Exilé à Abu Dhabi depuis 2020, l’ancien roi d’Espagne rompt le silence avec Réconciliation, une autobiographie écrite avec la journaliste française Laurence Debray. Entre aveux, nostalgie et justifications, Juan Carlos y défend son rôle dans la transition démocratique tout en évoquant ses erreurs, ses regrets et la fracture familiale qui le sépare aujourd’hui du roi Felipe VI.


« Mon père m’a toujours conseillé de ne pas écrire de mémoires. Les rois ne se confient pas. » Ainsi s’ouvre Réconciliation, le livre par lequel Juan Carlos Ier, 87 ans, entend reprendre la main sur son propre récit. Après des années de silence et d’exil à Abu Dhabi, l’ancien souverain signe, avec la journaliste Laurence Debray, une autobiographie inédite. L’ouvrage paraîtra en France le 5 novembre chez Stock, puis en Espagne le 3 décembre chez Planeta
« On m’a volé mon histoire » : la confession d’un roi sans royaume
Le roi émérite dit avoir pris la plume pour une raison simple : il estime qu’on lui a « volé son histoire ». Dans ce récit à la première personne, Juan Carlos revendique son rôle dans la construction de l’Espagne démocratique, tout en reconnaissant, à demi-mot, ses zones d’ombre : « des erreurs de jugement par amour et par amitié », « des fréquentations néfastes », et ce fameux « cadeau » de 100 millions de dollars offert par le roi Abdallah d’Arabie saoudite, ce dont il admet aujourd’hui avoir été « une grave erreur ».
Il revient aussi sur l’épisode de la chasse aux éléphants au Botswana, symbole de sa déchéance publique, qu’il décrit comme un tournant douloureux : « Je savais que je devais m’excuser. Ce fut un moment dévastateur pour mon règne et ma vie familiale. »
D’après les extraits déjà publiés, Juan Carlos se met en scène comme un homme pris au piège de son propre destin : « J’ai donné la liberté aux Espagnols, mais je n’ai jamais pu jouir de la mienne. » Il raconte un exil qu’il pensait provisoire, décidé « pour ne pas gêner son fils » ni peser sur la Couronne. Cinq ans plus tard, il vit toujours à Abu Dhabi, entouré d’un petit cercle d’amis — et d’un perroquet muet, devenu dans la presse espagnole le symbole ironique de sa solitude.

Franco, ce « père » que Juan Carlos n’a jamais renié
L’un des passages les plus commentés de Réconciliation touche à la figure de Francisco Franco, celui-là même qui fit de Juan Carlos son héritier. L’ancien roi dit avoir eu pour le dictateur « respect » et « admiration », évoquant son « intelligence » et son « sens politique ». Et d’ajouter, sans détour : « C’est grâce à lui que j’ai été roi. »
Des mots qui ont fait bondir une partie de la presse espagnole, dénonçant un regard indulgent, sinon aveugle, sur un régime marqué par la répression et l’exil. Juan Carlos parle d’un lien « presque filial » avec Franco, tout en assurant que le Caudillo lui aurait laissé « les mains libres » pour transformer le pays.
Le portrait d’un homme blessé
Le livre accorde aussi une large place à sa vie personnelle. Juan Carlos y exprime sa souffrance face à la distance de son fils, Felipe VI : « Je comprends qu’en tant que roi il tienne une position publique ferme, mais j’ai souffert qu’il se montre si insensible. ».
Il confie aussi sa nostalgie pour la reine Sofía, qu’il appelle « Sofi », regrettant qu’elle ne l’ait jamais visité à Abu Dhabi, contrairement à leurs filles, Elena et Cristina. Quant à la reine Letizia, il reconnaît un « désaccord personnel » et admet que son arrivée n’a pas favorisé « la cohésion familiale ».
Des mémoires qui embarrassent la monarchie espagnole
La sortie de Réconciliation tombe à un moment chargé de symboles : l’Espagne s’apprête à célébrer le cinquantième anniversaire de sa monarchie parlementaire. À la Zarzuela, on accueille l’initiative avec une certaine gêne. Ces mémoires font resurgir les fantômes du passé et soulignent la distance entre un fils, Felipe VI, décidé à restaurer l’exemplarité de la Couronne, et un père, figure d’un temps révolu.
De l’autre côté des Pyrénées, la presse française salue un récit « sincère et poignant ». En Espagne, les réactions se font plus contrastées : entre curiosité historique et malaise politique. El País y voit la confession d’un homme « séparé de la réalité », tandis que El Debate parle d’un « ouvrage d’un intérêt considérable », où s’entremêlent regrets, introspection et règlements de comptes.
Un roi Lear espagnol
À la manière d’un Roi Lear contemporain, Juan Carlos contemple depuis son exil doré d’Abu Dhabi les ruines d’un royaume intérieur qu’il ne gouverne plus. Il revendique sa part dans la construction démocratique de l’Espagne, mais aussi son droit à être entendu : « Ce n’est pas seulement mon histoire qu’on m’a volée, c’est celle de l’Espagne. »
Avec Réconciliation, l’ancien souverain ne cherche pas tant à se justifier qu’à laisser une dernière empreinte : un récit crépusculaire, oscillant entre fierté blessée, nostalgie et besoin de rédemption.
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