quatre coins de la planète, de Singapour à Buenos Aires en passant par son Aveyron natal. Finalement, c'est son poste de professeur d'EPS au Lycée Français de Madrid qui lui a permis de s'épanouir et de découvrir d'autres horizons par le biais de projets pédagogiques qui l'ont amené a Londres, Tunis et même Wellington en Nouvelle-Zélande. Portrait d'un homme qui ne tient pas en place.

Lepetitjournal.com : Résumez-nous votre parcours avant d'arriver à Madrid
Julien Cassan (photo DR) : J'ai effectué des études de STAPS à Toulouse et obtenu mon CAPEPS en 2000, à 23 ans, j'ai été aussitôt envoyé dans le nord de la France par le jeu des mutations. Comme c'est de coutume avec les jeunes diplômés, on m'a envoyé là où personne ne voulait aller. J'ai été nommé à côté de Troyes, dans le département de l'Aube? Je ne savais même pas où situer cette région sur la carte. Mais cette expérience s'est finalement avérée très positive. J'ai été professeur d'EPS pendant trois ans dans le seul collège avec internat du département. Plusieurs élèves en situation de détresse familiale y logeaient et j'avais l'impression de me sentir d'autant plus utile avec eux. Pour certains, le professeur était la seule personne équilibrée qu'ils rencontraient dans la journée, d'où ce sentiment de devoir les écouter et les aider. Les activités sportives étaient souvent sources de conflit mais l'EPS est une matière dans laquelle les élèves ont une très bonne relation avec les profs. Je faisais parfois office de confident pour eux. Une belle expérience dans laquelle je me suis investi à fond pendant 3 ans.

Et que décidez-vous de faire à l'issue de ces trois années passées dans l'Aube ?
Alors âgé de 27 ans, j'en avais un peu marre que ce soient les ordinateurs de l'Education Nationale qui choisissent pour moi la ville dans laquelle j'allais m'installer. J'avais aussi envie de déséquilibre dans ma vie. C'est pourquoi j'ai décidé de me mettre en disponibilité pendant un an pour pouvoir profiter de l'argent que j'avais économisé depuis plusieurs années et partir à l'aventure. J'ai posé mes valises ici à Madrid et finalement je n'ai plus jamais bougé. L'Espagne m'attirait par son climat et sa culture particulière. Pour partir à l'étranger, il faut s'ennuyer en France d'après moi. J'ai toujours eu des envies d'ailleurs et j'avais déjà postulé à l'étranger au début de ma carrière, sans succès.

Comment avez-vous intégré le LFM ?
C'est seulement à mon arrivée à Madrid que j'ai pris connaissance du Lycée Français de Madrid. Mais les places étaient très chères en EPS. Le LFM est l'un des lycées français les plus recherchés dans le monde, il y a une grande stabilité ici et les postes se libèrent très difficilement. On m'a tout de même proposé quelques remplacements en Primaire de temps en temps. Pendant 3 ans, j'ai vécu de ces intérims et d'autres boulots en parallèle, une galère. J'ai parfois songé à retourner en France mais je finissais toujours par renouveler ma mise en disponibilité dans l'espoir d'obtenir ce que je voulais vraiment ici. Je revenais à la charge régulièrement avec le LFM pour savoir si un poste se libérait. Et par chance, un des profs d'EPS s'en allait en cours d'année. Je me suis vu proposer un contrat local dans la foulée et j'ai démarré la semaine d'après. J'étais prêt à tout pour avoir ce poste et mon abnégation a payé.

Le LFM a-t-il été à la hauteur de vos attentes ?
Selon moi, c'est l'un des plus beaux navires de l'AEFE (Agence pour l'enseignement français à l'étranger). J'ai eu l'occasion de me balader dans plusieurs lycées français du monde et je me rends compte de la chance que j'ai d'être ici. Sur le plan pédagogique, je bénéficie de conditions ultra-favorables pour enseigner. D'abord au niveau des publics, je suis toujours impressionné par le nombre de nationalités différentes dans mes classes. Lors de chaque début d'année je demande à mes élèves combien de pays sont représentés en tout et j'essaie d'en tirer profit dans mes séances car c'est une grande source d'interaction entre les élèves. Cette diversité constitue un avantage énorme pour ces jeunes. En classe, mais aussi dans la cours de récréation, les élèves apprennent de la diversité, sans s'en rendre compte. On peut parler d'apprentissage incident. Bref, au LFM, il y a des moyens financiers bien sûr, mais aussi une réelle volonté politique. Ici, on peut monter des projets impossibles à réaliser pour n'importe quel autre lycée au monde.

Quels sont les projets que vous y avez montés et qui vous ont particulièrement tenu à c?ur ?
Je me souviens qu'à l'occasion de la Coupe du Monde de Rugby de 2011 en Nouvelle-Zélande, j'avais demandé au proviseur, un peu en désespoir de cause, si je pouvais participer avec ma classe au tournoi de rugby inter Lycée Français organisé par l'AEFE. Il m'a certifié qu'il ferait tout son possible pour nous donner cette chance et finalement, nous nous sommes envolés en septembre 2011 pour la Nouvelle-Zélande, le plus long voyage du monde, avec 10 élèves de 2nde afin de participer à ce projet intitulé «Jeunes Rugby-Reporters»

Parlez-nous un peu de cette aventure.
A chaque grand événement sportif d'envergure mondiale, l'AEFE essaie d'organiser un événement en parallèle avec les établissements français, ce sera par exemple le cas à Rio, en août, lors des prochains Jeux Olympiques. Ces événements constituent des expériences hallucinantes pour les élèves. Ils peuvent y rencontrer des camarades du monde entier qui ont simplement en commun avec eux de parler le français et d'aimer le rugby. En Nouvelle-Zélande, notre objectif était de représenter le continent européen face aux lycées français de Hong-Kong, Washington, Sydney et Tunis. Pendant 10 jours, 10 élèves nés entre 1994 et 1996 ont porté fièrement les couleurs du LFM avec une troisième place à l'arrivée. J'ai de nouveau accompagné des élèves de 5ème du LFM cette année pour la coupe du monde de rugby, à Londres, et nous sommes devenus champions du monde? des lycées français !

D'autres projets vous ont marqué ?
Je m'occupe beaucoup de manifestations en lien avec le rugby. En 2009, j'ai participé à la création du Tournoi de la Méditerranée à Tunis. Il s'agit d'une compétition de rugby à 7 destinée à l'origine à des élèves de 4eme et depuis peu de 6eme et 5eme. Le LFM, notamment grâce au dynamisme du club de rugby, a participé à toutes les éditions, et en a organisé l'édition en 2011. De plus pour chaque tournoi, les élèves du lycée organisateur font découvrir leur ville aux autres lycéens par le biais de visites culturelles. Car au-delà du jeu, ce tournoi a permis aux jeunes de faire de véritables rencontres, de découvrir d'autres cultures et même d'aider les élèves à mieux percevoir certains aspects géopolitiques? Enfin, grâce aux valeurs du rugby, des projets comme ceux-là permettent de travailler sur le respect, les valeurs du collectif, du partage, etc. En juin, nous nous rendrons à Barcelone pour la 7e édition avec une équipe mixte pour la première fois. Nous en profiterons pour assister à la finale du Top 14 au Camp Nou.

Vous êtes aussi impliqué depuis l'année dernière dans un projet en lien avec le vélo. Quelle est cette nouvelle démarche ?
C'est un projet intitulé Vélo au LFM qui s'inscrit dans le volet éco-mobilité de l'E3D (Etablissement en Démarche de Développement Durable) mis en place par l'établissement. Au mois de mars dernier, nous avons développé un partenariat avec l'entreprise Décathlon qui nous a fait don de 73 vélos pour une utilisation dans le cadre du cycle VTT du programme d'EPS en 4e. Cette année scolaire, 270 élèves issus des neuf classes de 4e vont effectuer 20h d'apprentissage de vélo en cours d'EPs. Dans ce cycle ils apprendront à mieux conduire leur deux-roues, à le réparer et à circuler en respectant le code de la route. Le quatrième point touche au développement durable. Il s'agit de sensibiliser les élèves à ces modes de déplacements plus respectueux de l'environnement et leur faire comprendre qu'ils ne doivent pas reproduire les erreurs que les générations précédentes ont commises par le passé. Nous nous sommes aussi rendu compte que 3 ou 4 élèves par classe ne savaient pas faire de vélo, il fallait remédier à cela.

Qu'est ce qui vous pousse à vous lancer dans autant de projets pédagogiques variés ?
Des fois on se sent un peu à l'étroit dans la classe. Et même si l'EPS est une matière qui change tout le temps, les voyages constituent des moments uniques dans les vies des gamins. Je suis certain que les élèves que nous avons emmenés en Nouvelle-Zélande, à Barcelone ou à Londres s'en souviendront toute leur vie et j'ai envie de leur faire partager ces expériences inoubliables. De plus, cela provoque des dynamiques positives avec les collègues, le groupe, les parents, l'administration, et ce, quelque soit le résultat? Même si, au LFM, nous gagnons plus souvent que nous ne perdons (rires).

Comment cela se passe avec le reste de l'équipe éducative ?
A Madrid, j'ai vraiment l'impression de faire partie d'une équipe. Avec les autres profs d'EPS, il y a beaucoup de dialogue. Par le biais des outils numériques, nous partageons nos impressions à propos des séances que nous avons faites et des innovations que nous essayons de mettre en place. En EPS, nous devons travailler en collaboration permanente, ne serait-ce qu'au niveau du matériel sportif. C'est aussi cela qui fait notre force.

Pourquoi l'EPS a-t-elle longtemps été perçue comme un parent pauvre en matière d'enseignement ?
Les clichés ont la peau dure en ce qui concerne ma discipline. Ce n'est pas parce qu'un élève est en short qu'il n'apprend pas. Même si dans le cours, nous prenons parfois du plaisir à jouer, il ne s'agit en rien d'un moment de recréation. En EPS, il y a des apprentissages à réaliser : comme dans les autres disciplines. Et les choses ont évolué rapidement, ne serait-ce que dans l'évaluation des élèves. C'est aussi une discipline qui a longtemps été mise de côté en matière d'investissements alors qu'aujourd'hui beaucoup d'organismes comme l'AEFE et le LFM ont compris que le sport pouvait être une très belle fenêtre pour promouvoir leurs actions.

Propos recueillis par Simon MARACHIAN (www.lepetitjournal.com ? Espagne) Jeudi 11 février 2016
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Publié le 10 février 2016, mis à jour le 10 février 2016

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