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Nous n’avons pas besoin d’un Churchill

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Emily Wang - Unsplash
Écrit par Luther Beaumont
Publié le 12 avril 2020, mis à jour le 12 avril 2020

La Grande-Bretagne n'a pas besoin des compétences dont ont pu faire preuve les Premiers ministres du passé. La crise du coronavirus nécessite un leadership qui lui est propre : pragmatique, transparent et fiable.

 

Se reposer sur un bon leadership en temps de crise demeure indispensable. Cela ne peut mieux se vérifier que durant ce contexte tristement exceptionnel. Et ce n'est sûrement pas le Royaume-Uni qui pourrait s'opposer à pareil constat, tant son histoire a pu mettre en lumière des personnages politiques au combien charismatiques. Tout comme le reste du monde, le pays doit faire face à une crise sanitaire extraordinaire à cause de l'épidémie de Covid-19. Mais le leadership de la nation, face à la crise, fut bien loin d'être exceptionnel.

Les défaillances auxquelles le Royaume-Uni se confronte actuellement en matière de leadership, ne découlent pas de certains points de vue hasardeux, elles proviennent de faits avérés. Certes, nous pouvons espérer que cela n'impliquera pas de catastrophes, mais elles doivent être pointées du doigt afin de pouvoir s'en prémunir au maximum dans le futur. Nous pouvons observer un consensus instinctif de la population dans la gestion des temps difficiles auxquels nous nous confrontons. Il s'illustre par nos instincts de rassemblement, de défiance de l’autorité, ou encore dans le fait de remettre à plus tard les sujets épineux.

Ces comportements sont partis intégrante de notre volonté quant au fait de faire de notre mieux durant les moments les plus difficiles. Tout ceci s’est retrouvé naturellement amplifié par l’état de santé de Boris Johnson, qui heureusement a quitté les soins intensifs. Oui ces quelques écarts de comportement peuvent s’avérer compréhensibles. Mais tout cela pourrait représenter des réactions dangereuses pouvant être particulièrement nuisibles.

Ces défaillances de leadership ont été clairement démontrées dans un rapport édifiant publié par Stephen Grey et Andrew McAskill du magazine Reuters. La grande majorité de ces manquements se trouve partagée entre les politiques, les officiels ou encore les conseillers. La principale défaillance fut observée fin février. Les principaux conseillers scientifiques étaient tout à fait conscients et informés du potentiel nombre de vies humaines mises en danger de part le manque cruel d'équipements médicaux pour lutter contre l’épidémie. Il n'étaient pourtant pas parvenus, pour diverses raisons, à sensibiliser suffisamment les ministres.

Les leaders politiques ont été trop lents et réticents dans l'acceptation de tous les avertissements

Ils ont reflété la même lenteur et hésitation dont ont pu faire preuve les officiels et les scientifiques, au détriment de la prise de conscience dont il devaient être les principaux artisans. Les leaders politiques ainsi que les experts ont par conséquent succombé à la tentation naturelle de prétendre avoir la situation bien en main, plutôt que de générer une crainte exacerbée de la population. Pendant ce temps-là, la plus grande partie d'entre nous continuait à vivre normalement, malgré l'ampleur de la menace déjà perceptible. Tout comme beaucoup d'autres nations, la Grande-Bretagne n'était que trop peu préparée. Parmi les illustrations de ce manque de préparation figurent les défaillances dans son leadership. Tous les pays ont dû faire face à des défaillances à ce niveau là pendant l'épidémie. Aux États-Unis, cela a été encore bien pire. Un officiel américain a déclaré au Washington Post il y a de cela deux semaines : "les voyant du système étaient clairement au rouge”. Cette déclaration est extraite de rapports officiels illustrant les défaillances des agences de renseignement. Rapports, qui ont été ignorés par l'administration Trump.

Quelles conclusions en tirer ?

Nous ne devons pas en conclure que tous les leaders sont inutiles ou inefficaces dans leurs actions. La plupart des leaders font mieux leur travail que le président Trump. Être un bon leader demeure une chose bien compliquée. Mais il est deux choses distinctes que de pouvoir faire preuve d'un meilleur leadership ou tout simplement d’en manquer. Il ne devrait pas être déraisonnable pour des leaders politiques de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour affirmer le statut qui est le leur.

Les chefs d'entreprise sont souvent plus habiles que les politiques dans l'exercice de leur leadership. Ils inculquent au sein de leurs entreprises des principes tels que : “Ne dites pas que nous ne pouvons pas changer les choses” ; “Ne promettez jamais ce que vous n'êtes pas en capacité de fournir” ; Ou encore “Ne déformez pas la réalité”. Les chefs d’entreprise peuvent faire abstraction ponctuellement de ces principes, particulièrement en période de crise, mais ils n’en restent pas moins imprégnés. Ils peuvent aussi compter sur leurs équipes de travail pour se les faire rappeler.

Tout pour ne pas affoler la population face à la propagation du virus

L'ensemble de ces trois principes ont pu être soumis aux politiciens britanniques dans la construction de la réponse face à l'épidémie. La réluctance de Johnson quant à une mise en œuvre plus précoce du confinement fut l'illustration de son instinctif penchant à communiquer un message rassurant auprès de la population. Il s'épargne ainsi de froisser et d'affoler cette même population. L'insistance avec laquelle le secrétaire d'État à la santé Matt Hancock, a répété que 100 000 tests seront réalisés d’ici la fin du mois apparaît bien armée pour incarner l’une des ces fameuses promesses non tenues. Jeremy Corbyn continue de revendiquer que l’épidémie “démontre de la nécessité” des mesures avancées dans le programme économique qu’il n’a cessé de prôner en tant que leader du parti travailliste. Mesures qui avaient fait l’objet de véritables railleries, allant même jusqu’à la déformation de leur contenu.

Trop de leaders politiques sont convaincus qu'ils peuvent se fier à leurs propres exemples dans la façon qu'ils peuvent avoir de s’organiser. Cela a pu se vérifier pour Margaret Thatcher, tout comme pour Tony Blair ou Gordon Brown. Cela s'est aussi vérifié aujourd'hui pour Johnson, du moins jusqu'à ce qu'il devienne contaminé. Les politiques actuels n'accordent pas suffisamment d'importance aux compétences technocratiques. Cela joue fortement en leur défaveur, comme le démontre le rapport de Reuters. L’un des exemples flagrants demeure celui lié à la cote de popularité du chancelier Rishi Sunak. Ce dernier incarne la quintessence du technocrate par excellence.

De quelle façon les politiques britanniques pourraient-ils être de meilleurs leaders en temps de crise ?

Trois potentielles suggestions peuvent être avancées.

La première serait issue de la méfiance et donc d'une prise de distance avec ce que le rapport de Reuters a pu mettre en lumière. Les leaders ne devraient pas s'entourer de courtisans ou courtisanes, tel que Johnson a pu le faire. Le gouvernement a besoin de la mise en œuvre d'une politique rationnelle. Cela inclut un entourage en capacité de jouer potentiellement l’avocat du diable afin de trouver des solutions alternatives. Les Premiers ministres devraient entériner la création de structures destinées à faire avorter les prises de décision qui tendraient à ne pas considérer comme il se devrait les tristes réalités de la crise.

La seconde devrait permettre aux leaders de reconnaître qu'ils aient pu faire fausse route depuis le départ. Parmi les plus belles prouesses réalisées par Franklin Roosevelt, celle au travers de laquelle il avait admis dès le commencement de son investiture qu’il y aurait des erreurs de commises fait figure d’exemple. La capacité avec laquelle Roosevelt avait réussi à convaincre les Américains de la façon dont il pouvait reconstruire le pays en est la parfaite illustration. Car pour ce faire, il a dû prendre l'engagement de trouver les solutions aux erreurs qui pourraient subvenir. Il n'a pas fait l'erreur de promettre le bon déroulement des choses. Roosevelt avait démontré la façon avec laquelle un leader pouvait se donner le droit à l'erreur, sans pour autant remettre en question sa crédibilité.

La troisième : les leaders ne devraient jamais être convaincus qu'ils disposent de prédispositions politiques naturelles. Les derniers Premiers ministres de Blair à Cameron ont tous succombé à cette illusion, d'une façon ou d'une autre. Même Churchill n’y a pas échappé. Ses défauts étaient immenses, et ils nécessitaient d’être bien appréhendés. Le Premier ministre conservateur Stanley Baldwin, qui lui-même avait certainement des défauts déclara : ”Lorsque Winston naquit, de nombreuses petites fées lui prodiguèrent de nombreux dons : imagination, éloquence, capacités de négociation. Jusqu’a ce que l’une des petites fées ne s’exclame ‘Personne ne peut faire l’objet de tant de dons’. Elle rajouta donc à l’ensemble de tous ces dons un manque cruel de discernement et de sagesse”.

Les temps actuels nécessitent des leaders exceptionnels

Mais dans la crise actuelle, la Grande-Bretagne n'a pas nécessairement besoin de leaders présentant les mêmes qualités que celles de leurs prédécesseurs. Qu’il soit question de l’audace de Churchill, de l’acuité de Thatcher, de la capacité de persuasion de Blair ou de l’opiniâtreté de Brown. Nous avons besoin de leaders pragmatiques dans la façon d’aller au terme des ambitions politiques permettant de répondre à pareille situation. Nous avons besoin d'ouvrir les vannes du dialogue avec la population pour établir ce qui doit être changé, et nous avons besoin de transparence quant au niveau d'information et de fiabilité des personnes pour qui nous avons votées afin de pouvoir en être convaincus.

En dépit de certaines légendes urbaines, un bon leadership demeure encore aujourd'hui quelque chose de fondamental. Cela pourrait très concrètement permettre de sauver des vies.